A. Quelle heure est-il ?

Quelle heure est-il ?

« Le 13 tombe un vendredi ». C'est le texto que j'ai reçu sur mon téléphone sécurisé. Je dois dire que j'attendais ce message assez fébrilement depuis plusieurs mois. Dans cette activité, l'attente est toujours longue. Pénible parfois. Je ne peux pas quitter Paris, je dois être disponible dans l'heure, de jour comme de nuit, vous comprendrez aisément qu’occuper son temps à ne rien faire, ne constitue pas une activité particulièrement réjouissante. Mais voilà. Quand on veut s’en sortir dans la vie, quand on a sa fierté, on accepte les sacrifices, on est quasiment prête à tout.

Maintenant que tout est terminé, je peux bien vous montrer la photo qui a été produite par la suite. Je suis la cinquième personne en partant de la gauche. Oui, c'est cela, la femme brune avec des lunettes sombres. C'est à la terrasse de cette brasserie que le contact devait être établi. Mon correspondant, arrivant à pied, m'interpellerait pour me demander l’heure. Il poserait une main sur la table de bistrot, tandis que que je regarderais ma montre pour le renseigner,  puis repartirait nonchalamment en ayant laissé une sorte de petite boîte que je saisirais négligemment et la déposerais dans mon sac. C'était tout.  C'était simple. Plutôt bien payé. Très bien même. C'est exactement ainsi que ça s'est déroulé. Sauf que  la suite ne fut pas ce que j'espérais. Je n'avais pas suffisamment  conscience des risques.

La photo a été prise quelques instants après l’épisode de demander l’heure. On voit encore la personne s'éloigner, avec son lourd sac sur l'épaule droite. Je n'avais plus qu'à payer ma consommation, et partir dans l'autre sens, sans me presser, le plus normalement du monde. C'est ce que j'ai fait d'ailleurs. Il ne me restait plus qu'à transmettre par le réseau habituel le contenu de la boîte.

C'est le lendemain, chez moi, au petit jour, qu'ils sont venus m'arrêter. J'ai joué le jeu prévu. Indignation, incompréhension, crédulité, j'ai même pleuré comme on me l'avait recommandé, demandé de pouvoir appeler ma mère au téléphone, enfin bref, j'ai joué la parfaite innocente et la blanche caille… bien que brune… évidemment, cela n'a pas du tout fonctionné…

Pas loin de deux années plus tard eut lieu mon procès pour espionnage. Enfin, comme ils disent dans leur jargon : pour intelligence avec une puissance étrangère. En fait d'intelligence, c'est bien moi qui en ai manqué… En prison, je n'ai eu de cesse de me demander qui, comment, par qui, j'avais été trahie. Car d'autres fois, le système avait parfaitement fonctionné.

C'est lorsqu'elle a témoigné au procès que je l'ai reconnue. J’avais si longtemps regardé cette photo versée aux débats. C'était clair. On la voyait sur la photo, à l'autre bout, quasiment sous le parasol bleu. La main sur l'oreille pour bien dissimuler son oreillette. Elle appartenait au contre-espionnage. On m'avait dit de partir sans me retourner, pour ne pas attirer l'attention. J'aurais dû me retourner. Trouver le moyen de les semer. Là aussi on m’avait dit comment faire, les magasins à plusieurs entrées, les sorties par derrière des restaurants, les cours, les planques dans le métro, etc…. Je fut trop confiante. Elle m'avait suivie, ainsi que quelques autres d'ailleurs. c'est comme ça qu'ils m'avaient « logée », comme ils disent, c'est-à-dire repéré mon domicile, ma planque.

J'ai été condamné à 80 000 € d'amende, un an de prison dont six mois avec sursis. Je n’étais qu’une petite espionne de dernière catégorie, une sorte de mule.  Comme j'avais déjà fait les six mois en détention provisoire. Je ne suis pas retournée en taule.
Ils ont quand même réalisé que je n’étais qu'un petit rouage, une femme naïve qui, au chômage, s'était laissée embobiner pour quelques liasses d'euros en échange de menus services…

80 000 € d’amende ! C’est lourd quand même, il paraît qu'on ne badine pas avec la sécurité nationale !  Comment je vais pouvoir payer ça….  le reste de ma vie n’y suffira pas…

Au fait, vous n’auriez pas un truc à me proposer ?
Dealer, j’ai pas essayé encore….