A - De mère en fille.
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catsoniou
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July_C
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A - De mère en fille.
« Il a fallu me rendre rapidement à l’évidence que les gens n’attendent en général qu’une seule chose de vous ; que vous leur renvoyiez l’image de ce qu’ils attendent que vous soyez. Et cette image que je leur proposais, ils n’en voulaient surtout pas. »
Mes proches, mais surtout ma chère mère, projetaient sans cesse leurs angoisses de la solitude sur moi. Y’a rien à faire pour elle ! Mais moi qu’est-ce qu’elle pouvait me casser les pieds !
« Et toi quand est-ce que tu nous trouves quelqu’un ? », « Il serait temps de songer à te marier, car ton horloge biologique ne t’attendra pas. » Ou encore la phrase qui me tuait le plus « c’est parce que tu es trop exigeante. »
Je ne te raconte donc pas les phrases entendues lorsque j’exprimais mon non désir de maternité. En plus d’être exigeante, je faisais partie de ces personnes égoïstes qui ne pensaient qu’à elles. Ma mère, quant à elle, pleurait aux larmes car je ne lui offrais pas la possibilité de tenir à nouveau un petit être dans ses bras. Elle avait cette fâcheuse habitude de surjouer, de théâtraliser sa tristesse pour me rendre coupable de ses malheurs. Elle était très forte à ce jeu par ailleurs !
Dès lors que j’exprimais mes envies, elle trouvait toujours le moyen de m’assassiner pour tout ramener à elle. J’étais devenue son égoïste. Son objet incontrôlable. Ce pantin qu’elle n’arrivait pas à manipuler à sa guise. Et pourtant, si elle savait que toutes ses paroles me brûlaient de l’intérieur. Des mauvaises graines qu’elle plantait là sans que je ne puisse y faire grand-chose. Je me débattais sans cesse pour me délivrer de sa voix dans mon intérieur… A chaque situation que je rencontrais dans le quotidien… J’entendais « et toi tu vas mourir seule… », « personne ne prendra soin de toi lorsque tu seras vieille… », « ma pauvre fille, quand tu seras défraîchie… plus personne ne voudra de toi… », « tu es nulle, tu ne sers à rien… »
Je ressentais alors quelque chose qui ne m’appartenait pas mais qui était pourtant là, tapie tout au fond de moi. Cette peur, qui me traversait, était celle de ma mère. Cette émotion avait pris corps dans ma chair, dans mon corps. Elle transférait tout son négatif… son égoïsme, ses exigences, ses angoisses. Je n’avais pour rôle que d’être la fille-réceptacle de ses défaillances. Elle était devenue au fil de ma vie un poison sans nom. Ce poison injecté dans mes veines tentait de me faire courber l’échine. Le dos fracassé, je gardais la tête haute. Je me débattais sans cesse pour ne pas me laisser vampiriser par ses attentes et par les coups qu’elle m’envoyait en pleine face.
Il m’a fallu du temps, même des années après sa mort, pour ne plus l’entendre me parler… et pour comprendre que dans ses paroles, tout ce qu’elle désirait, c’était que quelqu’un s’occupe d’elle lorsqu’elle serait vieille et défraîchie. Ma mère ne me rencontrerait jamais. Elle ne me connaissait qu’à travers son désespoir et l’amour qu’elle ne pouvait pas me donner.
Et moi, dans tout cela, je suis devenue ce qu’elle a fait de moi. Je ne regrette en rien, car très jeune j’avais compris que ma mère ne voulait pas de mon vrai moi, et c’est avec cela que j’ai construit ma vie. J’ai appris à te regarder et à te consoler. Ma chère enfant, je suis vieille désormais, viendra le jour où tu feras toi aussi le point, et que tu comprendras tout ce que j’ai essayé d’être pour toi, avec ma force mais aussi avec mes failles.
Le liseur du 6h27 – Jean-Paul Didierlaurent – page 136Mes proches, mais surtout ma chère mère, projetaient sans cesse leurs angoisses de la solitude sur moi. Y’a rien à faire pour elle ! Mais moi qu’est-ce qu’elle pouvait me casser les pieds !
« Et toi quand est-ce que tu nous trouves quelqu’un ? », « Il serait temps de songer à te marier, car ton horloge biologique ne t’attendra pas. » Ou encore la phrase qui me tuait le plus « c’est parce que tu es trop exigeante. »
Je ne te raconte donc pas les phrases entendues lorsque j’exprimais mon non désir de maternité. En plus d’être exigeante, je faisais partie de ces personnes égoïstes qui ne pensaient qu’à elles. Ma mère, quant à elle, pleurait aux larmes car je ne lui offrais pas la possibilité de tenir à nouveau un petit être dans ses bras. Elle avait cette fâcheuse habitude de surjouer, de théâtraliser sa tristesse pour me rendre coupable de ses malheurs. Elle était très forte à ce jeu par ailleurs !
Dès lors que j’exprimais mes envies, elle trouvait toujours le moyen de m’assassiner pour tout ramener à elle. J’étais devenue son égoïste. Son objet incontrôlable. Ce pantin qu’elle n’arrivait pas à manipuler à sa guise. Et pourtant, si elle savait que toutes ses paroles me brûlaient de l’intérieur. Des mauvaises graines qu’elle plantait là sans que je ne puisse y faire grand-chose. Je me débattais sans cesse pour me délivrer de sa voix dans mon intérieur… A chaque situation que je rencontrais dans le quotidien… J’entendais « et toi tu vas mourir seule… », « personne ne prendra soin de toi lorsque tu seras vieille… », « ma pauvre fille, quand tu seras défraîchie… plus personne ne voudra de toi… », « tu es nulle, tu ne sers à rien… »
Je ressentais alors quelque chose qui ne m’appartenait pas mais qui était pourtant là, tapie tout au fond de moi. Cette peur, qui me traversait, était celle de ma mère. Cette émotion avait pris corps dans ma chair, dans mon corps. Elle transférait tout son négatif… son égoïsme, ses exigences, ses angoisses. Je n’avais pour rôle que d’être la fille-réceptacle de ses défaillances. Elle était devenue au fil de ma vie un poison sans nom. Ce poison injecté dans mes veines tentait de me faire courber l’échine. Le dos fracassé, je gardais la tête haute. Je me débattais sans cesse pour ne pas me laisser vampiriser par ses attentes et par les coups qu’elle m’envoyait en pleine face.
Il m’a fallu du temps, même des années après sa mort, pour ne plus l’entendre me parler… et pour comprendre que dans ses paroles, tout ce qu’elle désirait, c’était que quelqu’un s’occupe d’elle lorsqu’elle serait vieille et défraîchie. Ma mère ne me rencontrerait jamais. Elle ne me connaissait qu’à travers son désespoir et l’amour qu’elle ne pouvait pas me donner.
Et moi, dans tout cela, je suis devenue ce qu’elle a fait de moi. Je ne regrette en rien, car très jeune j’avais compris que ma mère ne voulait pas de mon vrai moi, et c’est avec cela que j’ai construit ma vie. J’ai appris à te regarder et à te consoler. Ma chère enfant, je suis vieille désormais, viendra le jour où tu feras toi aussi le point, et que tu comprendras tout ce que j’ai essayé d’être pour toi, avec ma force mais aussi avec mes failles.
Petit clin d'oeil à Virgul !
Dernière édition par July_C le Lun 4 Juil - 18:30, édité 1 fois
July_C- Kaléïd'habitué
- Humeur : qui vagabonde
Re: A - De mère en fille.
Quelle belle suite.
Je retrouve tes convictions et ta volonté.
Ta détermination.
Suis heureuse de te relire.
Je retrouve tes convictions et ta volonté.
Ta détermination.
Suis heureuse de te relire.
Cara1234- Kaléïd'habitué
- Humeur : Badine
Re: A - De mère en fille.
On retrouve du vécu là dedans ! C'est bien d'avoir pu le formuler et l'analyser comme tu le fais. C'est un pas de plus.
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: A - De mère en fille.
Un texte très fort sur une certaine relation mère-fille, très bien analysée, et en pleine résonnance avec la phrase initiale.
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: A - De mère en fille.
Difficile de rester indifférente à ce texte quand on est mère.
Quelques maladresses (très peu) mais aussi de très belles phrases. Si j'en retenais une ce serait celle-ci:
Ma mère ne me rencontrerait jamais. Elle ne me connaissait qu’à travers son désespoir et l’amour qu’elle ne pouvait pas me donner.
Quelques maladresses (très peu) mais aussi de très belles phrases. Si j'en retenais une ce serait celle-ci:
Ma mère ne me rencontrerait jamais. Elle ne me connaissait qu’à travers son désespoir et l’amour qu’elle ne pouvait pas me donner.
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: A - De mère en fille.
j’avais compris que ma mère ne voulait pas de mon vrai moi,
En quelque sorte, une mère qui aurait voulu d'un enfant à la personnalité conforme à l'idée qu'elle se faisait de l'enfant idéal ?
Il y a ainsi beaucoup de personnes qui collent une image sur une telle ou un tel et ne comprennent pas qu'ils puissent suivre un autre chemin que celui qu'elles leur ont attribué ...
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Re: A - De mère en fille.
J'ai lu ce livre extraordinaire ! Je le conseille à tout le monde !
July ton texte me touche infiniment. Merci pour le partage sans fausse pudeur !
July ton texte me touche infiniment. Merci pour le partage sans fausse pudeur !
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: A - De mère en fille.
Un texte comme un cri! Le droit à la différence, le droit à être soi.
Sherkane- Kaléïd'habitué
- Humeur : ....
Re: A - De mère en fille.
July, merci pour le clin d'oeil.
Ton texte est en effet très fort et traduit superbement bien cette relation mère - fille, hors nature, dans laquelle égoisme et égocentrisme de l'une tente de jouer avec la culpabilité de la seconde. Attitude nocive dont il est très difficile de se défendre et qui laisse des traces. La fin de ton texte est heureusement rempli d'espoir. Merci pour ce très beau texte.
Ton texte est en effet très fort et traduit superbement bien cette relation mère - fille, hors nature, dans laquelle égoisme et égocentrisme de l'une tente de jouer avec la culpabilité de la seconde. Attitude nocive dont il est très difficile de se défendre et qui laisse des traces. La fin de ton texte est heureusement rempli d'espoir. Merci pour ce très beau texte.
virgul- Kaléïd'habitué
- Humeur : optimiste
Re: A - De mère en fille.
Est-ce une question de génération ? Mais pour bien des choses ma mère était une copie conforme de la tienne. J'ai mis plus de temps que toi à comprendre que j'étais manipulée. Une chose est sûre vis-à-vis de mon fils j'ai essayé de ne surtout pas reproduire cette pression. Mais que le métier de parent est difficile, on est si souvent sur une corde raide.
Martine27- Kaléïd'habitué
- Humeur : Carpe diem
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