A - Toi et moi

Je n’ai pas vu le temps passer. De l’instant de mon premier souvenir, ce merveilleux souvenir gardé bien au chaud dans un coin de ma mémoire, alors que, petite fille de deux ans, je te tenais la main à travers le sentier et que nous allions gaiement, accompagnées de maman, jusqu’au fond du pré nourrir nos lapins imaginaires. De cet instant là jusqu’au moment présent, celui où je me penche émerveillée sur le berceau de mon petit-fils endormi, je n’ai pas vu passer le temps.

J’ai pris des trains, j’ai marché, j’ai couru, j’ai aimé, j’ai cajolé, j’ai souffert. Je suis parfois restée à quai, observant ceux qui s’en allaient, pour un jour, pour dix ans ou pour toujours. Je les ai enviés, je les ai haïs, je les ai pleurés.

J’ai dit « plus tard » j’ai dit « demain » ou « l’an prochain » Il y avait tant à faire et si peu de temps pour s’arrêter en chemin. Des hommes à aimer, des études à finir, des enfants à élever, et la vie qui vous prend, et la vie qui vous broie, et la vie qui vous use.

J’ai fait des valises, rempli des cartons, j’ai déménagé, emménagé. J’ai quitté, on m’a quittée,  j’ai mis de la distance, j’ai raccourci les distances.

Parfois je me suis penchée pour cueillir un souvenir et le caler dans mon cœur pour plus tard, pour quand j’aurai cessé de courir, quand l’hiver aura pris possession de mon corps. Alors j’aurai tout le temps nécessaire pour m’asseoir sur un banc et faire resurgir le passé :

Nos jeux d’enfants.
Nos longues promenades sur le causse.
Une robe blanche et parrain qui me mène à l’autel
Nos enfants qui jouent au bord du ruisseau.
Le rire de maman découvrant sa cuisine repeinte de nos mains
Saillac, la grange de St Lary, l’an 2000 en Charente
Notre amour unique et indestructible

Je ne serai plus jamais jeune, je ne serai plus jamais belle, je prendrai de moins en moins de trains. Je resterai plus souvent à quai, mais tant que je te saurai là, vivante et près de moi et même si  mon cœur se balade désormais en plein courant d’air, je n’aurai pas peur.