A. La ballerine visitée.
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Charlotte
Ataraxie
Amanda.
Kz
Nerwen
AlainX
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A. La ballerine visitée.
La ballerine visitée.
Quand il est mort le poète, je me souviens nous étions en pleine répétition du « ballet des trois canards », que nous devions donner avec la troupe de Sergueï Ivanovich Dupont, qui comme son nom ne l’indique pas, était russe. En effet il avait été adopté par les époux Dupont après son exil en 1917, dans les jours qui suivirent l'assassinat de ses parents par les trotskistes. Il tenta de faire changer son nom en Dupontsky, juste après la libération de la France par des puissances étrangères en 1945. Mais ce fut en vain.
Je dois l'avouer, j'étais folle amoureuse de Sergueï. Je n'avais pas tardé à céder à ses avances afin de découvrir les secrets de ses steppes personnelles. C'est ainsi que je devins Première Étoile du Ballet qu'il avait nommé bien évidemment « Troupe d'Ivanovich Dupontsky ». Ce n'était pas difficile d'être Première Étoile, étant donné qu'il n'y en avait ni deuxième ni troisième. J'étais la seule qui savait véritablement quelque peu danser et à l'occasion faire des pointes.
Mon amant russe avait de l'ambition, il voulait monter « Le Lac des Cygnes », mais s'il avait le bras long dans sa diaspora, je n'avais pas pour autant la longueur du cou nécessaire pour incarner la bête. Comme Sergueï me trouvait plutôt ayant tendance à dandiner dans ma démarche, il opta pour « le Ballet des trois Canards ». Restait évidemment à trouver les deux autres bestioles !
Et justement nous comptions sur le poète pour nous introduire auprès de la troupe de l’Opéra de Paris, afin qu'il soit permis à de petits rats de l'opéra d'être promus au rang de grands canards dans cette aventure prometteuse. Et voilà que cet imbécile de poète n'a pas trouvé d'autre idée que de défunter la veille où il devait nous présenter à l’Étoile Josette Amiel, (*) qui d'après son nom était certainement d'une douceur infinie. Elle avait d'ailleurs triomphé dans « la tapette à mouches » : opéra en trois actes et ballet, écrit par l'arrière petit cousin d'un maréchal d'empire, qui selon la légende, en aurait tué sept d'un coup.
Je méditais sur tout cela, assise par terre sur le plancher de la salle de répétition, maudissant la destinée qui venait de faire capoter ce projet magistral, promu à une tournée internationale, et même mondiale, et même dans beaucoup de pays. Soudain, sur ma droite, j'aperçus une ombre.
Aussitôt je compris que c'était l'âme du poète qui nous visitait. Son corps n'était pas encore assez refroidi pour qu'il puisse monter au paradis des artistes en tout genre pour productions diverses et variées, prix attractifs.
Je n'en croyais pas mes oreilles de le voir ainsi. C'était donc vrai. Les poètes avaient un âme taillée dans l’éternité. J'en fus émue aux larmes, qui coulèrent sur mon tutu, déjà taché par Sergueï qui n'avait pas su se retenir à temps.
Tout à coup, me vint du fond des âges comme un air de musique, d'abord diffus, puis de plus en plus précis. Alors, monta de la fine pointe de mon âme des mots lancinants qui me firent chavirer, puis me relever, puis tourbillonner sur moi-même comme une valse folle. Ça disait :
Longtemps, longtemps, longtemps
Après que les poètes ont disparu
Leur âme légère court encore dans les rues
Aussitôt je saisis un vieux programme qui traînait par là. J'écrivis les paroles. À mesure que j'écrivais il en venait d'autres. Le tout était accompagné d'une mélodie que le poète défunt faisait chanter à mes oreilles.
Bien plus tard j'appris qu'un inconnu, un certain Trenet, avait enregistré sur un phonographe une chanson qui ressemblait étrangement à ce que le poète m’avait transmis comme ultime message dans son souffle final. J’ai intenté un procès. Mais personne n’a jamais voulu me croire.
—————
(*)Nommé danseuse étoile en 1958. Elle s'exhiba devant un dénommé Charles De Gaulle.
Quand il est mort le poète, je me souviens nous étions en pleine répétition du « ballet des trois canards », que nous devions donner avec la troupe de Sergueï Ivanovich Dupont, qui comme son nom ne l’indique pas, était russe. En effet il avait été adopté par les époux Dupont après son exil en 1917, dans les jours qui suivirent l'assassinat de ses parents par les trotskistes. Il tenta de faire changer son nom en Dupontsky, juste après la libération de la France par des puissances étrangères en 1945. Mais ce fut en vain.
Je dois l'avouer, j'étais folle amoureuse de Sergueï. Je n'avais pas tardé à céder à ses avances afin de découvrir les secrets de ses steppes personnelles. C'est ainsi que je devins Première Étoile du Ballet qu'il avait nommé bien évidemment « Troupe d'Ivanovich Dupontsky ». Ce n'était pas difficile d'être Première Étoile, étant donné qu'il n'y en avait ni deuxième ni troisième. J'étais la seule qui savait véritablement quelque peu danser et à l'occasion faire des pointes.
Mon amant russe avait de l'ambition, il voulait monter « Le Lac des Cygnes », mais s'il avait le bras long dans sa diaspora, je n'avais pas pour autant la longueur du cou nécessaire pour incarner la bête. Comme Sergueï me trouvait plutôt ayant tendance à dandiner dans ma démarche, il opta pour « le Ballet des trois Canards ». Restait évidemment à trouver les deux autres bestioles !
Et justement nous comptions sur le poète pour nous introduire auprès de la troupe de l’Opéra de Paris, afin qu'il soit permis à de petits rats de l'opéra d'être promus au rang de grands canards dans cette aventure prometteuse. Et voilà que cet imbécile de poète n'a pas trouvé d'autre idée que de défunter la veille où il devait nous présenter à l’Étoile Josette Amiel, (*) qui d'après son nom était certainement d'une douceur infinie. Elle avait d'ailleurs triomphé dans « la tapette à mouches » : opéra en trois actes et ballet, écrit par l'arrière petit cousin d'un maréchal d'empire, qui selon la légende, en aurait tué sept d'un coup.
Je méditais sur tout cela, assise par terre sur le plancher de la salle de répétition, maudissant la destinée qui venait de faire capoter ce projet magistral, promu à une tournée internationale, et même mondiale, et même dans beaucoup de pays. Soudain, sur ma droite, j'aperçus une ombre.
Aussitôt je compris que c'était l'âme du poète qui nous visitait. Son corps n'était pas encore assez refroidi pour qu'il puisse monter au paradis des artistes en tout genre pour productions diverses et variées, prix attractifs.
Je n'en croyais pas mes oreilles de le voir ainsi. C'était donc vrai. Les poètes avaient un âme taillée dans l’éternité. J'en fus émue aux larmes, qui coulèrent sur mon tutu, déjà taché par Sergueï qui n'avait pas su se retenir à temps.
Tout à coup, me vint du fond des âges comme un air de musique, d'abord diffus, puis de plus en plus précis. Alors, monta de la fine pointe de mon âme des mots lancinants qui me firent chavirer, puis me relever, puis tourbillonner sur moi-même comme une valse folle. Ça disait :
Longtemps, longtemps, longtemps
Après que les poètes ont disparu
Leur âme légère court encore dans les rues
Aussitôt je saisis un vieux programme qui traînait par là. J'écrivis les paroles. À mesure que j'écrivais il en venait d'autres. Le tout était accompagné d'une mélodie que le poète défunt faisait chanter à mes oreilles.
Bien plus tard j'appris qu'un inconnu, un certain Trenet, avait enregistré sur un phonographe une chanson qui ressemblait étrangement à ce que le poète m’avait transmis comme ultime message dans son souffle final. J’ai intenté un procès. Mais personne n’a jamais voulu me croire.
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(*)Nommé danseuse étoile en 1958. Elle s'exhiba devant un dénommé Charles De Gaulle.
AlainX- Kaléïd'habitué
- Humeur : stable
Re: A. La ballerine visitée.
Je savais que les coulisses des ballets étaient un vrai nid de serpents, mais là alors tu nous gâtes. Avec des situations improbables, des jeux de mots loufoques, des touches de vérité "vraie" et même des allusions au conte célèbre "Sept d'un coup". le tout détourné dans une histoire jubilatoire que j'adore !
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: A. La ballerine visitée.
Un texte sucré salé que j'ai aimé. Beaucoup d'humour parfaitement symbolisé par ce "Sergueï Ivanovich Dupont" qui ne laisse pas de marbre !
Le "Lac des cygnes" qui se transforme en "Ballet des trois canards".
"Défunter" est un néologisme plein d'humour.
"J'en fus émue aux larmes, qui coulèrent sur mon tutu, déjà taché par Sergueï qui n'avait pas su se retenir à temps." Voilà une phrase dont Bérurier pourrait revendiquer la paternité !
Oui, ce texte m'a fait rire, merci !
Le "Lac des cygnes" qui se transforme en "Ballet des trois canards".
"Défunter" est un néologisme plein d'humour.
"J'en fus émue aux larmes, qui coulèrent sur mon tutu, déjà taché par Sergueï qui n'avait pas su se retenir à temps." Voilà une phrase dont Bérurier pourrait revendiquer la paternité !
Oui, ce texte m'a fait rire, merci !
Kz- Kaléïd'habitué
- Humeur : bonne
Re: A. La ballerine visitée.
Ta ballerine visitée, au cou trop court pour faire le cygne, et folle amoureuse de ce Dupontsky m'a fait mourir de rire.
Après ce fut l'indignation, non, mais, elle a quand même écrit une belle chanson. Et ses droits d'auteur alors ?
:clap
Après ce fut l'indignation, non, mais, elle a quand même écrit une belle chanson. Et ses droits d'auteur alors ?
:clap
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: A. La ballerine visitée.
J'adore ton humour. En plus ce texte m'a rempli d'espoir: une carrière s'ouvre devant moi ( certes, une fin de carrière ) je vais devenir la danseuse étoile du Ventoux !
Ataraxie- Kaléïd'habitué
- Humeur : changeante
Re: A. La ballerine visitée.
Une fois de plus tu m'as fait bien rigoler.
Charlotte- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: A. La ballerine visitée.
Alainx a écrit:Comme Sergueï me trouvait plutôt ayant tendance à dandiner dans ma démarche, il opta pour « le Ballet des trois Canards ».
Vous êtes plusieurs dans ta tête non?
Rien ne t'arrête, même pas le tutu souillé
Pauvre poète
Cassy- Admin
- Humeur : Déterminée
Re: A. La ballerine visitée.
Comme ça fait du bien de rire...
Tous ces noms de famille sont des trouvailles géniales. *
Tous ces noms de famille sont des trouvailles géniales. *
Zéphyrine- Modératrice écriture libre
- Humeur : Méditerranéenne
Re: A. La ballerine visitée.
Toujours aussi dingue !!! J'adore !!!
Martine27- Kaléïd'habitué
- Humeur : Carpe diem
Re: A. La ballerine visitée.
Toujours un plaisir de te lire. o/
Night- Occupe le terrain
- Humeur : Nocturnement joyeuse...
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