A. Autoportrait

J’étais folle de ce chapeau.  Il me fascinait.  J’en avais tellement rêvé. Tout le contraire d’une nature morte.  Il n’avait rien à voir non plus avec celui du modèle nostalgique et austère que Pierre Paul Rubens m’avait inspiré.  Ce chapeau m’allait comme un gant et je me sentais bien quand je le portais.

A la vitrine de Rose Bertin au Faubourg Saint-Honoré, il m’avait subjugué et je l’avais acheté sans hésiter.  Ses larges bords, son port altier et surtout sa texture de paille souple, claire et légère, s’adaptaient parfaitement à la forme ovale de mon visage et à la couleur de mes yeux.  La guirlande de fleurs des champs, coquelicots, marguerites et bleuets, qui enrubannait harmonieusement le rebord gauche, et la plume d’autruche, qui l’équilibrait sur la droite, conféraient à l’ensemble une impression d’authenticité et de naturel, comme si de toute évidence ce chapeau était fait pour moi, un chapeau qui respire la vie.  

Face au miroir, je m’y reconnaissais parfaitement.  Eclairés subtilement par le reflet des rebords, mes yeux se découvraient en premier lieu, limpides et mutins.  Dans un contraste d’ombre et la lumière, mes traits volontaires se dessinaient, les cheveux retenus seulement par cette splendide capeline ….   Une allure décidée, jeune et moderne qui me plaisait.

J’étais prête à créer mon autoportrait telle que j’étais, telle que je me voyais.  

L’ambition me tenaillait.  Impossible de le nier.  Je souhaitais prouver au Tout-Versailles qu’une femme de ma condition était capable d’assumer un avenir de peintre, de se réaliser au siècle des frivolités sans être nécessairement précieuse ou courtisane.

Mon métier me motivait et m’incitait à briller, séduire, pour trouver des modèles, des clients, et pénétrer ainsi dans la Cour des Grands.

Je voulais m’affirmer comme une femme libre et affranchie.  Donner à mon regard une autre dimension.    Montrer qu’à vingt-sept ans une femme peut avec talent égaler Fragonard et faire carrière,  qu’avec son pinceau et ses couleurs, elle est capable de peindre aussi bien qu’un homme,  exprimant la personnalité qui est la sienne,  avec sa sensibilité propre, sa sensualité, sa féminité.

Au fur et à mesure que mon tableau prenait forme et s’affinait, je me sentais entraînée dans une tout autre perspective qui me dépassait, un message universel impliquant toutes les femmes dans mon portrait.

Un défi, une gageure, un clin d’œil au monde entier !  J’ignore si j’y arriverai. Un pari sur le temps, à perdre ou à gagner.  

J’espère que mon autoportrait me survivra.   Le public en décidera.

Seul l’avenir le dira ….