A.Passepoil et Pampanou

Ce sont les lapins qui ont été étonnés en découvrant les trois chiots jappant derrière le grillage de la ferme. Depuis quelques temps on ne voyait plus Finette, la chienne de chasse ni son maître Constant, le fermier. La communauté des lapins en était ravie car Constant avait le tir rapide et sûr, tandis que Finette était dotée d’un flair hors pair et de pattes infatigables. Leur duo faisait la terreur de la garrigue. Sans doute la chienne était-elle morte et du coup Constant ne chassait plus. Les lapins profitaient de la situation pour s’aventurer jusque dans le potager et croquer de délicieuses carottes et salades.

Les chiots blancs aux oreilles tombantes étaient tout le portrait de Finette ; Sûrement sa descendance. Voilà qui remettait tout en cause. On avait perdu un monstre vieillissant mais d’ici peu ses trois clones tout pleins de la vigueur de la jeunesse allaient courir la campagne, débusquant le gibier pour le livrer au fusil de constant. La population lapine en avait déjà les pattes qui tremblaient et le poil qui frissonnait. Seul le vieux Passepoil, le patriarche chenu de la tribu, gardait son calme. A la grande stupéfaction des autres, il s’approcha du grillage et sembla entamer une discussion avec les chiens, à grand renfort de gestes des pattes avant et des oreilles.
« Il est fou ! » murmurait le reste des lapins demeurés à l’arrière. Ces bêtes étaient déjà suffisamment dangereuses, pas la peine en plus de les provoquer. Car c’était sûrement ça, Passepoil profitait de ce qu’ils étaient encore en captivité pour les narguer. Ça promettait pour l’avenir ! Enfin il revint, l’air satisfait et s’adressa ainsi à la tribu :

« On retourne aux terriers, et on se repose ; demain je reviens ici avec quelques uns d’entre vous pour un travail un peu spécial et qui demandera beaucoup d’énergie. » Sur ces paroles énigmatiques, chacun regagna sa galerie, impatient et un peu inquiet de connaitre la suite. Le lendemain matin, une fois tout le monde debout, Passepoil inspecta la troupe et désigna une dizaine de lapins parmi les plus vigoureux et leur demanda de le suivre, direction la ferme. Ils furent bien obligés de s’exécuter car il était impensable de désobéir au vieux chef qui leur avait plus d’une fois sauvé la vie grâce à ses ruses et à ses conseils judicieux.

Quand ils furent devant l’enclos des chiots, Passepoil longea le grillage et s’arrêta à un endroit où il était entouré d’un épais buisson. « Voilà le travail que je vous confie : vous allez creuser une galerie sous le grillage, une galerie large comme le tronc du chêne qui s’élève à l’entrée de mon terrier. Ça n’est pas un travail facile, mais vous êtes jeunes et vous avez de bons muscles. Ca vous fera un excellent exercice. »
Il y eut un grondement de révolte parmi l’équipe de terrassiers improvisés. Le vieux perdait la tête, dès que le passage serait terminé, les chiens se précipiteraient sur eux pour les dévorer ! Quand même, Pampanou, qui était l’un des nombreux petits-enfants de Passepoil, tint à défendre son aïeul :

- Je peux vous assurer qu’il a tous ses esprits. Il y a sûrement une ruse pour berner les chiens derrière tout ça. Alors au travail !

Et ils commencèrent à creuser, par équipes de trois qui se relayaient de temps en temps. L’opération était ardue car le sol était caillouteux et en plus les piquets grillage étaient planté sur une fondation de ciment sous laquelle il fallait passer. Ce ne fut que le soir que les fouisseurs entrevirent le bout du tunnel, et presque aussitôt une truffe canine frémissante d’impatience. Les trois lapins rebroussèrent chemin en vitesse en criant à leurs compagnons :

- Sauve-qui-peut, ils arrivent !

Tous détalèrent et seuls restèrent sur place Passepoil et Pampanou, le premier très calme, le second pas du tout rassuré. Les chiots déboulèrent du passage et se mirent à courir en tous sens, grisés de cette liberté toute neuve. Puis ils vinrent renifler les deux lapins. Pampanou n’en menait pas large. Pourtant les trois bêtes, d’une taille pourtant déjà respectable, ne leur firent aucun mal. Passepoil leur dit qu’il allait leur faire visiter la campagne. Alors, on put voir l’ancêtre des garennes suivi des trois chiens émerveillés, à qui il montrait la garrigue, le petit bois qui la bordait, le ruisseau en contrebas, le moulin abandonné, le chemin de chapelles, bref tout le terroir de la gent aux grandes dents et longues oreilles. Pour les chiots, qui n’avaient pas encore été initiés à la chasse, les lapins n’étaient que de gentilles créatures qui leur avaient permis de goûter à la liberté. Pampanou, qui comprenait maintenant l’objectif de son sage grand-père se risqua à proximité des chiens et découvrit qu’on pouvait jouer avec eux de façon très amusante, à la course ou alors à se laisser propulser en l’air et rattraper comme des balles entre les mains d’un jongleur.

Peu à peu tout le reste de la tribu se familiarisa avec ces amis inattendus et ce furent des parties à n’en plus finir, surtout par les nuits de clair de lune. Le matin, les chiens regagnaient la ferme, histoire de ne pas éveiller les soupçons de Constant. Ils étaient maintenant adultes et le fermier estima qu’il était temps de les emmener à la chasse. Hélas, les chiens eurent beau écumer la garrigue et en renifler les moindres recoins, on ne voyait aucune bête dans les parages. Constant était loin de se douter que ses fidèles acolytes se faisaient une joie de prévenir leurs amis afin qu’ils restent bien sagement au fond de leurs terriers.

Constant, dépité et la queue bien plus basse que celles de ses chiens annonça sa honteuse bredouille à sa femme :
- Je ne sais pas si c’est le réchauffement de la planète ou la pollution, mais il n’y a plus du tout de gibier dans la garrigue. Et faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il ajouta :
Désormais je me contenterai de sortir mes chiens pour leur donner de l’exercice, comme un bourgeois de la ville !

Paroles que les lapins auraient entièrement approuvées si leurs longues oreilles avait pu les entendre.

Mais quelle magnifique écriture ! Un vrai régal de lecture qui m'a fait penser aux Contes du chat perché de Marcel Aymé qui ont accompagné mon enfance et où les animaux triomphent toujours des humains.

Une bien belle histoire à  raconter aux enfants!
Un très  beau texte,j'ai beaucoup aimé! Bravo!!!

Quel plaisir de te lire, on dirait que chez toi tout coule de source, un texte fluide, complet...

Très mignon, belle solidarité entre les 4 pattes et voilà un chasseur revenu à la raison, la marche c'est très bien comme sport !

Très belle écriture en effet, un réel plaisir à lire.

Ton écriture est sans rupture. C'est très agréable à lire.
En plus ce conte est tout à fait intéressant, notamment pour des enfants.
Passer de la méfiance de l'étranger à la complicité.



et puis nous savons enfin les conséquences du réchauffement de la planète !

Encore un texte à mettre au florilège.

Un superbe conte pour enfants et adultes. Un régal à te lire