A. Boire ou conduire...

"On attend plus que Gaston pour partir faire le tour monde".
C'était la blague habituelle, celle qui revenait régulièrement au "Café des traditions et du progrès réunis" situé sur la place de notre banlieue prolétarienne.

Le soir après le boulot pour celui qui en avait un, après une journée longue et ennuyeuse pour celui qui n'en avait pas, on se retrouvait autour d'un verre.

Gaston était notre bout-en-train. Après quelques verres il déclarait :
- Quand j'aurai sorti mon vieux tacot jaune de la végétation où il broute depuis 10 ans, je partirai faire le tour du monde et...qui m'aime me suive!

Nous, on le laissait dire, mais bien-sûr on n' y croyait pas.


Depuis quelque temps on avait vu arriver au bistrot de nouveaux visages, ceux d' immigrés venus d'un peu partout. Ils nous saluaient et se présentaient maladroitement.
Il y avait Vladimir le Polonais, Cristobal le Chilien, Miroslav le Kosovar, Ousman le Malien et Yaman le Syrien.

Nous n'étions pas trop d'accord :

- Ils viennent prendre le travail des français, disait René.

- On ne pourra plus sortir nos blagues racistes se plaignait Lucien.

- On ne pourra plus critiquer la politique française entre nous prétendait Joseph.

De plus, les visages de ces nouveaux venus ne nous plaisaient pas : on n'était plus chez nous!
On soupirait, résignés à les tolérer sans plus...


Un soir, c'est Marcel, le patron du bar qui a débloqué la situation :

- Allez les gars, je vous offre un verre à tous. Ca me fait mal de vous voir avec vos grenadines, cocas et autres saloperies. Ce sera un Pastis pour tout le monde!

Toujours assis sur le tabouret devant le bar, il y en avait un qu'on n'entendait presque jamais mais qui n'en pensait pas moins, c'était Alphonse. Il avait longtemps vécu dans le sud de la France et pour lui le Pastis c'était sacré!
Il murmura dans sa barbe
-Je paye la deuxième tournée et quand ils seront tous bourrés l'ambiance sera meilleure.

Les immigrés reniflèrent leur Pastis, et le reposèrent sur la table sans même y goûter.

- Aïe, dit Alphonse, je crois que la religion de certains de ces rastaquouères leur interdit...
- Taratata  répliqua Joseph,on va voir ça!

Et en effet. A la troisième tournée, Ousmane a dansé comme à Bamako, Cristobal et Miroslav ont chanté des airs de leur pays.
Nous, on a entonné : "Ah la salope!".
Heureusement, nos nouveaux copains ne comprenaient pas encore bien le français!


Après quelques soirées passées a rigoler ensemble,  René a remis la traditionnelle blague sur le tapis :

- Et alors Gaston, on le fait quand le tour du monde?
Gaston n'a pas hésité, il s'est levé, il a appelé le patron :

- Marcel, à boire pour tout le monde, ce sera la tournée du monde! Eh! pas besoin d'aller plus loin. Grande nouvelle!
J'emmène ma vieille Renault à la casse.Vous ne vous en êtes peut-être pas aperçus, mais ici, c'est tous les soirs qu'on fait le tour du monde!
Alphonse a bougonné : "Si c'est pas malheureux, cette bagnole qui datait d'Eliane sa première femme!"

Quelle ambiance que celle du "Café des traditions et du progrès réunis" quand les nouveaux venus se mêlent aux habitués et que chacun oublie ses idées préconçues pour ne penser qu'à la convivialité ! Même la vieille bagnole perd son rôle, le tour du monde est ailleurs, à portée de main.

Je croyais que c'était la musique… mais là, je constate
le pastis adoucit les mœurs

J'ai senti des allusions et des influences diverses.. Bizarre ! Vous avez dit bizarre ?

Ataraxie!
J'avais écrit une version plus soft de ce texte.Je l'ai fait lire à A. qui a dit, Zephirine, c'est toujours "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil".
Donc j'ai écrit autre chose et pour me venger, j'ai changé la seconde partie.
La dernière phrase c'est pour te faire coucou!

j'avais bien compris

Ta sorcière bien aimée

Voilà une très charmante manière de faire le tour du monde et tu as drôlement bien croqué les "croquants" comme disait Brassens !

J'aime beaucoup ces personnages hétéroclites en particulier cet Alphonse.
Mais où vas-tu chercher tout cela ?