A. Un parmi d'autres

Longtemps je me suis couché de bonne heure, parce qu’il fallait me lever tôt pour feinter avec le trafic, précéder les embouteillages, éviter la transhumance des banlieusards et des provinciaux rejoignant la capitale, offrir une heure d’avance au boulot pour être certain de pouvoir assister à l’heure aux réunions du matin.

Et chaque soir, après une journée harassante, prier pour qu’un moindre évênement, un grain de sable, ne transforme en calvaire une circulation déjà à saturation. Une hantise, une obsession. Sans compter les routes de traverses et autant de détours empruntés qui rallongent le trajet du retour mais réduisent les risques d’embouteillages.

Un parmi tant d’autres. Tous prisonniers des mêmes horaires qui nous précipitent, tels des déportés, sur les routes des écoles et du travail. Ces longues files de fourmis motorisées, hoquetant au rythme des « stop et avance », toussant leurs échappements venimeux, emplissant l’air d’une rumeur vrombissante lourde et continue. Serpents lumineux rouges, pieds au frein, qui saignent les allées menant au centre de la ville, qui ondulent dans les tunnels et qui se tapissent ensuite dans les entrailles des tours bétonnées.

Un parmi tant d’autres. Pris en otage des taxis, des agriculteurs ou d’autres, qui pour se faire entendre, bloquent tout et provoquent le chaos. Parfois sans prévenir. Marre ! Pas de leurs revendications, mais des moyens utilisés, souvent pareils. C’est une erreur de croire que c’est en les énervant qu’on parvient à conscientiser les gens. Pour ma part j’ai plus modifié mon comportement d’achat ou un avis, après un bon article ou une bonne émission, qu’en bouffant mon volant.

Un parmi tant d’autres. Unis forcés dans les mêmes files, mais pas tous pareils en termes de civilité. Le conducteur de la toute grosse voiture qui dépasse quand même, gagne quelques voitures à la barbe des autres manants, et qui leur signifie clairement que l’importance de son temps à lui est directement proportionnelle à la puissance de sa « cylindrée »! Tous des moutons, il va nous montrer comment réussir dans la vie !

Un parmi tant d’autres.

Le trafic n’étant qu’un décor dans lequel tant d’autres peuvent figurer, je découvre en me relisant, que bizarrement c’est en présence des autres, de cette multitude grouillante, que loin de me fondre, je prends le plus conscience de mon individualité, de sa présence très forte. Seul en mer, je me suis senti tout petit, insignifiant. Planté au milieu des autres, bloqué dans une file, c’est moi qui n’avance pas, c’est moi qui serai en retard, c’est moi qui râle. Etrangement, parmi tant d’autres, émergeant comme une île, j’existe.

Excellent ! Ce sentiment d'exister parmi tous ses semblables est parfaitement analysé  

Ne râle pas :c'est toi qui avances à fond la caisse chez Kalé, tu arrives toujours à temps avec tes bon textes. D'ailleurs je suis complètement dépassée par toi, tu écris si bien, tu expliques si bien . en deux (3) mots ... tu es formidable
Ne râle pas.

Une routine
Une foule de gens.
Tu nous emporte dans la foule pour notre plus grand bonheur.

Je me retrouve totalement dans ton texte Virgul !
Notamment dans les embouteillages sans nom, les travaux, les grèves dont nous restons les otages.
Moi aussi je râle...

Et puis pareil que pour toi, je sais que j'existe.
Même face au Géant de Provence, le Ventoux, même dans les calanques impressionnantes au bord de mer, je suis moi.
Merci d'avoir écrit à ma place !

Excellent

Bien décrite cette vie de fou dans une cité moderne ...

De ma campagne profonde, j'ai du mal à imaginer !

Tu apportes la preuv qu'on peut exister dans ce monde de fous

Merci de me faire toucher du doigt le bonheur que j'ai à ne mettre que 10 minutes pour arriver à mon boulot !