A.Les morts se taisent.

Les morts se taisent.

On me l’a toujours dit mais comment m’incliner devant cette cruelle évidence ?

J’avais 5 ans quand elle est morte. C’est frère aîné qui m’a avertie tandis que nous jouions dans la baignoire sous l’œil vigilant de la gouvernante. Je ne l’ai pas cru et je me suis même fâchée.
C’était arrivé pendant son goûter devant sa tasse de thé et sa madeleine. J’étais sûre qu’il me mentait.
Car quand je l’ai vu bien habillée dans son lit les yeux fermés, il me semblait qu’elle faisait la sieste .
Je l’ai même appelé : elle ne m’a pas répondu .Alors j’ai pleuré à grands cris. Me prenant par la main, ma mère s’est précipitée hors la chambre à mourir. De grandes personnes l’attendaient à la sortie pour lui faire des reproches. Ce n’était pas, disaient-elles, un spectacle pour enfants. Je n’étais ni prête, ni donc présente à l’enterrement de ma grande mère adorée.

C ’est ensuite Bon Papa qui est mort. J’avais alors 17 ans et j’étais en internat .Je me suis réfugiée dans la chapelle où je pouvais me laisser aller à mon chagrin, ne voulant pas me donner en spectacle devant les religieuses et mes copines avec mes larmes bruyantes. Dans un sens j’étais aussi contente pour mon grand père car enfin, après tant d’années de veuvage , il allait retrouver sa Joséphine. J’aurais bien aimé qu’il me le dise qu’il me fasse signe de là où il était parti , mais faut pas rêver…Aucun ange du ciel ne me fit un jour la moindre annonciation.

Quand le troisième frère est mort exprès, sans laisser de message ni avant, ni pendant, ni après, j’ai été vraiment très triste. Je savais qu’il souffrait beaucoup que cela n’allait pas bien dans sa tête et dans son cœur mais de là à se suicider…J’aurais aimé qu’il m’ explique une bonne fois … quoi ? pourquoi ?
J’ai trouvé au moins un coupable à de tout çà mais à quoi cela me sert-il ? Ce salaud est mort aussi …

En 2005, ce fut la mort d’un plus qu’ ami ,d’un homme que j’aimais comme on peut aimer quand c’est pour la première fois…Il savait tout, presque tout, de moi et moi j’ai tout appris, presque tout, par lui. De son passé il restait très silencieux. Quand on a 10 ans en 1939 et qu’on est allemand il s’en passe des choses difficilement ou douloureusement racontables à une fille de 18 ans ( moi) qui n’a pas connu la guerre et sa monstruosité.
Depuis , je m’instruis sur ce sujet et je lis beaucoup puisqu’il ne m’a rien dit de son vivant.

Et puis R est mort d’une crise cardiaque Il avait 62 ans et moi 67. Pendant 7 ans cet homme m’a écouté patiemment à raison de 4 fois par semaine…Grâce à lui j’ai pu accoucher d’une Charlotte nouvelle. Je l’aimais beaucoup, il était tout à la fois mon ami mon père mon bienfaiteur mon dieu !... J’aurais tellement voulu être sa patiente préférée, la plus intéressante, la plus intelligente la plus…J’aurais tellement voulu qu’il me dise, ne fut ce qu’une petite fois qu’il m’aimait aussi mais un psychanalyste sait à quoi s’en tenir avec toutes ces déclarations d’amour . Il s’agit d’un transfert parait-il ?Je m’en fous transfert ou pas transfert… dites le moi une seule fois !!!
Mais non il est mort maintenant et il ne me l’a pas dit et il ne me le dira jamais.
Au revoir Monsieur, ou plutôt adieu .Mais surtout un grand merci

Tous ces sentiments qui transpirent dans ton texte : tristesse, reconnaissance, déception, amour....
le rendent tellement vrai !
Merci pour ce partage !

Il est très émouvant ton texte Charlotte. difficile de ne pas être touchée par son contenu d'autant qu'il est très très bien écrit

Un texte qui vous contraint à penser que plus les années passent,
plus notre mémoire s'emplit de mort(e)s qui se tairont à jamais
sauf quand elles, ils, vous revisitent en rêve ...

J'aime beaucoup le paragraphe à propos de  R.

C'est bien le plus difficile avec nos morts, pas tant leur départ, que les questions qui restent sans réponse

Des questions sans réponses qui accentuent la douleur et les regrets du deuil. Un texte très émouvant qui trouve un écho au plus profond de chacun.

Un texte très triste et plein d'interrogations. Un mort, une question. Très émouvant. Ce qui m'a le plus touché, c'est la découverte de la mort par l'enfant ( "la chambre à mourir" etc.)