il y a loin... très loin
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Tornade
Amanda.
Escandélia
7 participants
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il y a loin... très loin
Levée la première, bien avant le jour, maman préparait le café. Son vieux moulin grinçait dans l'aube fraîche. L'eau bouillie dans la casserole sur le coin du feu, était versée dans la vieille cafetière pour embaumait toute la maison. Assise près de la fenêtre, tout en écoutant son vieux poste TSF, maman tirait son ouvrage sur le carreau. Un pull, une couverture, et son crochet dansait sous ses doigts agiles pour que l’hiver nous soit plus doux. C'était pour elle les seuls moments de répit. Ensuite venait l’heure de la traite, pendant que nous déjeunions d’un bol de lait bien chaud.
Revenue de l'étable, il fallait s'occuper des cochons. Maman leur préparait leur pâtée: une bouillasse au parfum délicat de pommes de terre bouillies accompagnées de son grossièrement moulu et de petit lait légèrement aigre, dont ils se régalaient en criant.
Mon père rentrait à son tour et cassait la croute avant d’aller au champ. Nous devions l’accompagner pour lui venir en aide. Muni de sa grosse masse, il commençait par s'occuper de la pâture des vaches. Il était à présent l’heure de les libérer de l’étable pour les conduire au pré. Ce travail m'incombait tout naturellement.
La Charmante marchait devant. Les autres suivaient. Aux Enclos, le père, la masse en main, plantait sa clôture. Ma vache reconnaissait bien les coups sur chaque piquet appuyés, prenait alors le galop et de son mufle au vent, humait l’odeur du maître, le seul qu’elle connaissait. J’avais du mal à contenir ce maigre troupeau avide d’herbe fraîche et de pâture en fleur. Là-haut le père les attendait, aurait il le temps de terminer sa clôture ?
Nous ne gardions plus depuis longtemps déjà. Les clôtures électriques , moins poétiques que les pâtres avaient remplacé les petits bergers que nous étions. Libérant ainsi du temps pour d’autres corvées.
Il y avait toujours ces lourds travaux des champs qui vous brisaient le dos et vous câlaient les mains.
Les fenaisons succédaient aux labours de printemps et précédaient les moissons.
Parents, enfants et grands-parents étaient mis à contribution. Chacun prenait sa charge de travail selon ses forces et suivant les besoins. Le père passait devant. Il imprimait le rythme que chacun s’efforçait de tenir avec le plus grand soin. Grand-mère fermait la marche, nous houspillant à coup de râteau.
Quand arrivait l’heure du repas, maman tirait du grand panier, le casse-croute fait de pain et de fromage, parfois de saucisson. Les enfants avaient droit à un carré de chocolat en récompense. La Lorette, notre vaillant berger cherchait l’ombre des cerisiers. La bouteille d’eau fraîche coupée de vin claret était planquée au creux de la source. Elle attendait que chacun se désaltère, avant que tous reprennent l’ouvrage, ployant sous le soleil, ignorant fatigue et courbatures. Demain serait un autre jour, et la peine suffisait au quotidien.
Quand nous rentrions le soir, fourbus, l’ouvrage achevé, nous nous délections de tartines de confiture de groseille, les seules que nous ayons à la maison, en attendant la traite et le bon lait bourru.
Une fois le bétail soigné et rassasié, chacun passait à table, c’était l’heure de la soupe, un peu de pain dans une eau claire que maman avait trempé.
Le repas terminé nous allions devant la porte, nous assoir sur la grosse pierre. Les crapauds entonnaient leurs doux chants mélodieux. Notre père, un enfant sur les genoux, nous contait les étoiles : le charriot, la grande ourse, celle du berger et du bouvier. Mille et un parfum montaient de la terre, accompagnant ces histoires des temps anciens. Pour nous rien de plus beau.
Nous nous lovions, ma sœur et moi, contre sa jambe, tout près profitant de cette douce chaleur qui rassure dans la nuit. C’est là que nous trouvions le repos. Voilà déjà bien longtemps que le loup en avait fini avec la Nanon, pendant que Pierre la Barbe Grise essayait de comprendre comment on organise une maison. Le petit Poucet déjà était rentré au bercail et Tom Pouce était sorti du ventre de la Roussette depuis une bonne heure déjà, quand il nous fallait aller dormir.
Chacun retrouvait son petit lit de plume et se laissait bercer par le cricri d’une grillonne tandis que dansaient sur les étoiles le petit prince et son mouton
Revenue de l'étable, il fallait s'occuper des cochons. Maman leur préparait leur pâtée: une bouillasse au parfum délicat de pommes de terre bouillies accompagnées de son grossièrement moulu et de petit lait légèrement aigre, dont ils se régalaient en criant.
Mon père rentrait à son tour et cassait la croute avant d’aller au champ. Nous devions l’accompagner pour lui venir en aide. Muni de sa grosse masse, il commençait par s'occuper de la pâture des vaches. Il était à présent l’heure de les libérer de l’étable pour les conduire au pré. Ce travail m'incombait tout naturellement.
La Charmante marchait devant. Les autres suivaient. Aux Enclos, le père, la masse en main, plantait sa clôture. Ma vache reconnaissait bien les coups sur chaque piquet appuyés, prenait alors le galop et de son mufle au vent, humait l’odeur du maître, le seul qu’elle connaissait. J’avais du mal à contenir ce maigre troupeau avide d’herbe fraîche et de pâture en fleur. Là-haut le père les attendait, aurait il le temps de terminer sa clôture ?
Nous ne gardions plus depuis longtemps déjà. Les clôtures électriques , moins poétiques que les pâtres avaient remplacé les petits bergers que nous étions. Libérant ainsi du temps pour d’autres corvées.
Il y avait toujours ces lourds travaux des champs qui vous brisaient le dos et vous câlaient les mains.
Les fenaisons succédaient aux labours de printemps et précédaient les moissons.
Parents, enfants et grands-parents étaient mis à contribution. Chacun prenait sa charge de travail selon ses forces et suivant les besoins. Le père passait devant. Il imprimait le rythme que chacun s’efforçait de tenir avec le plus grand soin. Grand-mère fermait la marche, nous houspillant à coup de râteau.
Quand arrivait l’heure du repas, maman tirait du grand panier, le casse-croute fait de pain et de fromage, parfois de saucisson. Les enfants avaient droit à un carré de chocolat en récompense. La Lorette, notre vaillant berger cherchait l’ombre des cerisiers. La bouteille d’eau fraîche coupée de vin claret était planquée au creux de la source. Elle attendait que chacun se désaltère, avant que tous reprennent l’ouvrage, ployant sous le soleil, ignorant fatigue et courbatures. Demain serait un autre jour, et la peine suffisait au quotidien.
Quand nous rentrions le soir, fourbus, l’ouvrage achevé, nous nous délections de tartines de confiture de groseille, les seules que nous ayons à la maison, en attendant la traite et le bon lait bourru.
Une fois le bétail soigné et rassasié, chacun passait à table, c’était l’heure de la soupe, un peu de pain dans une eau claire que maman avait trempé.
Le repas terminé nous allions devant la porte, nous assoir sur la grosse pierre. Les crapauds entonnaient leurs doux chants mélodieux. Notre père, un enfant sur les genoux, nous contait les étoiles : le charriot, la grande ourse, celle du berger et du bouvier. Mille et un parfum montaient de la terre, accompagnant ces histoires des temps anciens. Pour nous rien de plus beau.
Nous nous lovions, ma sœur et moi, contre sa jambe, tout près profitant de cette douce chaleur qui rassure dans la nuit. C’est là que nous trouvions le repos. Voilà déjà bien longtemps que le loup en avait fini avec la Nanon, pendant que Pierre la Barbe Grise essayait de comprendre comment on organise une maison. Le petit Poucet déjà était rentré au bercail et Tom Pouce était sorti du ventre de la Roussette depuis une bonne heure déjà, quand il nous fallait aller dormir.
Chacun retrouvait son petit lit de plume et se laissait bercer par le cricri d’une grillonne tandis que dansaient sur les étoiles le petit prince et son mouton
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: il y a loin... très loin
Tu as vraiment vécu tout cela ? Eh bien, alors, le 21ème siècle doit te paraître surréaliste, non ?
Je retiens surtout la belle connivence dans la famille, rythmée par les lourds travaux et la simplicité de chacun.
Pas de revendications, pas de récriminations, pas d'envie...
C'est très beau et la chute ajoute une touche poétique.
Pourquoi ce texte me fait-il penser à Pagnol, à Jean de Florette et Manon des Sources ?
Je retiens surtout la belle connivence dans la famille, rythmée par les lourds travaux et la simplicité de chacun.
Pas de revendications, pas de récriminations, pas d'envie...
C'est très beau et la chute ajoute une touche poétique.
Pourquoi ce texte me fait-il penser à Pagnol, à Jean de Florette et Manon des Sources ?
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: il y a loin... très loin
Merci Amanda pour ton com. Cela fait plaisir. J'ai vécu une enfance heureuse, il y a bien plus de 30 ans. C'était dans les année 50.
J'ai eu une conversation récemment avec mon fils au sujet de son grand père dont il n'a que peu de souvenirs. Ta consigne me donne l'occasion de revenir sur ce sujet et c'est avec plaisir que je vous en livre cet extrait. La vie était rythmée par les peines et les joies, mais aussi la peine que chacun se donnait pour contribuer aux gros travaux des champs. Nous étions des auxiliaires précieux le jour, mais dès le soir venu, nous redevenions enfants.
Tu dis que ce texte te fais penser à Pagnol, je crois que ses romans m'ont toujours captivée. D'ailleurs, j'aime ces parfums de garrigue et de romarin. L'authentique est pour moi bien plus qu'une graine : Hugo, Florine, Romain, Manon sont la dernière lignée de cet héritage commun : ce sont nos enfants.
J'ai eu une conversation récemment avec mon fils au sujet de son grand père dont il n'a que peu de souvenirs. Ta consigne me donne l'occasion de revenir sur ce sujet et c'est avec plaisir que je vous en livre cet extrait. La vie était rythmée par les peines et les joies, mais aussi la peine que chacun se donnait pour contribuer aux gros travaux des champs. Nous étions des auxiliaires précieux le jour, mais dès le soir venu, nous redevenions enfants.
Tu dis que ce texte te fais penser à Pagnol, je crois que ses romans m'ont toujours captivée. D'ailleurs, j'aime ces parfums de garrigue et de romarin. L'authentique est pour moi bien plus qu'une graine : Hugo, Florine, Romain, Manon sont la dernière lignée de cet héritage commun : ce sont nos enfants.
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: il y a loin... très loin
Ton texte donne très envie de se lover avec ta soeur et toi pour écouter les belles histoires dites par la voix rassurante de ton papa.
Je me suis laissée complétement embarquée. merci
Je me suis laissée complétement embarquée. merci
Tornade- Kaléïd'habitué
- Humeur : En phase ascendante
Re: il y a loin... très loin
C'était dans les année 50.
Effectivement, il est utile de préciser. Parce qu'il y a trente ans, c'était hier, et les années 80 annonçaient le 21ème siècle et son lot de déceptions, d'angoisses et mal-vie.
Dans les années 50, la campagne limousine ressemblait beaucoup à celle que tu décris ici, et pour nous qui avons vécu cette époque, c'était hier ... et pourtant plus d'un demi-siècle s'est écoulé depuis qu'on fanait, râteau en main. Aujourd'hui, un grand tracteur suivi d'une curieuse machine aranque* des hectares de foin coupé en un temps record.
* aranquer : faire des rangs de foin qui seront avalés par le round baller et recrachés sous forme de boules cerclées de ficelles ou de plastique vert, noir ou blanc...
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Re: il y a loin... très loin
Beau texte Escandélia. Sincère et vivant. Eh bien oui, c'est ainsi que nous vivions dans les campagnes limousines ou auvergnates. Mais nous n'en étions pas plus malheureux pour autant n'est ce pas ? Il faut dire que, très tôt, nous apprenions à nous contenter de peu, voire de très peu et les vacances se passaient aux champs et à la garde des animaux. C'était mon occupation favorite d'ailleurs parce que j'étais seule avec mon chien et le troupeau et c'est là, que toute jeunette, j'ai commencé à dévorer des livres et encore des livres.
Invité- Invité
Re: il y a loin... très loin
Au delà du fait que l'époque dont tu parles se situe dans les années 1950 (et non pas 1980 ce qui change évidemment beaucoup de choses ) ton texte est tout simplement magnifique et digne de figurer dans un livre de souvenirs.
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: il y a loin... très loin
Une vie de labeur très riche et très bien exprimée dans ce beau texte.
J'aime beaucoup aussi la manière comme tu conclus ton récit.
J'aime beaucoup aussi la manière comme tu conclus ton récit.
trainmusical- Occupe le terrain
- Humeur : à vous de juger :-)
Re: il y a loin... très loin
Tu nous restitues très bien une tranche de vie de terroir d’autrefois, dure, mais avec ses bonheurs, celui des enfants en particulier qui trouvent leur part de rêve avec les contes et les étoiles. Tu as des notations très évocatrices, comme Son vieux moulin grinçait dans l'aube fraîche
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
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