A.La tirelire
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A.La tirelire
Le Petit Poucet n'avait pas tort ; et je lui dois une fière chandelle.
Je suis un marin même pas d’eau douce, marin d’étagère, haut comme trois pommes, posé à côté d’autres bibelots, à rester là sans bouger. Quand même pas tout à fait comme les autres, avec cette brèche à l’arrière de mon crâne. Non ce n’est pas une morsure de requin : je suis une tirelire, la tirelire de la maison. Un gars plein de fric autrement dit, mais qui jusque là n’en a guère profité. Vaut-il mieux être un vrai marin traîne-misère ou un bibelot riche comme Crésus, peut-être le saurez-vous à la fin de l’histoire. En attendant, je vous en raconte le début.
Au départ donc, j’étais un marin, un vrai de vrai, un type costaud et agile, bon pied bon œil, habile à la manœuvre. Le plancher des vaches, c’était à peine si je Connaissais. Quelques pas à chaque escale jusqu’à l’estaminet le plus proche, histoire de dépenser avec les potes et les filles la poignée de sous de ma paye, et hop de retour sur le pont à me faire secouer par les grains et tosser par la vague.
Quand même, je commençais me faire vieux et parfois le regret me prenait de ne pas avoir une maison où m’attendraient une femme, une famille, un chien. Un jour – en fait c’était une nuit, notre bateau fut pris dans une tempête effroyable. Hurlements du vent, fracas de vagues qui envoyaient sur le pont des paquets d’eau lourds comme des tombereaux de pierre, gémissements du bateau martyrisé, tandis que le ciel ricanait de tout son tonnerre.
Dire que si j’avais économisé un peu durant ma fichue vie, j’aurais pu être bien au chaud et au sec dans une maison. Etre riche, oisif et à l’abri, quel rêve ! Eh bien, il faut croire que dans ce ciel d’apocalypse volaient des sorcières, des fées ou je ne sais quelles créatures fantastiques parce que l’instant d’après, je me retrouvai marin-tirelire de faïence, comme je l’ai dit au début, gavé de pièces, qui me gonflaient le corps comme une mauvaise graisse. Pour être riche, j’étais riche, et oisif à cent pour cent. Je n’arrêtais pas de me répéter « Riche, je suis riche ! » Et mon magot s’accroissait tous les jours car les maître des lieux étaient un couple d’avaricieux, Julot et Marthe, qui rognaient sur tout et chapardaient à l’occasion pour remplir leur tirelire, c'est-à-dire moi-même.
Mon passe-temps favori consistait à me demander tout ce que je pourrais faire de cet argent : m’acheter un yacht, faire construire une somptueuse maison et trouver une gentille petite femme pour y vivre avec elle, organiser des fêtes, et encore bien d’autres fantaisies. Petit problème de ma nouvelle situation, ma mobilité était des plus réduites. En me concentrant, j’arrivais à vibrer et à tressauter sur place, mais pas plus.Julot et Marthe ne m'adressaient jamais la parole et n’imaginaient même pas que je puisse être davantage qu’un objet de faïence. Leur chien, Mirron, lui, l’avait compris. Il devint mon seul ami dans cette maison. Parfois je lui disais :
- Quand je serai gonflé d’argent à bloc, nous partirons d’ici tous deux et nous aurons la belle vie, tu seras nourri comme un prince alors que ces grippe-sous te font à moitié mourir de faim.
Mais il répondait tristement :
- Ce sont quand même mes maitres. Sans maitres, je ne pourrais plus vivre.
Et bien sûr ce n’était pas moi, minuscule marin de faïence, qui pouvais lui servir de maitre.
Un jour, je surpris une discussion entre Julot et Marthe : ils trouvaient que le chien leur coûtait trop cher et projetaient de le perdre dans la forêt. Comme ils n’avaient pas de voiture pour repartir en vitesse dès qu’ils l’auraient abandonné, ils avaient mis au point un plan machiavélique. Ils l’endormiraient avec de l’éther, le déposeraient dans une petite carriole qu’ils trainaient derrière eux quand ils faisaient les courses et le laisseraient en pleine forêt. Et pour que le chien ne puisse pas retrouver leur trace grâce à son flair, ils laisseraient tomber par-ci par-là quelques gouttes d’éther pour le désorienter.
Je racontai tout à Mirron qui se mit à gémir et se lamenter.
- Bah, lui-dis-je, tu n’as qu’à ne pas te laisser faire quand ils voudront t’endormir.
- Impossible, dit Mirron, je suis un chien, je ne peux pas me rebeller contre mes maitres…
Je me creusai la tête pour trouver un moyen de l’aider et c’est là que je pensai au Petit Poucet que ses parents voulaient perdre dans la forêt. A ma demande, Mirron me décrivit la carriole :
- C’est une espèce de caisse en bois, à moitié pourrie, avec des trous partout et une vieille couverture qui recouvre le fond.
- Parfait dis-je, voilà ce que tu feras : le jour où ils décideront d’aller te perdre, je te ferai signe. Tu me prendras dans ta gueule et tu me déposeras dans la carriole, sous la couverture. Ensuite tu te laisseras endormir sans broncher. Fais-moi confiance, tout se passera bien.
Tout se passa comme prévu : nous sommes retrouvés Mirron endormi sous la couverture, moi dessous dans la carriole que les maitres tiraient vers la forêt. Et c’est là que mon plan « Petit Poucet » entra en action. Aidé par les cahots du chemin, je tanguai d’un bord à l’autre sur les planches, perdant petit à petit toutes mes pièces, qui s’échappaient ensuite par les trous, balisant le chemin comme les petits cailloux du conte.
Arrivés au cœur de la forêt, Julot et Marthe renversèrent la carriole pour en sortir le chien, et en même temps, je tombai à son côté. Tout contents, ils repartirent. Une heure plus tard, Mirron se réveilla et je lui dit :
- Grâce aux pièces, nous allons pouvoir revenir à la maison. Et tu prendras bien soin de les ramasser au fur et à mesure et de les glisser dans la fente de tirelire derrière ma tête.
Hélas nous eûmes beau chercher partout aux alentours, pas trace de pièce. Et tout d’un coup, une évidence me frappa : «Oh là là, je suis le roi des idiots : les deux avares sont revenus par le même chemin et forcément ils ont vu les pièces et les ont ramassées ! »
Non seulement nous ne retrouverions pas la maison, mais en plus, j’étais désormais sans un sou, pauvre comme Job.
Pourquoi donc à présent, Mirron me regardait-il avec des yeux joyeux et en frétillant de la queue ?
- Eh eh aboya-t-il, tu n’as rien remarqué ?
Remarqué ? Ah mais oui, à mes pieds gisaient les morceaux de la tirelire brisée, tandis que moi, moi j’avais retrouvé mon corps de marin costaud et libre de ses mouvements. Le génie qui m’avait transformé en tirelire quand j’avais souhaité être riche, avait rompu le sortilège une fois ma richesse perdue.
Je demandai à Mirron :
- Et maintenant, tu veux bien de moi comme maître ?
- Avec joie répondit-il, je te suivrai partout.
Et tous deux, nous partîmes dans la première direction qui se présentait, sans un sou, mais certains que nous serions heureux ensemble.
Je suis un marin même pas d’eau douce, marin d’étagère, haut comme trois pommes, posé à côté d’autres bibelots, à rester là sans bouger. Quand même pas tout à fait comme les autres, avec cette brèche à l’arrière de mon crâne. Non ce n’est pas une morsure de requin : je suis une tirelire, la tirelire de la maison. Un gars plein de fric autrement dit, mais qui jusque là n’en a guère profité. Vaut-il mieux être un vrai marin traîne-misère ou un bibelot riche comme Crésus, peut-être le saurez-vous à la fin de l’histoire. En attendant, je vous en raconte le début.
Au départ donc, j’étais un marin, un vrai de vrai, un type costaud et agile, bon pied bon œil, habile à la manœuvre. Le plancher des vaches, c’était à peine si je Connaissais. Quelques pas à chaque escale jusqu’à l’estaminet le plus proche, histoire de dépenser avec les potes et les filles la poignée de sous de ma paye, et hop de retour sur le pont à me faire secouer par les grains et tosser par la vague.
Quand même, je commençais me faire vieux et parfois le regret me prenait de ne pas avoir une maison où m’attendraient une femme, une famille, un chien. Un jour – en fait c’était une nuit, notre bateau fut pris dans une tempête effroyable. Hurlements du vent, fracas de vagues qui envoyaient sur le pont des paquets d’eau lourds comme des tombereaux de pierre, gémissements du bateau martyrisé, tandis que le ciel ricanait de tout son tonnerre.
Dire que si j’avais économisé un peu durant ma fichue vie, j’aurais pu être bien au chaud et au sec dans une maison. Etre riche, oisif et à l’abri, quel rêve ! Eh bien, il faut croire que dans ce ciel d’apocalypse volaient des sorcières, des fées ou je ne sais quelles créatures fantastiques parce que l’instant d’après, je me retrouvai marin-tirelire de faïence, comme je l’ai dit au début, gavé de pièces, qui me gonflaient le corps comme une mauvaise graisse. Pour être riche, j’étais riche, et oisif à cent pour cent. Je n’arrêtais pas de me répéter « Riche, je suis riche ! » Et mon magot s’accroissait tous les jours car les maître des lieux étaient un couple d’avaricieux, Julot et Marthe, qui rognaient sur tout et chapardaient à l’occasion pour remplir leur tirelire, c'est-à-dire moi-même.
Mon passe-temps favori consistait à me demander tout ce que je pourrais faire de cet argent : m’acheter un yacht, faire construire une somptueuse maison et trouver une gentille petite femme pour y vivre avec elle, organiser des fêtes, et encore bien d’autres fantaisies. Petit problème de ma nouvelle situation, ma mobilité était des plus réduites. En me concentrant, j’arrivais à vibrer et à tressauter sur place, mais pas plus.Julot et Marthe ne m'adressaient jamais la parole et n’imaginaient même pas que je puisse être davantage qu’un objet de faïence. Leur chien, Mirron, lui, l’avait compris. Il devint mon seul ami dans cette maison. Parfois je lui disais :
- Quand je serai gonflé d’argent à bloc, nous partirons d’ici tous deux et nous aurons la belle vie, tu seras nourri comme un prince alors que ces grippe-sous te font à moitié mourir de faim.
Mais il répondait tristement :
- Ce sont quand même mes maitres. Sans maitres, je ne pourrais plus vivre.
Et bien sûr ce n’était pas moi, minuscule marin de faïence, qui pouvais lui servir de maitre.
Un jour, je surpris une discussion entre Julot et Marthe : ils trouvaient que le chien leur coûtait trop cher et projetaient de le perdre dans la forêt. Comme ils n’avaient pas de voiture pour repartir en vitesse dès qu’ils l’auraient abandonné, ils avaient mis au point un plan machiavélique. Ils l’endormiraient avec de l’éther, le déposeraient dans une petite carriole qu’ils trainaient derrière eux quand ils faisaient les courses et le laisseraient en pleine forêt. Et pour que le chien ne puisse pas retrouver leur trace grâce à son flair, ils laisseraient tomber par-ci par-là quelques gouttes d’éther pour le désorienter.
Je racontai tout à Mirron qui se mit à gémir et se lamenter.
- Bah, lui-dis-je, tu n’as qu’à ne pas te laisser faire quand ils voudront t’endormir.
- Impossible, dit Mirron, je suis un chien, je ne peux pas me rebeller contre mes maitres…
Je me creusai la tête pour trouver un moyen de l’aider et c’est là que je pensai au Petit Poucet que ses parents voulaient perdre dans la forêt. A ma demande, Mirron me décrivit la carriole :
- C’est une espèce de caisse en bois, à moitié pourrie, avec des trous partout et une vieille couverture qui recouvre le fond.
- Parfait dis-je, voilà ce que tu feras : le jour où ils décideront d’aller te perdre, je te ferai signe. Tu me prendras dans ta gueule et tu me déposeras dans la carriole, sous la couverture. Ensuite tu te laisseras endormir sans broncher. Fais-moi confiance, tout se passera bien.
Tout se passa comme prévu : nous sommes retrouvés Mirron endormi sous la couverture, moi dessous dans la carriole que les maitres tiraient vers la forêt. Et c’est là que mon plan « Petit Poucet » entra en action. Aidé par les cahots du chemin, je tanguai d’un bord à l’autre sur les planches, perdant petit à petit toutes mes pièces, qui s’échappaient ensuite par les trous, balisant le chemin comme les petits cailloux du conte.
Arrivés au cœur de la forêt, Julot et Marthe renversèrent la carriole pour en sortir le chien, et en même temps, je tombai à son côté. Tout contents, ils repartirent. Une heure plus tard, Mirron se réveilla et je lui dit :
- Grâce aux pièces, nous allons pouvoir revenir à la maison. Et tu prendras bien soin de les ramasser au fur et à mesure et de les glisser dans la fente de tirelire derrière ma tête.
Hélas nous eûmes beau chercher partout aux alentours, pas trace de pièce. Et tout d’un coup, une évidence me frappa : «Oh là là, je suis le roi des idiots : les deux avares sont revenus par le même chemin et forcément ils ont vu les pièces et les ont ramassées ! »
Non seulement nous ne retrouverions pas la maison, mais en plus, j’étais désormais sans un sou, pauvre comme Job.
Pourquoi donc à présent, Mirron me regardait-il avec des yeux joyeux et en frétillant de la queue ?
- Eh eh aboya-t-il, tu n’as rien remarqué ?
Remarqué ? Ah mais oui, à mes pieds gisaient les morceaux de la tirelire brisée, tandis que moi, moi j’avais retrouvé mon corps de marin costaud et libre de ses mouvements. Le génie qui m’avait transformé en tirelire quand j’avais souhaité être riche, avait rompu le sortilège une fois ma richesse perdue.
Je demandai à Mirron :
- Et maintenant, tu veux bien de moi comme maître ?
- Avec joie répondit-il, je te suivrai partout.
Et tous deux, nous partîmes dans la première direction qui se présentait, sans un sou, mais certains que nous serions heureux ensemble.
Dernière édition par tobermory le Sam 28 Mai - 17:48, édité 2 fois
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: A.La tirelire
J'adore ton histoire !!!!!!!
Et la façon dont tu as traité la consigne et comment est-ce que tu fais le lien avec le conte du petit poucet !
J'ai aimé comment tu as rendu vivant et attachant ce marin qui "traîne" sur la commode d'Amanda.
De vrais compagnons d'infortunes dont j'ai aimé suivre les aventures !
Et la façon dont tu as traité la consigne et comment est-ce que tu fais le lien avec le conte du petit poucet !
J'ai aimé comment tu as rendu vivant et attachant ce marin qui "traîne" sur la commode d'Amanda.
De vrais compagnons d'infortunes dont j'ai aimé suivre les aventures !
July_C- Kaléïd'habitué
- Humeur : qui vagabonde
Re: A.La tirelire
D'abord @ July : le marin ne traine pas sur ma commode, il l'enjolive et je le caresse en passant, bref il est bien traité !
@ Tober j'édite ton texte tu as oublié A. La tirelire.
@ Tober j'édite ton texte tu as oublié A. La tirelire.
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: A.La tirelire
Et Tober, j'adooore ton histoire même si cela signifie que le vieux marin me quitte
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: A.La tirelire
J'aime bien l'histoire de l'homme-tirelire, ou de la tirelire homme.
On se doutait en lisant l'histoire que les pingres de maître ramasseraient les pièces.
Cependant, que l'homme soit libéré, je ne le voyais point venir.
J'ai adoré. Sans le sous, mais heureux et libre avant tout !
On se doutait en lisant l'histoire que les pingres de maître ramasseraient les pièces.
Cependant, que l'homme soit libéré, je ne le voyais point venir.
J'ai adoré. Sans le sous, mais heureux et libre avant tout !
Cara1234- Kaléïd'habitué
- Humeur : Badine
Re: A.La tirelire
J'adore ton histoire, ton conte car il finit bien. Il te reste à trouver une femme , à te marier. pour terminer par "ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants"
Dernière édition par Charlotte le Sam 28 Mai - 16:29, édité 1 fois
Charlotte- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: A.La tirelire
Moi aussi j'ai adoré ton histoire, extrêmement bien ficelée. Un mélange du petit Poucet et des aristochats, avec à la place des chats un bon gros toutou.
C'est une histoire qui plairait beaucoup à des enfants. Et elle serait facile à illustrer.
Alors, à tes crayons
En attendant:
C'est une histoire qui plairait beaucoup à des enfants. Et elle serait facile à illustrer.
Alors, à tes crayons
En attendant:
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: A.La tirelire
Un joli conte à raconter aux enfants.
Je ne m'attendais pas à la fin, à ce qu'il retrouve son corps de marin. Une chute inattendue c'est toujours sympa dans un texte
Une belle imagination mais çà on savait que tu en as de l'imagination Tober!
Je ne m'attendais pas à la fin, à ce qu'il retrouve son corps de marin. Une chute inattendue c'est toujours sympa dans un texte
Une belle imagination mais çà on savait que tu en as de l'imagination Tober!
Sherkane- Kaléïd'habitué
- Humeur : ....
Re: A.La tirelire
quelle imagination ! une tirelire qui retrouve sa liberté après s'être délestée de ses pièces d'or et d'argent, voilà qui ne va pas dans le sens de notre histoire contemporaine, et en plus un chien solidaire,comme quoi, ceux qui pensent qu'une autre société est possible ont raison d'y croire. Vive l'utopie !
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: A.La tirelire
Tu es le seul à être parti de la statuette pour finir en personnage, une histoire inversée en quelque sorte, et qui nous laisse le loisir d'imaginer une fin ouverte. Des personnages très bien rendus au fil d'une lecture très agréable.
virgul- Kaléïd'habitué
- Humeur : optimiste
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