A. Tranche de vie
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A. Tranche de vie
Damir tirait son traineau chargé de provisions.
Hé, Marouchka ! Tu sors ton bébé par un froid pareil ?
Marouchka accéléra le pas en s’agrippant au landau pour ne pas glisser sur la neige glacée.
Et qui me le garderait ? Les enfants sont à l’école.
Elle avait bien emmitouflé Ivan et, par chance, il ne s’était pas réveillé pendant sa longue attente aux services sociaux.
Elle était contente, on venait de lui attribué une maisonnette en bordure de la ville, avec ramassage scolaire et supérette.
Elle allait enfin pouvoir quitter ce quartier plein de souvenirs douloureux.
Presque tous ses amis étaient déjà partis.
Il ne restait que très peu d’appartements occupés. La plupart avaient été détruits par les derniers bombardements.
Damir était toujours là, lui, un peu trop présent d’ailleurs. Elle sentait bien qu’il lui tournait autour depuis que son mari était parti.
Mais elle n’était pas prête à se remettre avec quelqu’un. Finalement, elle s’en sortait mieux depuis qu’elle était seule. Boris ne faisait que dépenser le peu d’argent qu’ils avaient pour se saouler au bar avec des compagnons peu recommandables. La soirée se terminait alors en bagarre, et bien souvent, elle devait aller le récupérer au poste de police.
Sauf que la dernière fois, on ne lui avait pas demandé de venir le chercher.
La bagarre s’était mal terminée, il avait tué un homme en lui tranchant la gorge avec une bouteille cassée. Il était en prison.
Elle ne savait pas pour combien de temps mais n’était pas pressée de le voir revenir.
La porte de l’appartement avait encore gonflé, bientôt elle ne pourrait plus l’ouvrir. Elle alluma le petit poêle à gaz et le feu sous la bouilloire. La moitié des vitres avait explosé lors des tirs. Le froid s’immisçait dans les moindres recoins. Elle approcha le landau de la faible source de chaleur.
Les enfants allaient bientôt rentrer de l’école. Elle leur avait acheté des biscuits pour le goûter.
En attendant, elle fit un peu de rangement. Lorsqu’elle déménagerait, elle n’aurait pas grand chose à emporter.
Sur le buffet, s’éparpillaient des dessins d’enfants, un thermomètre cassé, une pelote de ficelle, et cette photo… Cette photo qu’il lui était de plus en plus difficile de regarder… Son père tenant dans ses bras son tout petit bébé… Un bébé qui n’avait vécu que trois mois… Son père très pâle, souriant malgré la maladie et qui était parti la même année que ce bébé à peine né. Cruelle année…
Quand elle apprit qu’elle attendait un nouvel enfant, le médecin lui dit que ça l’aiderait à surmonter son chagrin.
Lorsqu’Ivan est né, la sage-femme a murmuré - La vie continue…
Hé, Marouchka ! Tu sors ton bébé par un froid pareil ?
Marouchka accéléra le pas en s’agrippant au landau pour ne pas glisser sur la neige glacée.
Et qui me le garderait ? Les enfants sont à l’école.
Elle avait bien emmitouflé Ivan et, par chance, il ne s’était pas réveillé pendant sa longue attente aux services sociaux.
Elle était contente, on venait de lui attribué une maisonnette en bordure de la ville, avec ramassage scolaire et supérette.
Elle allait enfin pouvoir quitter ce quartier plein de souvenirs douloureux.
Presque tous ses amis étaient déjà partis.
Il ne restait que très peu d’appartements occupés. La plupart avaient été détruits par les derniers bombardements.
Damir était toujours là, lui, un peu trop présent d’ailleurs. Elle sentait bien qu’il lui tournait autour depuis que son mari était parti.
Mais elle n’était pas prête à se remettre avec quelqu’un. Finalement, elle s’en sortait mieux depuis qu’elle était seule. Boris ne faisait que dépenser le peu d’argent qu’ils avaient pour se saouler au bar avec des compagnons peu recommandables. La soirée se terminait alors en bagarre, et bien souvent, elle devait aller le récupérer au poste de police.
Sauf que la dernière fois, on ne lui avait pas demandé de venir le chercher.
La bagarre s’était mal terminée, il avait tué un homme en lui tranchant la gorge avec une bouteille cassée. Il était en prison.
Elle ne savait pas pour combien de temps mais n’était pas pressée de le voir revenir.
La porte de l’appartement avait encore gonflé, bientôt elle ne pourrait plus l’ouvrir. Elle alluma le petit poêle à gaz et le feu sous la bouilloire. La moitié des vitres avait explosé lors des tirs. Le froid s’immisçait dans les moindres recoins. Elle approcha le landau de la faible source de chaleur.
Les enfants allaient bientôt rentrer de l’école. Elle leur avait acheté des biscuits pour le goûter.
En attendant, elle fit un peu de rangement. Lorsqu’elle déménagerait, elle n’aurait pas grand chose à emporter.
Sur le buffet, s’éparpillaient des dessins d’enfants, un thermomètre cassé, une pelote de ficelle, et cette photo… Cette photo qu’il lui était de plus en plus difficile de regarder… Son père tenant dans ses bras son tout petit bébé… Un bébé qui n’avait vécu que trois mois… Son père très pâle, souriant malgré la maladie et qui était parti la même année que ce bébé à peine né. Cruelle année…
Quand elle apprit qu’elle attendait un nouvel enfant, le médecin lui dit que ça l’aiderait à surmonter son chagrin.
Lorsqu’Ivan est né, la sage-femme a murmuré - La vie continue…
Dernière édition par Myrte le Jeu 21 Sep - 11:27, édité 1 fois
Myrte- Kaléïd'habitué
- Humeur : Curieuse
Re: A. Tranche de vie
Dure, dure la vie de cette femme-là.
Situation fréquente, aussi bien dans ces pays-là qu'en Afrique ou ailleurs.
Je prends ton texte comme un plaidoyer en quelque sorte pour que toutes les femmes du monde ne soient pas réduites au sort de Marouchka !
Car en plus, si tu avais voulu continuer l'histoire, Damir rôde....
Tu racontes bien, tu appuies là où cela fait mal, Myrte, cet espèce de ( faux) détachement de l'héroïne...
J'aime beaucoup !
Situation fréquente, aussi bien dans ces pays-là qu'en Afrique ou ailleurs.
Je prends ton texte comme un plaidoyer en quelque sorte pour que toutes les femmes du monde ne soient pas réduites au sort de Marouchka !
Car en plus, si tu avais voulu continuer l'histoire, Damir rôde....
Tu racontes bien, tu appuies là où cela fait mal, Myrte, cet espèce de ( faux) détachement de l'héroïne...
J'aime beaucoup !
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: A. Tranche de vie
J'aime beaucoup la manière donc tu t'y prend pour donner de «l'épaisseur », de la densité, au personnage de Damir.
En quelques mots tu sais la situer dans une histoire de vie, en sorte qu'elle nous touche.
Les quelques dialogues servent très bien la dramaturgie. Ainsi tu nous la présentes comme une femme qui désormais s'assume en tant que personne, malgré ce que révèle son histoire difficile.
Une évocation de la manière dont on peut « tenir debout » au milieu de plusieurs drames.
Une sorte de résilience en chemin…
c'est un texte que je trouve très abouti.
En quelques mots tu sais la situer dans une histoire de vie, en sorte qu'elle nous touche.
Les quelques dialogues servent très bien la dramaturgie. Ainsi tu nous la présentes comme une femme qui désormais s'assume en tant que personne, malgré ce que révèle son histoire difficile.
Une évocation de la manière dont on peut « tenir debout » au milieu de plusieurs drames.
Une sorte de résilience en chemin…
c'est un texte que je trouve très abouti.
AlainX- Kaléïd'habitué
- Humeur : stable
Re: A. Tranche de vie
Un beau portrait de femme qui parvient à surmonter une situation très dure. Ton texte reste au plus près du personnage, en évitant aussi bien le sentimentalisme facile que le misérabilisme.
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: A. Tranche de vie
J'ai beaucoup de sympathie pour Marouchka que tu nous a décrite forte, par petites touches, une succession de détails qui traduisent et traversent sa vie et les événements qu'elle a subis. Comme si Marouchka avait réussi à prendre de la distance par rapport à ces derniers, et qui la rendent très humaine aussi.
virgul- Kaléïd'habitué
- Humeur : optimiste
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