A.Sauver le feu
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Zéphyrine
Amanda.
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A.Sauver le feu
Quand ça s’est produit, j’étais avec Haya dans la cave de l’immeuble, c’est là qu’on se retrouve. Pas très romantique, mais dans un pays où l’adultère est un crime, mieux vaut ne pas risquer qu’on nous voie ensemble. On a juste perçu un bruit sourd et une forte vibration, juste au moment où tous deux on était en train de vibrer à l’unisson, allongés sur une vieille couverture. Quand on a voulu sortir, une odeur suffocante nous a pris à la gorge dès le milieu de l’escalier, impossible d’aller plus loin. On est retournés à la cave. On y est restés combien, des heures, des jours, impossible à dire. La faim et la peur au ventre, serrés l’un contre l’autre, Haya tantôt pleurant tantôt somnolant sur mon épaule.
Quand enfin l’air est devenu respirable dans l’escalier, je suis parti explorer les étages. Je ne suis pas allé loin. Les marches étaient recouvertes d’une couche gris pâle, comme une neige sale. J’ai poussé la porte du premier appartement. La poussière grise faisait des tas ici et là. J’ai compris que c’était ce qui restait d’une famille de ses meubles et de ses objets, de la cendre ou pire peut-être. Je suis redescendu et j’ai dit à Haya qu’il fallait partir, quitter cette ville, aller plus loin. En fouillant les caves on a trouvé quelques guenilles, trois boites de biscuits à moitié moisis et un pack de bière. On a entassé tout ça dans une poussette et un traineau d’enfant dénichés dans un coin de débarras. Et on est sortis avec cet attirail.
Dehors il faisait froid mais par terre ce n’était pas de la neige, c’était la même poussière cendreuse que dans l’immeuble. Personne aux fenêtres, personne dans ce qui avait été des rues. Des carcasses de voitures vidées et nettoyées comme une charogne par un prédateur. Des immeubles décolorés, fixant le néant des orbites vides de leurs fenêtres Des poteaux électriques effondrés. Après la ville, le sol n’était plus qu’une étendue grise qui rejoignait le gris du ciel en une bulle décoloré. On était comme deux larves perdues dans un cocon ridiculement trop grand. On a marché des jours et des nuits, sans les compter ; ils se distinguent si peu. On économisait nos pauvres provisions. Haya, encore plus faible que moi refusait de prendre ma part, malgré mon insistance. Elle a fini par s’écrouler. Rien à faire, elle était morte. C’était comme une incinération qui aurait tout consumé sauf le corps. Je lui ai fermé les yeux, je l’ai recouverte de cette poussière de cendre, suaire dérisoire. J’ai murmuré une prière et je suis reparti, seul, encore plus seul, plus seul que jamais.
Il marche dans cette étendue sans repères, écrasé de silence et de solitude. Il scrute les confins, espérant une silhouette, un arbre, un pylône, tout ce qui pourrait rompre cette horizontalité létale. Ou bien une colonne de fumée, oui voilà, de la fumée. Qui montrerait qu’il y a encore quelque chose à brûler, que tout n’est pas perdu. La cendre c’est la mort, le feu, c’est la vie, la couleur, le mouvement. Les flammes, des dents dévorantes, poignards brûlants. Les flammèches, des fofolles dansantes. Dans sa tête aussi c’est la sarabande.
Il a marché encore des jours, des nuits. Maintenant il titube. Il ne tiendra pas debout bien longtemps. A deux reprises, il a trébuché, il est tombé, il s’est relevé. Il ne capitulera pas, il ira au bout des ses forces, il ne fera pas cadeau d’une miette de sa vie. Il se relève pour la troisième fois lorsqu’il aperçoit la fumée, là-bas au loin. Trop loin désormais ? Non, pas trop loin, la joie sans nom qui l’envahit regonfle ses poumons, son cœur, ses muscles, comme un moteur qui redémarre.
Il s’approche. Il y est. C’est une oasis miraculeuse au milieu du désert de cendre, si belle qu’il en pleure. Quelques troncs noircis, des braises rouges de chair et de sang, de petites flammes qui luttent pour survivre, comme lui. Et un arbuste encore intact. Il doit sauver le feu car s’il disparait, ce sera la fin de tout. Avec des cailloux et des branches, il confectionne un nid dans lequel il place des braises. Emerveillé, il remarque une violette au pied de l’arbuste et deux fourmis à côté. Il extrait la fleur avec ses racines et la terre autour et l’héberge dans une boite vide tirée de la poussette. Dans une autre, les deux fourmis, avec quelques les miettes de biscuit restantes. Il veillera sur ces rescapées, il veillera sur le feu dans son reliquaire. Il est heureux, il n’est plus seul. La vie continue.
(NB : texte écrit dans le contexte d'une situation curieuse, que j'expliquerai plus tard)
Quand enfin l’air est devenu respirable dans l’escalier, je suis parti explorer les étages. Je ne suis pas allé loin. Les marches étaient recouvertes d’une couche gris pâle, comme une neige sale. J’ai poussé la porte du premier appartement. La poussière grise faisait des tas ici et là. J’ai compris que c’était ce qui restait d’une famille de ses meubles et de ses objets, de la cendre ou pire peut-être. Je suis redescendu et j’ai dit à Haya qu’il fallait partir, quitter cette ville, aller plus loin. En fouillant les caves on a trouvé quelques guenilles, trois boites de biscuits à moitié moisis et un pack de bière. On a entassé tout ça dans une poussette et un traineau d’enfant dénichés dans un coin de débarras. Et on est sortis avec cet attirail.
Dehors il faisait froid mais par terre ce n’était pas de la neige, c’était la même poussière cendreuse que dans l’immeuble. Personne aux fenêtres, personne dans ce qui avait été des rues. Des carcasses de voitures vidées et nettoyées comme une charogne par un prédateur. Des immeubles décolorés, fixant le néant des orbites vides de leurs fenêtres Des poteaux électriques effondrés. Après la ville, le sol n’était plus qu’une étendue grise qui rejoignait le gris du ciel en une bulle décoloré. On était comme deux larves perdues dans un cocon ridiculement trop grand. On a marché des jours et des nuits, sans les compter ; ils se distinguent si peu. On économisait nos pauvres provisions. Haya, encore plus faible que moi refusait de prendre ma part, malgré mon insistance. Elle a fini par s’écrouler. Rien à faire, elle était morte. C’était comme une incinération qui aurait tout consumé sauf le corps. Je lui ai fermé les yeux, je l’ai recouverte de cette poussière de cendre, suaire dérisoire. J’ai murmuré une prière et je suis reparti, seul, encore plus seul, plus seul que jamais.
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Il marche dans cette étendue sans repères, écrasé de silence et de solitude. Il scrute les confins, espérant une silhouette, un arbre, un pylône, tout ce qui pourrait rompre cette horizontalité létale. Ou bien une colonne de fumée, oui voilà, de la fumée. Qui montrerait qu’il y a encore quelque chose à brûler, que tout n’est pas perdu. La cendre c’est la mort, le feu, c’est la vie, la couleur, le mouvement. Les flammes, des dents dévorantes, poignards brûlants. Les flammèches, des fofolles dansantes. Dans sa tête aussi c’est la sarabande.
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Il a marché encore des jours, des nuits. Maintenant il titube. Il ne tiendra pas debout bien longtemps. A deux reprises, il a trébuché, il est tombé, il s’est relevé. Il ne capitulera pas, il ira au bout des ses forces, il ne fera pas cadeau d’une miette de sa vie. Il se relève pour la troisième fois lorsqu’il aperçoit la fumée, là-bas au loin. Trop loin désormais ? Non, pas trop loin, la joie sans nom qui l’envahit regonfle ses poumons, son cœur, ses muscles, comme un moteur qui redémarre.
Il s’approche. Il y est. C’est une oasis miraculeuse au milieu du désert de cendre, si belle qu’il en pleure. Quelques troncs noircis, des braises rouges de chair et de sang, de petites flammes qui luttent pour survivre, comme lui. Et un arbuste encore intact. Il doit sauver le feu car s’il disparait, ce sera la fin de tout. Avec des cailloux et des branches, il confectionne un nid dans lequel il place des braises. Emerveillé, il remarque une violette au pied de l’arbuste et deux fourmis à côté. Il extrait la fleur avec ses racines et la terre autour et l’héberge dans une boite vide tirée de la poussette. Dans une autre, les deux fourmis, avec quelques les miettes de biscuit restantes. Il veillera sur ces rescapées, il veillera sur le feu dans son reliquaire. Il est heureux, il n’est plus seul. La vie continue.
(NB : texte écrit dans le contexte d'une situation curieuse, que j'expliquerai plus tard)
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: A.Sauver le feu
Très beau texte.....Tu m'intrigues.....
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: A.Sauver le feu
On suit ton personnage, on a l'impression de ressentir la même chose que lui.C'est une histoire bien racontée alors qu'il n'y a pas de dialogues
.J'aime beaucoup et je suis aussi très intriguée .Vite,vite,les explications!
.J'aime beaucoup et je suis aussi très intriguée .Vite,vite,les explications!
Zéphyrine- Modératrice écriture libre
- Humeur : Méditerranéenne
Re: A.Sauver le feu
On glisse dans le fantastique ou le rêve ?
Tu décris parfaitement l'ambiance et les lieux.
Ton NB donne envie d'en savoir plus.
Tu décris parfaitement l'ambiance et les lieux.
Ton NB donne envie d'en savoir plus.
Myrte- Kaléïd'habitué
- Humeur : Curieuse
Re: A.Sauver le feu
Ben moi, je suis scotché !
Quelle qualité narrative ! J'allais dire une fois de plus…
Tu mets en scène ce couple d'une manière très réussie.
le drame relaté l'est avec une sorte de « chaude froideur »…
je ne sais comment dire autrement, en tout cas pour moi c'est une vraie réussite.
En te lisant, j'ai pensé à Philippe Djian...Dans cette manière fluide d'écrire, et qui coule sans discontinuité.
---------------
En revanche, je me serais arrêté avec la 1ère partie.
Les deux autres parties me semblent quasiment d'une autre nature.
On passe ailleurs.
Mais tu dis à la fin que c'est lié à des « circonstances »…
on attend la suite ! ...
Quelle qualité narrative ! J'allais dire une fois de plus…
Tu mets en scène ce couple d'une manière très réussie.
le drame relaté l'est avec une sorte de « chaude froideur »…
je ne sais comment dire autrement, en tout cas pour moi c'est une vraie réussite.
En te lisant, j'ai pensé à Philippe Djian...Dans cette manière fluide d'écrire, et qui coule sans discontinuité.
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En revanche, je me serais arrêté avec la 1ère partie.
Les deux autres parties me semblent quasiment d'une autre nature.
On passe ailleurs.
Mais tu dis à la fin que c'est lié à des « circonstances »…
on attend la suite ! ...
AlainX- Kaléïd'habitué
- Humeur : stable
Re: A.Sauver le feu
Au départ d'un immeuble bombardé tu nous fait traverser une étendue presque infinie et dévastée qui évoque la fin du monde. Une atmosphère fantastique visuelle et très bien décrite. Comme pour les autres j'attends la suite.
virgul- Kaléïd'habitué
- Humeur : optimiste
Re: A.Sauver le feu
Je m’explique sur les conditions particulières d’écriture de ce texte évoquées par mon NB
Il s’agit d’une coincidence assez étonnante :
Quelques jours avant que le sujet du Jeu 444 soit mis en ligne, j’ai écrit pour le jeu d’écriture d’un autre forum dont la consigne était simplement que la fumée devait y jouer un rôle important. Mon texte racontait une histoire genre post apocalyptique : un homme qui sort d’un gouffre où il faisait de la spéléo et qui découvre un paysage de cendres. Les derniers mots étaient « La vie continue ». En lisant le sujet de kalé, je me suis dit que aussi bien la photo et évidemment encore plus l’excipit imposé correspondaient si exactement à mon texte qu’il m’était difficile d’imaginer autre chose. J’ai donc adapté le premier texte (plus de spéléo, deux personnages au lieu d’un, l’immeuble, la poussette et le traineau). Donc jusqu’ à la mort de la femme, c’est la partie écrite spécialement pour Kalé ; la suite, lorsque l’homme est seul, reprend pratiquement le texte initial. AlainX a donc largement raison de voir deux histoires distinctes…
Il s’agit d’une coincidence assez étonnante :
Quelques jours avant que le sujet du Jeu 444 soit mis en ligne, j’ai écrit pour le jeu d’écriture d’un autre forum dont la consigne était simplement que la fumée devait y jouer un rôle important. Mon texte racontait une histoire genre post apocalyptique : un homme qui sort d’un gouffre où il faisait de la spéléo et qui découvre un paysage de cendres. Les derniers mots étaient « La vie continue ». En lisant le sujet de kalé, je me suis dit que aussi bien la photo et évidemment encore plus l’excipit imposé correspondaient si exactement à mon texte qu’il m’était difficile d’imaginer autre chose. J’ai donc adapté le premier texte (plus de spéléo, deux personnages au lieu d’un, l’immeuble, la poussette et le traineau). Donc jusqu’ à la mort de la femme, c’est la partie écrite spécialement pour Kalé ; la suite, lorsque l’homme est seul, reprend pratiquement le texte initial. AlainX a donc largement raison de voir deux histoires distinctes…
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: A.Sauver le feu
Quelle étonnante coïncidence ! J'aime bien les coïncidences
Myrte- Kaléïd'habitué
- Humeur : Curieuse
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