A. Seule la neige reste blanche.

Seule la neige reste blanche.

— La guerre continue, soupira Lyudmula en roulant son landau dans la neige. C'était bien la peine de retrouver notre indépendance avec la chute de l'URSS… Pour ma part, autant le dire clairement, j'étais plutôt pour un rapprochement avec l'Europe. D'ailleurs je suis allé en France, dans des conditions qu'il vaut mieux que je passe sous silence, Internet a des oreilles…
C'est beau la France ! La vie y est agréable et surtout il n'y a pas de privation. On trouve tout ce qu'on veut dans les magasins, c'est même trop. Mais il paraît que les Français ne sont pas contents de leur sort. Je me demande ce qu'il leur faut…
Je me souviens j'avais discuté du côté du Quartier Latin, avec un gentil français, dans cette langue que je maîtrisais mal et qui le faisait rire. Mais il ne connaissait rien à la politique. Surtout pas l'internationale. Quand je lui ai dit que j'étais ukrainienne il m'a fredonné une chanson française. Ça parlait de Moscou et d'une certaine Nathalie et des plaines d'Ukraine… bref ! Des bêtises au regard de nos réalités.

Lyudmula pressait le pas. Il ne faisait pas bon de s'attarder dans les rues où l'on ne pouvait faire que de mauvaises rencontres dans ces quartiers délabrés. elle songeait avec effroi à ce qui pourrait se passer si on s'intéressait de près à ce landau beaucoup trop coloré qui pouvait attirer le regard de ces bandes organisées qui ne cessaient d’importuner, principalement les femme,  voire de les détrousser. Et alors, que deviendrait son jeune fils qu'elle nourrit encore ?

— Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire à manger aux autres  gosses ce soir ?
c'était sa première préoccupation. ensuite, elle songea à Andriy, l'homme avec lequel elle partageait sa vie. Et qui était toujours dans le Donbass où les combats ne cessaient pas.

— Est-ce que je vais le retrouver un jour ? Me reviendra-t-il vivant ou entre quatre planches ? je sais, je ne devrais pas me poser ce genre de questions. Faire confiance. L'autre jour, le Pope me l'a dit : « mon enfant, il faut faire confiance à Dieu qui veille sur l'Ukraine, comme il veille sur la Russie ». Je me suis dit que finalement l'église orthodoxe mangeait à tous les râteliers. Comment faire confiance, quand on n'a pas cessé de nous mentir, de nous faire 1000 promesses, alors que la guerre a déjà fait plus de 9000 morts, et plus de 21 000 chez les civils. Qu'est-ce que c'est que ce dieu là ! ?

Lyudmula regarda alors sur sa gauche. un homme à la barbe hirsute venait de la dépasser et faisait glisser derrière lui un traîneau avec des paquets dessus. Malgré la situation tragique ces préoccupations et ses peurs parfois débordantes, elle sourit intérieurement, parce que le paquet du dessus ressemblait à un jeune enfant emmailloté.
— c'est presque poétique, songea-t-elle.

L'homme continua sa route, marchant à grands pas, plus vite qu'elle. Et même il accélérait, voilà maintenant qu'il courait presque. Lyudmula avait cessé de sourire. Elle s'était même arrêtée. La situation lui semblait tellement étrange. L'homme abandonna le traîneau pour se précipiter dans l'immeuble abandonné. Lyudmula  tout à coup comprit et se figea sur place, envahie par une terrible angoisse.


C'est plus de 15 jours après  qu’Andriy appris le décès de Lyudmula. On lui expliqua que malheureusement elle avait été victime du Destin. Comme on dit : être au mauvais moment au mauvais endroit. Non, évidemment,  il n'était pas possible de voir sa dépouille. Elle avait été enterrée très rapidement. D'ailleurs, le corps était tellement déchiqueté qu'on avait pu l’identifier uniquement à cause de son landau bleu, original, que tout le monde connaissait dans le quartier. Non, le bébé non plus n'avait pas survécu. Mais la vie continue.