A. Caricature

]Tu peux jeter la pierre, moi je ne sentirais rien[/b], je ne sens plus rien depuis longtemps, je suis rongée par la rancœur, l’amertume et même la haine. C’est ce que vous pensez mes filles, car oui j’ai deux filles mais chacune à votre façon vous pensez la même chose jusqu'à vous confondre.

"A force de ressasser ces vieilles histoires, elle ne sent plus rien notre mère, ni l’odeur des fleurs, ni la chaleur du soleil ni notre amour.

Parlons-en de votre amour mes chères filles, celui éternel et naïf de l’aînée ou celui plus discret mais tout aussi exclusif de la cadette. Vous avez fini par n’aimer que votre père, si gentil, si effacé et sans défense, croyez-vous."

L’une et l’autre avaient fait de moi la coupable idéale, la sotte qui n’a jamais voulu changer sa situation, la victime qui n’a su que se plaindre, la méchante qui abuse de la faiblesse de votre père. Depuis longtemps vous avez décidé où se situait le mal et le bien, vous avez tranché dans le vif de l’histoire familiale. Sûres de votre jugement infaillible, de vos grandes qualités humaines, vous m’avez régulièrement jeté la pierre, comme lui le faisait déjà hors de votre vue. Aveuglées par votre amour filial, vous n’avez jamais tourné ni la tête ni le cœur vers moi.

Alors oui, j’ai détesté la vie, celle qu’on avait pensée pour moi sans me consulter, celle que j’ai voulu sans jamais la connaitre. J’ai essayé d’aimer ce que la vie m’a offert, je vous ai aimé vous mes enfants, j’ai aimé et j’aime encore tous mes petits-enfants, ceux qu’on me laisse approcher, ceux que la vie m’a donné sans rien demander. J’aime mon chat et quelques humains, j’aurais aimé être aimée par un homme. Il est trop tard pour ça.

Oui peu à peu, de difficultés quotidiennes en déceptions, de disputes en reproches, d’espoirs en attentes et d’espérances en lassitude, j’ai désaimé ma vie. J’ai voulu croire qu’on trouverait des solutions, qu’on saurait se résigner sans se détester mais le fiel de sa faiblesse a empoisonné mon cœur comme mon corps. Les kilos se sont superposés aux mots amers et j’ai glissé vers la haine contenue, le poison suinté mot par mot, le venin distillé  geste après geste au quotidien comme un médicament, une potion amère sans magie.

Fatiguée, j’ai avalé vos reproches, vos soupirs, j'ai anesthésié mon cœur et mon corps jusqu'à me retirer de tout. Alors oui aujourd'hui, qui que tu sois, fille aînée ou cadette, tu peux jeter la pierre, moi je ne sentirais rien.