Un grand dortoir
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sprite!
Charlotte
Admin
Kz
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Un grand dortoir
Un texte ancien. tellement évident par rapport à la consigne qu'il m'a suffi d'ajouter l'incipit. Ce souvenir est si fort que je ne suis pas capable d'écrire autre chose.
Le jour se lève sur le dortoir ; il est cinq heures. En hauteur, les baies vitrées, sans volets ni rideaux, laissent s’engouffrer perfidement la lumière crue du soleil levant comme si dans un pensionnat, dormir était une incongruité. Autour de nous une dizaine de lits vides, couverts de leurs alèses défraîchies. Et puis les deux sommiers métalliques que nous avons désertés, dérisoires cottes de maille épuisées des batailles de polochons de potaches insouciants. A nos âges, les cuvettes ne conviennent plus.
Sur le mur, en face, le porte-manteau s’illumine ; accrochée sur le cintre, une veste noire enluminée d’un riche galon turquoise surligné de rose.
L’ombre et la lumière me fascinent. Je regarde le noir et le blanc, cassé par les minuscules motifs du papier peint. Je suis les lignes, le flou incliné des ombres, l’horizontale sèche du portemanteau, la netteté des crochets qui s’imposent, désespérément fonctionnels. Et pourtant.
Tu es là, étendue, à côté de moi. Prévoyante, tu avais mis un masque. Tu continues de dormir, et moi de rêver. Je vois ta chevelure d’argent qui adoucit si délicatement les traits un peu plus creusés de ton visage. Je contemple les ombres dessinées sur le mur, cette veste soigneusement posée sur son cintre, les crochets dorés, obsolètes et dérisoires.
Je m’interroge : est-ce beau ? La question est difficile, je n’en ai pas l’évidence. Et pourtant ce qui compte, c’est ce moment vital, à l’orée d’un jour nouveau, dans la fraîcheur d’un matin calme, où le vêtement d’une femme soigneusement posé sur un cintre révèle sa beauté.
Hier, tu t’étais habillée pour le baptême de notre petite fille. Longtemps, tu avais travaillé cette tenue. Les souvenirs remontent. Je te revoie dans la pénombre de la salle obscure où nous avions été voir « Tigres et dragons », sortir ton agenda et, t’aidant de la lumière passagère de quelques scènes lumineuses, chercher à croquer ces robes de Chine dont tu avais si longtemps rêvé. Et puis, ce long travail de couture, patient et obstiné.
La veste est posée là-bas, et toi, tu reposes. Tu es belle dans ton sommeil comme tu l’es dans ton vêtement de fête.
Je revois la journée d’hier, cette liturgie sublime où trois nouveau-nés, immergés dans l’eau, nus et vulnérables, font surgir la splendeur d’un mystère bouleversant. L’Eglise, tout comme cette veste accrochée là, devient tout d’un coup évidente, lumineuse, immédiate. Je goûte l’instant comme un enfant une boule de glace sous le soleil de juillet. La lumière l’emporte sur les ténèbres, la joie sur la souffrance, la vie sur la mort, le bien sur le mal.
Je tergiverse un instant. Se lever, pour fixer la lumière, si tôt, est-ce bien nécessaire ? L’hésitation est longue, je pourrai encore me rendormir. Et l’image est ridicule : un portemanteau, un vêtement, une lumière trop pâle, essoufflée par un mur défraîchi. Qui oserait une photo aussi stupide ? Personne. Définitivement. Sauf que j’en ai envie et que ce goût-là ne se discute pas.
Et puis, comme l’astronome qui observe une éclipse, je sens que l’instant va m’échapper, que le carrosse va redevenir citrouille si tant est qu’il ai jamais été carrosse. C’est maintenant, ou ce sera trop tard. Sortir de son lit le matin, est toujours un pari sur la vie. Mais je sais trop l’éphémère de ces moments là pour les laisser filer sans en épuiser la saveur. Puisqu’il faut des lumières pour traverser ses ténèbres, je vais saisir l’instant comme on arrache une herbe au bord du chemin pour la porter à sa bouche et en nourrir ses rêves.
Mémoire d’un Dieu présent à travers l’ordinaire d’un vêtement de fête suspendu à une patère éclairée par le soleil levant.
Le jour se lève sur le dortoir ; il est cinq heures. En hauteur, les baies vitrées, sans volets ni rideaux, laissent s’engouffrer perfidement la lumière crue du soleil levant comme si dans un pensionnat, dormir était une incongruité. Autour de nous une dizaine de lits vides, couverts de leurs alèses défraîchies. Et puis les deux sommiers métalliques que nous avons désertés, dérisoires cottes de maille épuisées des batailles de polochons de potaches insouciants. A nos âges, les cuvettes ne conviennent plus.
Sur le mur, en face, le porte-manteau s’illumine ; accrochée sur le cintre, une veste noire enluminée d’un riche galon turquoise surligné de rose.
L’ombre et la lumière me fascinent. Je regarde le noir et le blanc, cassé par les minuscules motifs du papier peint. Je suis les lignes, le flou incliné des ombres, l’horizontale sèche du portemanteau, la netteté des crochets qui s’imposent, désespérément fonctionnels. Et pourtant.
Tu es là, étendue, à côté de moi. Prévoyante, tu avais mis un masque. Tu continues de dormir, et moi de rêver. Je vois ta chevelure d’argent qui adoucit si délicatement les traits un peu plus creusés de ton visage. Je contemple les ombres dessinées sur le mur, cette veste soigneusement posée sur son cintre, les crochets dorés, obsolètes et dérisoires.
Je m’interroge : est-ce beau ? La question est difficile, je n’en ai pas l’évidence. Et pourtant ce qui compte, c’est ce moment vital, à l’orée d’un jour nouveau, dans la fraîcheur d’un matin calme, où le vêtement d’une femme soigneusement posé sur un cintre révèle sa beauté.
Hier, tu t’étais habillée pour le baptême de notre petite fille. Longtemps, tu avais travaillé cette tenue. Les souvenirs remontent. Je te revoie dans la pénombre de la salle obscure où nous avions été voir « Tigres et dragons », sortir ton agenda et, t’aidant de la lumière passagère de quelques scènes lumineuses, chercher à croquer ces robes de Chine dont tu avais si longtemps rêvé. Et puis, ce long travail de couture, patient et obstiné.
La veste est posée là-bas, et toi, tu reposes. Tu es belle dans ton sommeil comme tu l’es dans ton vêtement de fête.
Je revois la journée d’hier, cette liturgie sublime où trois nouveau-nés, immergés dans l’eau, nus et vulnérables, font surgir la splendeur d’un mystère bouleversant. L’Eglise, tout comme cette veste accrochée là, devient tout d’un coup évidente, lumineuse, immédiate. Je goûte l’instant comme un enfant une boule de glace sous le soleil de juillet. La lumière l’emporte sur les ténèbres, la joie sur la souffrance, la vie sur la mort, le bien sur le mal.
Je tergiverse un instant. Se lever, pour fixer la lumière, si tôt, est-ce bien nécessaire ? L’hésitation est longue, je pourrai encore me rendormir. Et l’image est ridicule : un portemanteau, un vêtement, une lumière trop pâle, essoufflée par un mur défraîchi. Qui oserait une photo aussi stupide ? Personne. Définitivement. Sauf que j’en ai envie et que ce goût-là ne se discute pas.
Et puis, comme l’astronome qui observe une éclipse, je sens que l’instant va m’échapper, que le carrosse va redevenir citrouille si tant est qu’il ai jamais été carrosse. C’est maintenant, ou ce sera trop tard. Sortir de son lit le matin, est toujours un pari sur la vie. Mais je sais trop l’éphémère de ces moments là pour les laisser filer sans en épuiser la saveur. Puisqu’il faut des lumières pour traverser ses ténèbres, je vais saisir l’instant comme on arrache une herbe au bord du chemin pour la porter à sa bouche et en nourrir ses rêves.
Mémoire d’un Dieu présent à travers l’ordinaire d’un vêtement de fête suspendu à une patère éclairée par le soleil levant.
Kz- Kaléïd'habitué
- Humeur : bonne
Re: Un grand dortoir
C'est un superbe texte, et l'incipit va parfaitement avec.
Je ne sais si la photo est de toi, mais elle va super bien avec ton texte et elle est particulièrement réussie elle aussi.
Merci pour ce beau moment de lecture
Je ne sais si la photo est de toi, mais elle va super bien avec ton texte et elle est particulièrement réussie elle aussi.
Merci pour ce beau moment de lecture
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: Un grand dortoir
C'est magnifique, c'est divin... Dieu est en effet dans l'infiniment petit.
Charlotte- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: Un grand dortoir
Je suis heureuse d'avoir choisi tes 'lumières pour traverser les ténèbres'. Chaque fois que je relirai notre Renku, je reviendrai en pensées vers ce beau texte.
sprite!- Kaléïd'habitué
- Humeur : variable avec brumes suivies d’éclaircies
Re: Un grand dortoir
Voici un texte élaboré comme sait si bien les faire kz !
Magie d'un instant rehaussé par une image insolite ...
Magie d'un instant rehaussé par une image insolite ...
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Re: Un grand dortoir
Puisqu’il faut des lumières pour traverser ses ténèbres, je vais saisir l’instant comme on arrache une herbe au bord du chemin pour la porter à sa bouche et en nourrir ses rêves.
Tout est dans cette phrase magnifique !
Tout est dans cette phrase magnifique !
Bruyère- Kaléïd'habitué
- Humeur : apaisée
Re: Un grand dortoir
Un texte qui m'impose le respect que je le ferais en entrant dans une église, je ressens une intense émotion dont je ne saurais dire si elle triste ou juste belle, en tout cas un texte qui me touche infiniment et qui est pour moi, le plus abouti de tous ceux que j'ai lu sur cette consigne, qui a pourtant donné de très bons textes, le tien se détache... Bravo
plumentete- Kaléïd'habitué
- Humeur : heureuse attentive
Re: Un grand dortoir
Un texte nostalgique et empli de douceur.
La volonté du photographe avide de saisir l'instant afin de l'immortaliser est ici toujours sous-jacente.
Une question KZ : je n'ai pas très bien compris l'introduction de ton texte sur un dortoir de potache. Je n'arrive pas à faire le lien avec la suite. Peux-tu m'expliquer ? C'est peut être tout bête mais j'ai beau relire, je ne vois pas.
La volonté du photographe avide de saisir l'instant afin de l'immortaliser est ici toujours sous-jacente.
Une question KZ : je n'ai pas très bien compris l'introduction de ton texte sur un dortoir de potache. Je n'arrive pas à faire le lien avec la suite. Peux-tu m'expliquer ? C'est peut être tout bête mais j'ai beau relire, je ne vois pas.
Invité- Invité
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