Mon chef, mon amour
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Mon chef, mon amour
[Je tente de résorber mon retard au jeux d'écriture, donc en voilà déjà un...]
Cher oncle
Figure-toi qu’il m’est arrivé une chose inimaginable il y a un peu plus d’un mois de cela. Non, ni maman ni Edith ne t’en ont parlé, elles qui te tiennent pourtant la chronique de la vie familiale au jour le jour. Bien sûr, elles n’auraient pas pu garder ce secret pour elles, mais voilà, je n’en ai parlé à personne. Inimaginable et Patrick, ça ne va pas ensemble, penses-tu. Eh bien, essaye d’imaginer. Non, je n’ai pas gagné le gros lot à la loterie, je ne me suis pas porté candidat sur une liste municipale. Je n’ai pas adopté un éléphanteau ni adhéré à l’Eglise de scientologie. Non, rien de tout cela, mais bien plus inimaginable, inattendu, imprévisible pour toi comme pour moi.
Figure-toi que je suis tombé amoureux. Mais non non, là n’est pas l’inimaginable et je suis sûr d’ailleurs que tu peux l’imaginer. Non, pas ça, même si ç’en est la cause. Non, l’impensable, le prodigieux, le renversant, c’est que, c’est que… j’ai mis une cravate. Oui, une cravate, ce truc qui fait mine de vous étrangler pour ensuite venir plastronner sur votre poitrine. Un espèce de pendaison à l’envers, moins directement mortelle que l’autre mais totalement inutile et ô combien ridicule. Tu sais que j’ai toujours refusé de porter cet ornement vain entre tous, que ce soit celle à élastique que voulait m’imposer ma mère ou celle, prétendue adulte qu’il est de bon ton d’arborer aux mariages enterrements et autre occasions solennelles. Et tu n’ignores pas non plus que j’ai refusé une promotion dans mon service parce le poste aurait exigé im-pé-ra-ti-ve-ment le port de la chose.
Alors, comment en suis-je arrivé à nier ainsi la plus sacrée de mes valeurs ?
Eh bien, comme je l’ai déjà dit, parce que je suis tombé amoureux. Voilà l’histoire :
Comme tous les midis en semaine, j’étais allé manger un sandwiche au parc Monceau, à deux pas de mon bureau. Assise sur le banc à deux mètres du mien était assise une jeune femme, le regard plongé dans un livre. Etait-elle vraiment jolie, je ne sais pas, peut-être que c’était cet air de concentration qui faisait sa beauté du moment. En tout cas, je me suis tout de suite senti attiré vers elle. Pour créer une connivence, j’ai sorti de ma besace le livre dont je comptais lire un ou deux chapitres pendant ma pause déjeuner et j’ai fait semblant de m’y absorber. Semblant car mes yeux ne captaient pas trois mots sans revenir vers la liseuse. Les siens finiraient bien par se lever. En effet, ils quittèrent leur page quelques instants et se tournèrent dans ma direction, mais j’eus beau afficher mon air le plus engageant, la donzelle ne marqua pas le moindre signe d’intérêt. J’étais déçu et vexé. Un moment plus tard, elle posa son livre à côté d’elle pour ingurgiter un yaourt. Je fis mine d’être pris soudain d’une envie soudaine de me dégourdir les jambes. Je me levai pour un tour rapide dans le parc et regagnai mon banc en passant nonchalamment devant le sien, sur lequel le livre exhibait sa couverture. C’était un « Harlequin » ; au premier plan, un type bien bâti, visage énergique et bronzé gravissait quatre à quatre une volée de marches, un attaché-case à la main, costar-cravate au vent. En arrière-plan, une dactylo blonde s’afférait sur sa machine. Titre : « Mon chef, mon amour ».
Eh bien voilà, au moins je savais quel était le type d’homme qui faisait rêver la demoiselle, et il me fallait bien reconnaître que je ne lui ressemblais guère. Je n’étais pas une gravure de mode et ma carrière professionnelle végétait dans un poste subalterne. Alors ? Alors j’eus une illumination : restait le costar-cravate. Sans doute étais-je dans un état second pour avoir une telle idée, mais le fait est que dans la soirée je fis un détour par un magasin de fringues et que le lendemain je fis mon entrée dans le parc arborant le même uniforme que le héros de la couverture, et même si c’était du bas de gamme on ne pouvait pas ne pas remarquer la cravate large et soyeuse, rayée de rouge et de blanc. Pour la première fois le regard de la fille s’arrêta sur moi, elle m’adressa un sourire et nous échangeâmes quelques mots sur le temps ensoleillé et les plaisirs de la lecture. Le soir malgré le ciel tout bleu, je voguais sur un petit nuage. Dès le lendemain, je me mettrais en quête de « Mon chef, mon amour », roman qu’on trouvait sans doute dans les hyper-marchés. Il serait ma Carte du Tendre, j’y apprendrai, à quel moment prendre la main de ma dulcinée et quand je pourrais me permettre de l’embrasser. Et tout d’un coup je fus pris d’une sueur froide : j’en étais donc arrivé là, calquer mon look sur celui d’un héros de roman à l’eau de rose et emprunter à cette bluette mes stratégies amoureuses ? J’étais écartelé entre ce que je prenais pour de l’amour et le mépris avec lequel je commençais à me considérer moi-même.
Heureusement l’amour a plus d’une corde à son arc. Le lendemain matin, dans les couloirs de l’entreprise, je croisai Sophie, une chef de service à trois niveaux au dessus de moi, dont je n’avais jamais osé croiser le regard tant elle était paraissait séduisante et supérieure à mon humble personne. J’avais toujours été persuadé qu’elle devait me voir comme un pauvre type, le raté par excellence. Jusqu’ici, on ne s’était adressé que des bonjours à moitié muets, du bout des lèvres, par blocage de mon côté, par mépris du sien, imaginais-je. Or cette fois, après avoir regardé ostensiblement ma cravate, elle s’approcha et me murmura presque dans le creux de l’oreille : « je vous préférais sans ! » Et d’une voix qui me chavira.
Revenu chez moi, je me dépêchai d’enlever costar et cravate, et je convins moi aussi que j’étais bien mieux sans, tout en priant pour croiser à nouveau Sophie dans les couloirs le lendemain.
Sophie… mon chef mon amour.
Voilà, mon cher Oncle, tu seras le premier à tout savoir.
Ton neveu affectionné.
Patrick
Cher oncle
Figure-toi qu’il m’est arrivé une chose inimaginable il y a un peu plus d’un mois de cela. Non, ni maman ni Edith ne t’en ont parlé, elles qui te tiennent pourtant la chronique de la vie familiale au jour le jour. Bien sûr, elles n’auraient pas pu garder ce secret pour elles, mais voilà, je n’en ai parlé à personne. Inimaginable et Patrick, ça ne va pas ensemble, penses-tu. Eh bien, essaye d’imaginer. Non, je n’ai pas gagné le gros lot à la loterie, je ne me suis pas porté candidat sur une liste municipale. Je n’ai pas adopté un éléphanteau ni adhéré à l’Eglise de scientologie. Non, rien de tout cela, mais bien plus inimaginable, inattendu, imprévisible pour toi comme pour moi.
Figure-toi que je suis tombé amoureux. Mais non non, là n’est pas l’inimaginable et je suis sûr d’ailleurs que tu peux l’imaginer. Non, pas ça, même si ç’en est la cause. Non, l’impensable, le prodigieux, le renversant, c’est que, c’est que… j’ai mis une cravate. Oui, une cravate, ce truc qui fait mine de vous étrangler pour ensuite venir plastronner sur votre poitrine. Un espèce de pendaison à l’envers, moins directement mortelle que l’autre mais totalement inutile et ô combien ridicule. Tu sais que j’ai toujours refusé de porter cet ornement vain entre tous, que ce soit celle à élastique que voulait m’imposer ma mère ou celle, prétendue adulte qu’il est de bon ton d’arborer aux mariages enterrements et autre occasions solennelles. Et tu n’ignores pas non plus que j’ai refusé une promotion dans mon service parce le poste aurait exigé im-pé-ra-ti-ve-ment le port de la chose.
Alors, comment en suis-je arrivé à nier ainsi la plus sacrée de mes valeurs ?
Eh bien, comme je l’ai déjà dit, parce que je suis tombé amoureux. Voilà l’histoire :
Comme tous les midis en semaine, j’étais allé manger un sandwiche au parc Monceau, à deux pas de mon bureau. Assise sur le banc à deux mètres du mien était assise une jeune femme, le regard plongé dans un livre. Etait-elle vraiment jolie, je ne sais pas, peut-être que c’était cet air de concentration qui faisait sa beauté du moment. En tout cas, je me suis tout de suite senti attiré vers elle. Pour créer une connivence, j’ai sorti de ma besace le livre dont je comptais lire un ou deux chapitres pendant ma pause déjeuner et j’ai fait semblant de m’y absorber. Semblant car mes yeux ne captaient pas trois mots sans revenir vers la liseuse. Les siens finiraient bien par se lever. En effet, ils quittèrent leur page quelques instants et se tournèrent dans ma direction, mais j’eus beau afficher mon air le plus engageant, la donzelle ne marqua pas le moindre signe d’intérêt. J’étais déçu et vexé. Un moment plus tard, elle posa son livre à côté d’elle pour ingurgiter un yaourt. Je fis mine d’être pris soudain d’une envie soudaine de me dégourdir les jambes. Je me levai pour un tour rapide dans le parc et regagnai mon banc en passant nonchalamment devant le sien, sur lequel le livre exhibait sa couverture. C’était un « Harlequin » ; au premier plan, un type bien bâti, visage énergique et bronzé gravissait quatre à quatre une volée de marches, un attaché-case à la main, costar-cravate au vent. En arrière-plan, une dactylo blonde s’afférait sur sa machine. Titre : « Mon chef, mon amour ».
Eh bien voilà, au moins je savais quel était le type d’homme qui faisait rêver la demoiselle, et il me fallait bien reconnaître que je ne lui ressemblais guère. Je n’étais pas une gravure de mode et ma carrière professionnelle végétait dans un poste subalterne. Alors ? Alors j’eus une illumination : restait le costar-cravate. Sans doute étais-je dans un état second pour avoir une telle idée, mais le fait est que dans la soirée je fis un détour par un magasin de fringues et que le lendemain je fis mon entrée dans le parc arborant le même uniforme que le héros de la couverture, et même si c’était du bas de gamme on ne pouvait pas ne pas remarquer la cravate large et soyeuse, rayée de rouge et de blanc. Pour la première fois le regard de la fille s’arrêta sur moi, elle m’adressa un sourire et nous échangeâmes quelques mots sur le temps ensoleillé et les plaisirs de la lecture. Le soir malgré le ciel tout bleu, je voguais sur un petit nuage. Dès le lendemain, je me mettrais en quête de « Mon chef, mon amour », roman qu’on trouvait sans doute dans les hyper-marchés. Il serait ma Carte du Tendre, j’y apprendrai, à quel moment prendre la main de ma dulcinée et quand je pourrais me permettre de l’embrasser. Et tout d’un coup je fus pris d’une sueur froide : j’en étais donc arrivé là, calquer mon look sur celui d’un héros de roman à l’eau de rose et emprunter à cette bluette mes stratégies amoureuses ? J’étais écartelé entre ce que je prenais pour de l’amour et le mépris avec lequel je commençais à me considérer moi-même.
Heureusement l’amour a plus d’une corde à son arc. Le lendemain matin, dans les couloirs de l’entreprise, je croisai Sophie, une chef de service à trois niveaux au dessus de moi, dont je n’avais jamais osé croiser le regard tant elle était paraissait séduisante et supérieure à mon humble personne. J’avais toujours été persuadé qu’elle devait me voir comme un pauvre type, le raté par excellence. Jusqu’ici, on ne s’était adressé que des bonjours à moitié muets, du bout des lèvres, par blocage de mon côté, par mépris du sien, imaginais-je. Or cette fois, après avoir regardé ostensiblement ma cravate, elle s’approcha et me murmura presque dans le creux de l’oreille : « je vous préférais sans ! » Et d’une voix qui me chavira.
Revenu chez moi, je me dépêchai d’enlever costar et cravate, et je convins moi aussi que j’étais bien mieux sans, tout en priant pour croiser à nouveau Sophie dans les couloirs le lendemain.
Sophie… mon chef mon amour.
Voilà, mon cher Oncle, tu seras le premier à tout savoir.
Ton neveu affectionné.
Patrick
Dernière édition par tobermory le Lun 24 Mar - 17:39, édité 1 fois
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: Mon chef, mon amour
Je trouve cette histoire très intéressante, même si elle est un peu longue, on est entraîné derrière Patrick et son espoir fou de plaire à une demoiselle (qui lit Arlequin????????????)
Je pense, connaissant ta plume, que tu peux, sans effort, retravailler ton texte et le rendre encore plus intéressant.
J'aime particulièrement la description de la rencontre dans le parc, le début du texte étant un peu long à mon goût.
Je pense, connaissant ta plume, que tu peux, sans effort, retravailler ton texte et le rendre encore plus intéressant.
J'aime particulièrement la description de la rencontre dans le parc, le début du texte étant un peu long à mon goût.
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: Mon chef, mon amour
J'en connais un, effectivement, je confirme !!!!!.Tober a écrit:Inimaginable et Patrick, ça ne va pas ensemble, penses-tu.
Quant au texte lui même, il y a quelques verbes doublons qui vont vite être éliminés à la relecture.
Pour l'histoire, finalement, l'élue ne serait pas celle que l'on aurait pu croire. Suspens et romantisme ?
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: Mon chef, mon amour
Merci pour vos commentaires sur ce texte tardif.
Admin : j'ai bien eu conscience que c'était un peu longuet, surtout le début, mais j'ai laissé aller au fil de la plume, comme si j'écrivais vraiment une lettre. Mais tu as raison, le souci de "réel" ne doit pas être un prétexte au relâchement.
Et c'est bien Harlequin, un livre de la collection.
Escandélia : honte à moi, je viens de relire et je n'ai pas vu les verbes doublons ( mais il m'arrive souvent de relire plusieurs fois et de chaque fois passer sur la même faute.)
En fait le personnage retombe dans la même romance à l'eau de rose que celle du roman Harlequin de la midinette ( lecture dont sans doute il se moquait, m^me si je n'ai pas développé cet aspect.)
Admin : j'ai bien eu conscience que c'était un peu longuet, surtout le début, mais j'ai laissé aller au fil de la plume, comme si j'écrivais vraiment une lettre. Mais tu as raison, le souci de "réel" ne doit pas être un prétexte au relâchement.
Et c'est bien Harlequin, un livre de la collection.
Escandélia : honte à moi, je viens de relire et je n'ai pas vu les verbes doublons ( mais il m'arrive souvent de relire plusieurs fois et de chaque fois passer sur la même faute.)
En fait le personnage retombe dans la même romance à l'eau de rose que celle du roman Harlequin de la midinette ( lecture dont sans doute il se moquait, m^me si je n'ai pas développé cet aspect.)
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: Mon chef, mon amour
Tober a écrit:Et c'est bien Harlequin, un livre de la collection
Oups
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: Mon chef, mon amour
C'est une très belle nouvelle que tu nous sers là Tober ! Tu as bien fait de rattraper ton retard. Je l'ai lue d'une traite avec amusement et ai adoré la chute. Tu devrais - avec quelques arrangements mais si peu - la présenter à un concours.
Invité- Invité
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