A. Repérages

Repérages

Ange Peluci,  qui avait fait couler beaucoup d'encre dans ce que la presse avait appelé « le scandale des machines à écrire », attendait Pedro Álvarez au beau milieu de la rue Alexandre de Lespinasse. Il connaissait bien l'endroit puisqu'il logeait au numéro 47, dans trois chambres de bonne, six « gagneuses » qui facilitait son ordinaire quand il était entre deux gros coups.

D’ailleurs il se demandait s'il n’allait pas investir beaucoup plus dans ce business, depuis l'apparition du Minitel qui offre désormais des possibilités de développement du sexe qui rapporte. Jamais il n'avait imaginé que les PTT deviendraient les soutiens des souteneurs.

Ange Peluci, qui avait de la cervelle derrière le front, nourrissait aux grains la certitude intuitive que l'annuaire n'avait plus d'avenir. Il était doué pour investir ses neurones dans la prospective. Il appartenait à cette race de truands que l'on ne trouve plus guère sur le marché.

Pedro Alvarez arriva en retard comme d'habitude. Ange se contenta de sortir une main de sa poche et regarder sa montre. Pedro comprit aussitôt. C'était pas bon pour lui. Il savait pertinemment que la main qui était dans l'autre poche serrait une arme de poing genre Luger Parabellum P08, avec laquelle Ange faisait mouche à 40 cm. C'est dire si c'était un tireur d'élite.

Ange Peluci, qui ne tenait pas plus que cela à traîner dans le quartier, lui expliqua rapidement le topo en sortant une carte routière. Il indiqua du doigt un cercle rouge au crayon noir. Pedro Álvarez qui avait l'intelligence vive compris qu'il s'agissait du lieu du prochain casse.

— Tu vas là-bas faire du repérage, tu reluques le commissariat, la caserne des pompiers, la gendarmerie, l'armurerie s'il y en a une, tu entres dans le bistrot le plus proche et tu me ramènes les ragots d'usage, tu fais deux ou trois  clichés avec la pellicule photo Kodachrome, et pas une autre, t’as compris. Tu fais le tour de l'église par la droite, toujours faire le tour des églises par la droite. Tu repères s'il y a de la lumière à l'intérieur, des fois que le curé ferait ses ablutions dans le bénitier parce qu'il y a pénurie de flotte. Après ça tu vas au garage Pinpon, tu donnes un énorme coup de pied dans le rideau métallique pour le faire vibrer un max. Tu te fais mal aux pieds, mais tu gueules pas. Et si personne ne bouge c'est qu'ils ont le sommeil lourd. Donc tu rentres, en passant par la départementale qui longe le petit-bois sur ta gauche. À la sortie du bois juste avant les premières maisons il y a une cabine téléphonique. Comme il fera nuit il n'y aura personne. Donc, éventuellement, tu peux t'arrêter là pour pisser derrière la cabine. Faut rester prudent.
Bon alors ? Tu as compris ?

— Ouais patron j'ai tout pigé !
— Alors si tu as compris, fais ton magnétophone et répètes moi tout mot à mot. T'as pas intérêt à faire une erreur,  sinon…

Et Ange Peluci sortit l'autre main de sa poche.
— J’avais raison pensa Pedro c'est bien un Luger Parabellum P08.

Ça n'est pas qu'il soit trouillard le Pedro, mais cependant le flingue pointé vers lui faisait  quand même monter comme une envie de pisser…
— Chiotte !, pensa-t-il… y'a pas de cabine téléphonique à proximité pour me soulager…