A. La cabane de Théodore

Théodore n’avait pas un sommeil de qualité. Il s’endormait sans difficulté le soir lorsqu’il se couchait mais se réveillait systématiquement dès deux heures du matin sans  jamais parvenir à se rendormir. Il se tournait et se retournait dans son lit sans parvenir à replonger dans le monde des rêves. Il se levait alors, agacé, et regardait par la fenêtre la tour voisine, le bâtiment D2. Pas une lumière, tout le monde dormait sauf lui. Parfois, il entrevoyait la lueur bleutée et changeante d’un téléviseur allumé et cela le rassurait, quelqu’un ne dormait pas comme lui, il se sentait moins seul.
Il avait essayé la lecture, les mots croisés, les sudokus, écouter de la musique, essuyer et ranger la vaisselle de son dîner, rien n’y faisait.
Son ami Henry lui avait dit : moi j’ai une technique infaillible : je reste couché, je ne me relève surtout pas et je pense à quelque chose d’agréable, à un endroit où j’aimerais être. Essaye, tu verras ça marche.
Théodore, cette nuit-là lorsqu’il s’éveilla resta emmitouflé dans sa couette, n’ouvra même pas les yeux pour vérifier l’heure sur l’écran lumineux de son réveil et se mit à réfléchir à ce qui lui ferait plaisir. Etre loin de ce quartier bétonné, sans âme. Il s’imaginait dans une forêt. Oui, c’est ça, une forêt profonde avec l’odeur de l’humus, des troncs moussus, le craquement des feuilles mortes sous les pas, le grincement des branches dans la brise légère, le chant des oiseaux des bois, le frôlement furtif d’une biche apeurée. Vivre dans la forêt, finalement c’est ce qui lui plairait. Etre au plus près de la nature. Suivre les saisons. Se construire une cabane. Oui, c’est ça, une cabane en rondins avec un auvent sur le devant et un rocking-chair. Il imaginait alors l’intérieur de sa cabane. Une cheminée avec un bon feu pour l’hiver. Un canapé confortable, des lampes à huile et des bougies. De jolis rideaux à carreaux aux fenêtres. Un mobilier rudimentaire, le strict minimum, il n’avait pas besoin de grand chose. Il irait chercher l’eau à la rivière, oui un torrent qui passerait pas très loin et dont il entendrait le clapotis. Le bruit de l’eau pour dormir. Ou alors un lac. Un lac qu’il verrait de son auvent, assis sur son rocking-chair. Oui, c’est ça, une cabane en bois au bord d’un lac. Il pêcherait sur sa barque. Et à cet instant lui revint en tête une photo aperçue  dans un magazine cet après-midi chez le dentiste. Une image choquante d’un enfant debout sur une barque au milieu d’une mer de détritus en Indonésie et qui ramasse les déchets en plastique pour les revendre. Les détritus du monde entier qui sont en train de former un septième continent. Nos propres déchets qui tuent les poissons… Mais Théodore s’interdit toute pensée négative. Henry lui a dit que c’était mauvais pour le sommeil. Revenons à ce lac paisible et propre. Peut-être même que ses amis viendraient pêcher avec lui et ensuite ils feraient griller le poisson et le mangeraient ensemble. Et puis un jour aussi, assis sur son rocking-chair, il verrait une jolie femme se déshabiller et se baigner. De loin, il distinguerait ses formes arrondies et gracieuses se plonger dans l’onde fraiche. Soudain, elle appellerait au secours car elle se noierait et il accourrait pour la sauver. Elle l’enlacerait fort pendant qu’il la ramènerait sur la berge. Il la frictionnerait avec une grande serviette et lui proposerait de venir boire un thé bien chaud. Oui, la cabane c’était une bonne idée. Théodore s’était rendormi sans sans apercevoir.
Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois rien ne saura perdu…