Léon

Il arrive en janvier, toujours. Il entre dans le bar peu après les fantasques fêtes de fin d’année. Il a l’air fatigué, fané, presque effacé par un travail acharné, la barbe plus jaune que blanche, la peau flasque comme suite a un régime draconien. Il s’installe seul, sur une table à l’écart et commande à boire.

Il suit toujours le même rituel. Il entre, s’installe à sa table, commande un verre, parfois deux, et prend tout son temps pour le boire, sans que personne ne sache si c’est pour mieux le savourer ou pour s’empêcher d’en boire plus.

Il est taciturne, ne disant mot à personne, sauf pour, de temps en temps, exprimer à voix haute une maxime dont il a le secret, comme le 14 février dernier ou, de sa belle voix grave, il dit a un jeune homme qui ne savait comment déclarer sa flamme à sa belle : « L’amour, c’est quand l’envie vous prend qu’on ait envie de vous ».

Ainsi passe le printemps et l’été : Léon seul devant son verre, semblant se renfermer encore plus sur lui-même les jours de grandes chaleurs.

Septembre arrive, et avec lui les nuits plus fraîches ramènent du rouge sur les joues de plus en plus rebondies de Léon. Octobre et ses premières gelées recouvrent de blanc la barbe et les cheveux du vieil homme. En novembre, les rides de rire et les étincelles de joie ont retrouvé leur place, autour et dans ses yeux. A ceux qui s’étonnent de le voir recouvrer force et vigueur, il déclare en frottant sa bedaine : « que voulez vous, l’automne est le printemps de l’hiver ».

Et en ce premier jour de décembre, il se lève, déclarant qu’il doit reprendre le travail, attrape son manteau, rouge cela va de soi, et disparaît dans la rue, pendant que son rire résonne dans la nuit : Ho Ho Ho !!