A. Ressemblances

Ressemblances


Elle : — Bonjour Monsieur, il me semble vous connaître ?
Lui : — Bonsoir Madame, il me semble vous avoir déjà vue.
Elle : — Vous allez souvent au théâtre ?
Lui : —  Ah ! Le théâtre ! J'y vais assez fréquemment en effet. La plupart des gens se croient encore obligés de s'habiller correctement, alors que pendant toute la pièce on est dans le noir… c'est idiot. Moi j'aime l'habit confortable, mais j'ai la trouille de la charentaise. Il faut dire que je n'aime pas non plus les sabots, dans lesquels il faut glisser ses charentaises. Et puis venir au théâtre en sabots. Là non plus je n'oserais pas. C'est très XVIIe siècle la charentaise. C'est très campagnard aussi.
Elle : — Je cherchais seulement à retrouver où j'avais bien pu vous rencontrer. Vous avez une tête à aimer le théâtre. C'est pour ça que j'ai fait cette hypothèse. Mais c'était peut-être au cinéma ?
lui : — Cela m'étonnerait, je n'y vais plus que rarement. Ma vue baisse. C'est à peine si je reconnais les acteurs sur l'écran. À la voix parfois…
elle : — On ne vous a jamais dit que vous ressemblez à Jean Rochefort ?
Lui : — On me l’a déjà dit, en effet, que je ressemblais  à un acteur. Si je me souviens bien, il avait peut-être comme prénom Jean. ou Pierre. ou Claude? Oui c'est ça, ça devait être Claude, un acteur qui a un nom de vieille province française.
elle : — Claude Berri ?
lui : — Oui, exactement !
Elle: - Ah non vous ne ressembles pas à Berri ! Il est chauve et barbu. Pas vous !
Lui : — Dis donc vous en connaissez un rayon question cinéma ! Il y a des gens cultivés. Moi, en fait, je ne sais pas grand-chose. Je ne suis que le mari de la coiffeuse, longtemps j'ai fait la plonge dans le grand restaurant, cela ne m'a jamais permis pour autant de faire la tournée des grands ducs. Évidemment, j'aurais aimé être le Comte de Monte-Cristo, j'aurais raconté un peu tout et n'importe quoi, après tout, un éléphant ça trompe énormément. Mon père aurait aimé que je sois l'horloger de Saint-Paul (c'est le patelin où nous habitions).  Je n'ai rien réussi de tout ça. Mais cependant j'ai cru aux chimères, le fantôme de la liberté  demeurera toujours ma hantise.
Elle — Vous savez, les vies banales sont peut-être les plus heureuses… Regardez par exemple tous ces acteurs de cinéma qui doivent sans cesse être en représentation, jouer la comédie, déclarer péremptoirement je suis le seigneur du château. Oser même prétendre ceci est le château de ma mère. Enfin bref raconter bêtises sur bêtises. Votre vie est certainement plus paisible.
Lui : — Vous avez sûrement raison, je me fais vieux, mais je crois que jusqu'à la fin je resterais un vieillard authentique. De toute façon nous irons tous au paradis, alors : que la fête commence !
Elle : — Bon je vous laisse, mais franchement, vous ressemblez terriblement à Jean Rochefort.