A. Les marins

Tout à l’heure, je fouillerai dans les armoires pour retrouver cette fichue photographie : un alignement de donzelles énamourées accrochées aux hublots du paquebot, disant adieu à leurs marins. C’est grand-père qui avait pris ce cliché. Gamine, je ricanais en le détaillant. Déjà que le mot « amoureux » nous faisait pouffer, ma soeur et moi, l’image de ces couples s’embrassant à bouche que veux-tu nous faisait nous tordre de rire.

Alors, lorsque tante Adèle a dit :« On les marie quand ces  deux-la ? », j’ai blêmi. Je me suis vue aussitôt dans la même pitoyable attitude, pleurant le départ de mon époux.

Je ne pouvais m’empêcher d’imaginer ces jeunes femmes, devenues ménagères accomplies, courbées dans la même position devant le hublot de leurs machines à laver, récupérant la lessive du jour : grenouillères et bavettes de bébé, bleus de travail de monsieur, le navire prenant alors des allures de laverie automatique.

Ce parallèle entre les corvées du foyer et le drame des adieux pour de longs mois en mer et d’attente ne m’aida pas à considérer le mariage comme l’aboutissement de ma vie de femme. Bien au contraire ! Et, c’est ainsi que je me lançai dans des études de journalisme avec l’espoir d’une vie d’aventurière, de voyages et de découverte.

Pourtant, c’est sur les bancs de l’école de journalisme que je rencontrai celui qui allait devenir … mon mari ! Et oui ! Lors d’un reportage sur la marine, je fus séduite par le Capitaine au long cours de surcroit!

Nous sommes mariés depuis vingt ans. Souvent séparés par nos voyages respectifs, nos retrouvailles sont des moments précieux. Nous n’avons pas eu d’enfants et, pour rien au monde nous ne regrettons notre choix de vie.

Quelque part, cette fichue photographie en a été l’initiatrice !