A - La pénitence

Tout à l’heure, je fouillerai dans les armoires.  Je les connais, les matafs : toujours prêts à braver les interdits …  

Permettez-moi, Seigneur, cette intrusion dans l'intimité de ces jeunes qui viennent de s'embarquer, non pour Cythère mais pour l'Algérie.

Consacré Aumônier de la Marine, j'ai le devoir de veiller sur les âmes des Marins, en particulier ceux de la Marine Nationale Française.

Le spectacle auquel je viens d'assister me navre profondément. A chacun des hublots du Sidi  Bel Abbès qui se trouvait au niveau du quai, filles et garçons se bécotaient à l'envi !  Comment la hiérarchie militaire peut-elle tolérer une telle débauche ?
 
- Francis, mon fils, ne sois pas scandalisé ! Ces jeunes gens s'aiment, c'est manifeste. Et tu le sais, ils vont débarquer sur un sol hostile. Dans le bled, certains vont tomber en embuscade, et leurs fiancées pleureront toutes les larmes de leur corps. Voyons ! Ne saurais-tu éprouver un peu de compassion ?

- Seigneur, je suis touché par votre magnanimité. Mon cœur n'est pas insensible au point de ne pas être en capacité de partager votre tolérance. Cependant, il y  a les risques …

- Lesquels mon fils ? La proximité n'est pas suffisante  pour  qu'ils commettent le péché de chair ? Au vu et su de tous ?

- Non, mon Père, à l'instant même, ils ne peuvent pas. Non, ils ne peuvent pas !

- Alors ? D'ailleurs, ta curiosité poussée au paroxysme me navre. Aller fouiller les armoires des cabines, quelle outrecuidance ! Sonder  les âmes ne te suffit-il pas ?

- Seigneur, je ne sais si je peux vous donner l'objectif de mes futures recherches. Mais vous le savez, Je  suis un marin. Et … Et …

- Et ?

- Et je succombe à la superstition. Non ! Pas de lapin …

- Quoi ? Une de ces demoiselles aurait-elle posé un lapin à son prétendant ?

- Oh, non, Seigneur, elles sont toutes là, les fiancées. Fidèles pour l'instant. Quand le navire aura largué les amarres, je ne m'avancerai pas …

- Ne nous égarons pas, mon fils.   Quel lien entre lapin et armoire ?

- Mon père, je crains que la donzelle au panier d'osier et son complice commettent un sacrilège en hissant à bord un lapin, et qui sait ? Pourquoi pas un capucin …

- Un moine ? Qu'irait-il faire sur un bateau de bidasses ? Les évangéliser ?

           - Seigneur, le capucin, c'est un lièvre.  Sans vouloir vous offenser,  en matière de superstition, vous êtes novice. Ou plus exactement, vous avez laissé à  Lucifer  la maîtrise  dans la diffusion des idées. Voilà ce qu'il en est :
Au fil du temps, des périples et de ses aventures, l'homme en est venu à en interdire à bord ou à la prononciation les mots suivants : lapin, curé, corde, église, noyade, prêtre, presbytère, lièvre, moine, loup, ficelle, chapelle, pourceau, volet, couturière, etc * .

- Dis donc, l'Aumônier  de mes deux, faudrait voir à ne pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages. Je vois clair en ton jeu : tous ces boniments au sujet des bonnes mœurs, des armoires, lapins, capucins et consorts, c'est parce que ces échanges de  bécots, ça t'a émoustillé et tu plains ta part.

- Quelle sera ma pénitence ?

- Défroqué ! Tu es désormais un curé  défroqué et ton sursis tombe à l'eau. De ce pas, je vais précipiter les démarches et tu vas y filer, là - bas dans le bled …

- Ainsi soit faite votre volonté, Seigneur !


*    Merci le WEB : http://www.pirates-corsaires.com/superstitions.htm

Les marins devraient trouver des substituts :
-- " Elle ficelle qui ne comprenait pas, mais moine tu me connais, lapin à linge frétillante, je l'ai embrassée sur les lièvres, chapelle ça une fille prêtre à tout !

Mais tu en connais des choses ! Bravo pour tes recherches de mots interdits !
Mais je trouve que le Vieux là-haut est bien sévère avec son aumônier.
D'ailleurs, défroqué, de nos jours, ce n'est plus une punition, j'en connais quelques-uns et ils mènent une belle vie !
Très original ton texte à partir de la photo ! 

Une belle écriture, de l'humour et de la documentation ! Bravo !

Un texte agréable à lire, et en plus, instructif 

Une façon imaginative d'écrire une histoire à partir de ces superstitions ( que j'ignorais) Un dialogue plein de verve, ave un Dieu plus tolérant que son ministre, du moins à première vue. Parce que je le trouve quand même bien cruel avec ce pauvre prêtre victime de ses préjugés. Très bonne utilisation de la photo.