A. Le secret de Clair Portau

« Votre lointain cousin Clair Portau est mort. »

Je me souviendrai toujours de ce qu’avait dit le notaire avant de me donner l’objet et de m’annoncer ses honoraires. Je m’étais sentie un peu gênée d’hériter de quelqu’un pour qui je ne ressentais pas de peine parce que je ne le connaissais pas, mais en même temps, j’étais frustrée qu’il ne me lègue pas sa fortune. Car j’avais enquêté après avoir rencontré le notaire :

Clair Portau était originaire de Charente-Maritime, il aimait la navigation, et il avait bâti sa richesse en jouant à des jeux d’argent qu’il gagnait toujours. Le journal local ainsi que des enquêteurs s’étaient penchés sur la question ; il était presque impossible de gagner aussi souvent à des jeux autant hasardeux. Pourtant, il gagnait sans triche apparente.

Je voulais percer à jour son secret mais une recherche sur internet n’était pas suffisante ; il avait fallu enquêter auprès du voisinage. J’avais alors découvert qu’il proposait ses services de voyance. Et selon ses voisins, il visait toujours juste.


La vision était claire : en ouvrant le coffre, les numéros du loto étaient à moi. Il ne pouvait que me léguer un tel héritage. À quoi bon me laisser un coffre et une clé, si ce n’est pas pour que je puisse à mon tour profiter de son secret ?

Pourtant, en retournant le problème dans tous les sens, je ne parvenais pas à ouvrir le coffre avec la clé, celle-ci se positionnait variablement à l’intérieur de la serrure. Je n’avais pas de chance, il m’avait donné la mauvaise clé. Peut-être fallait-il vraiment le forcer ? Mais je ne pouvais m’y résoudre malgré l’inscription : « Dans les cas hasardeux, il faut brusquer la chance… ».

Mais cette énigme me tourmentait, et je voulais en connaître au plus vite le dénouement ; je décidai de forcer le destin. Je pris un cric pour faire levier, le coffre s’ouvrit, mais un liquide s’y déversa brouillant le message inscrit sur le fond du coffre. Je n’eus pas le temps de lire. Mais le liquide s’évapora, aussi vite qu’il était apparu, pour laisser place à une autre inscription : « Ne pas brusquer la chance est hasardeux. ».

Je ne comprenais plus rien : était-ce cette phrase son héritage ? Cela n’avait aucun sens, pourquoi me donnait-il des consignes aussi contradictoires ? Et quel était son message avant que le liquide ne vienne l’effacer ? J’avais dû manquer quelque chose. Je n’étais pas satisfaite. L’énigme était encore plus grande. Agacée, j’envoyai valser le coffre et la clé. Le coffre glissa sur une étagère en renversant livres et bibelots ; la clé atterri dans la cheminée. Cette dernière se déforma sous l’effet de la chaleur, puis se figea.

Cette vision fit revenir à mon esprit les enseignements de mon grand-père. « Brusquer », c’est un langage de marin ! Il faut chauffer pour réparer ! La clé, ou plutôt la chance, était cassée ; en la chauffant, on la restaure. « Dans » correspond à l’intérieur de la serrure, et « les cas hasardeux » sont les différents possibilités de mettre la clé à l’intérieur de cette serrure.

L’énigme était résolue ; mais « brusquer » n’était pas forcer. Clair Portau garderait à jamais son secret.