L’âge de glace
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L’âge de glace
Petar était un grand costaud, une montagne de viande, qui exhibait volontiers sa musculature vu qu’il n’avait pas grand-chose d’autre à montrer : une belle vitrine et rien derrière. Ce matin là, accoudé comptoir du bar Budva, il avait trouvé une nouvelle occasion de se mettre en valeur :
- Dites-donc les gars, vous saviez qu’il y a du fer dans le corps humain ? Sans blague, vrai de vrai, j’ai entendu ça à la télé hier soir.
Et retroussant la manche pour montrer son biceps, il poursuivit
- Je comprends maintenant pourquoi mes muscles sont aussi durs. A votre avis, y’en a combien de kilos là dedans ?
Novak, un docte professeur qui prenait son café avant de se rendre au lycée ajusta ses lunette et déclara :
- Du fer, Pfff ! S’il y en a Un gramme dans ta carcasse, c’est bien le maximum. Sache mon brave que le corps humain est composé de 70% d’eau.
Et il sortit de sa serviette un livre qu’il feuilleta et mit sous le nez du colosse l’index pointé sur une ligne.
Rien à rétorquer à cela : c’était bel et bien écrit. Petar n’avait guère l’habitude des livres, mais il devait reconnaître que celui-ci, bien carré et à reliure épaisse, c’était du sérieux.
Déconcerté, il vida d’un trait son verre ballon d’eau de vie et sortit du bar.
70% d’eau. Il n’arrivait pas à s’arracher ces six syllabes de la tête. Au travail – il était déménageur – il se montra négligent au grand dam des collègues qui reçurent le poids d’un meuble sur le pied. De retour chez lui, il se mit dans le plus simple appareil et se regarda dans la glace. Ce corps qui avait toujours fait sa fierté, c’était de la flotte et rien d’autre, quelle horreur ! La nuit venue, impossible de dormir. Au moindre gargouillement de son ventre, il imaginait une cascade. Ses bourdonnements d’oreille se muaient en vacarme de torrent et ce n’étaient pas les larmes de rage qu’expulsaient ses yeux qui arrangeaient la situation. Pas de doute, il allait se liquéfier d’un moment à l’autre.
Le lendemain il ne trouva pas la force d’aller au travail. Il se mit à déambuler dans les rues, sous la neige qui tombait dru. Il n’avait aucune envie de son café habituel. Il s’acheta une grande bouteille d’eau de vie, breuvage qui malgré son nom avait l’avantage de ne pas contenir une seule goutte du liquide honni. A mesure que la bouteille se vidait, Petar se remplissait à nouveau d’optimisme. L’incendie qui le gagnait, brûlait, asséchait, chassait toute trace de ces ignobles ruisseaux, mares, lacs, embusqués dans les moindres parties de son corps.
Flottant dans l’alcool et l’euphorie, il s’assit contre un mur et se laissa aller à des pensées béates. La vie était belle après tout et il allait en profiter davantage qu’auparavant. D’abord il allait se trouver une petite femme. Petite, façon de parler, car il en voulait une à sa taille et jusqu’ici il n’avait jamais réussi à la trouver. Mais s’il le fallait, il irait jusqu’au bout du monde pour la dénicher. Gonflé de cet espoir, il s’endormit sous la neige qui tombait de plus belle.
Le réveil fut difficile tant son corps était engourdi. Il réussit péniblement à se relever et lorsque le brouillard de ses yeux fut un peu dissipé, il constata avec horreur qu’il était blanc des pieds à la tête.
Sa hantise de la veille s’était réalisée, pendant son sommeil son corps s’était liquéfié et il ne devait qu’au gel d’avoir encore une silhouette vaguement humaine. Il n’était plus qu’un bloc de glace sur lequel les flocons s’installaient comme chez eux, le transformant en bonhomme de neige, un gigantesque bonhomme de neige. Toujours sa bouteille à la main, il s’avança dans la rue, plus titubant que jamais bien que dégrisé, une sorte de Golem glacial que les passants fuyaient en hurlant.
Il n’alla pas loin ; épuisé, il s’écroula sur le trottoir, se disant que sa mort était proche, il ne passerait pas l’hiver, c’était sûr. Alors il s’aperçut que son corps tout blanc suait à grosses gouttes et diminuait, diminuait. Au dessus de lui, une enseigne au néon clignotait lançant des éclairs vert et rouges qui le transformaient tour à tour en gigantesque glace à la pistache et à la fraise. « Boulangerie » lut il. Voilà, le pire était arrivé, là, devant cette boutique dont le soupirail exhalait une chaleur qui aurait fait le bonheur de n’importe quel sans abri. Bientôt il ne serait plus qu’une flaque qui s’en irait par le caniveau.
A travers la glace que le dégel rendait translucide, des taches colorées apparurent. Petar reconnut son pantalon, ses souliers, sa veste, puis une main puis tout son corps, entier, auquel pas une molécule ne manquait. Quant à la bouteille, elle était toujours à ses côtés, mais énorme, gigantesque comme un fantasme d’ivrogne. Après quelques instants d’incompréhension, il réalisa que la bouteille n’avait pas changé, c’était lui qui était tout petit, comme si toute l’eau éliminée de son organisme avait laissé un noyau dur de métal indestructible, un corps plus fort encore que celui du colosse qu’il avait été.
Il entendit un chuchotement tout à côté. Une jeune femme le regardait en souriant. Comme elle était belle, c’était celle dont il avait rêvé.
- Tu ne me reconnais pas, dit-elle
- Oh, tu sais, j’ai déjà du mal à me reconnaitre…
- Tu m’as vu souvent pourtant, je suis Liouballa
- Liouballa, mais tu es déjà une femme ?
_ Mais j’étais une femme Petar, une femme amoureuse de toi, mais de ta hauteur, tu me prenais pour une gamine.
_ Tu étais amoureuse du colosse que j’étais. A présent, je ne suis qu’un nabot, plus petit qu’un nain.
- Tu n’es pas un nabot, tu es à ma taille et je suis à la tienne. Le monde nous appartient et il est encore plus grand pour nous que pour les autres.
- Et ils s’en allèrent bras dessus bras dessous.
- Dites-donc les gars, vous saviez qu’il y a du fer dans le corps humain ? Sans blague, vrai de vrai, j’ai entendu ça à la télé hier soir.
Et retroussant la manche pour montrer son biceps, il poursuivit
- Je comprends maintenant pourquoi mes muscles sont aussi durs. A votre avis, y’en a combien de kilos là dedans ?
Novak, un docte professeur qui prenait son café avant de se rendre au lycée ajusta ses lunette et déclara :
- Du fer, Pfff ! S’il y en a Un gramme dans ta carcasse, c’est bien le maximum. Sache mon brave que le corps humain est composé de 70% d’eau.
Et il sortit de sa serviette un livre qu’il feuilleta et mit sous le nez du colosse l’index pointé sur une ligne.
Rien à rétorquer à cela : c’était bel et bien écrit. Petar n’avait guère l’habitude des livres, mais il devait reconnaître que celui-ci, bien carré et à reliure épaisse, c’était du sérieux.
Déconcerté, il vida d’un trait son verre ballon d’eau de vie et sortit du bar.
70% d’eau. Il n’arrivait pas à s’arracher ces six syllabes de la tête. Au travail – il était déménageur – il se montra négligent au grand dam des collègues qui reçurent le poids d’un meuble sur le pied. De retour chez lui, il se mit dans le plus simple appareil et se regarda dans la glace. Ce corps qui avait toujours fait sa fierté, c’était de la flotte et rien d’autre, quelle horreur ! La nuit venue, impossible de dormir. Au moindre gargouillement de son ventre, il imaginait une cascade. Ses bourdonnements d’oreille se muaient en vacarme de torrent et ce n’étaient pas les larmes de rage qu’expulsaient ses yeux qui arrangeaient la situation. Pas de doute, il allait se liquéfier d’un moment à l’autre.
Le lendemain il ne trouva pas la force d’aller au travail. Il se mit à déambuler dans les rues, sous la neige qui tombait dru. Il n’avait aucune envie de son café habituel. Il s’acheta une grande bouteille d’eau de vie, breuvage qui malgré son nom avait l’avantage de ne pas contenir une seule goutte du liquide honni. A mesure que la bouteille se vidait, Petar se remplissait à nouveau d’optimisme. L’incendie qui le gagnait, brûlait, asséchait, chassait toute trace de ces ignobles ruisseaux, mares, lacs, embusqués dans les moindres parties de son corps.
Flottant dans l’alcool et l’euphorie, il s’assit contre un mur et se laissa aller à des pensées béates. La vie était belle après tout et il allait en profiter davantage qu’auparavant. D’abord il allait se trouver une petite femme. Petite, façon de parler, car il en voulait une à sa taille et jusqu’ici il n’avait jamais réussi à la trouver. Mais s’il le fallait, il irait jusqu’au bout du monde pour la dénicher. Gonflé de cet espoir, il s’endormit sous la neige qui tombait de plus belle.
Le réveil fut difficile tant son corps était engourdi. Il réussit péniblement à se relever et lorsque le brouillard de ses yeux fut un peu dissipé, il constata avec horreur qu’il était blanc des pieds à la tête.
Sa hantise de la veille s’était réalisée, pendant son sommeil son corps s’était liquéfié et il ne devait qu’au gel d’avoir encore une silhouette vaguement humaine. Il n’était plus qu’un bloc de glace sur lequel les flocons s’installaient comme chez eux, le transformant en bonhomme de neige, un gigantesque bonhomme de neige. Toujours sa bouteille à la main, il s’avança dans la rue, plus titubant que jamais bien que dégrisé, une sorte de Golem glacial que les passants fuyaient en hurlant.
Il n’alla pas loin ; épuisé, il s’écroula sur le trottoir, se disant que sa mort était proche, il ne passerait pas l’hiver, c’était sûr. Alors il s’aperçut que son corps tout blanc suait à grosses gouttes et diminuait, diminuait. Au dessus de lui, une enseigne au néon clignotait lançant des éclairs vert et rouges qui le transformaient tour à tour en gigantesque glace à la pistache et à la fraise. « Boulangerie » lut il. Voilà, le pire était arrivé, là, devant cette boutique dont le soupirail exhalait une chaleur qui aurait fait le bonheur de n’importe quel sans abri. Bientôt il ne serait plus qu’une flaque qui s’en irait par le caniveau.
A travers la glace que le dégel rendait translucide, des taches colorées apparurent. Petar reconnut son pantalon, ses souliers, sa veste, puis une main puis tout son corps, entier, auquel pas une molécule ne manquait. Quant à la bouteille, elle était toujours à ses côtés, mais énorme, gigantesque comme un fantasme d’ivrogne. Après quelques instants d’incompréhension, il réalisa que la bouteille n’avait pas changé, c’était lui qui était tout petit, comme si toute l’eau éliminée de son organisme avait laissé un noyau dur de métal indestructible, un corps plus fort encore que celui du colosse qu’il avait été.
Il entendit un chuchotement tout à côté. Une jeune femme le regardait en souriant. Comme elle était belle, c’était celle dont il avait rêvé.
- Tu ne me reconnais pas, dit-elle
- Oh, tu sais, j’ai déjà du mal à me reconnaitre…
- Tu m’as vu souvent pourtant, je suis Liouballa
- Liouballa, mais tu es déjà une femme ?
_ Mais j’étais une femme Petar, une femme amoureuse de toi, mais de ta hauteur, tu me prenais pour une gamine.
_ Tu étais amoureuse du colosse que j’étais. A présent, je ne suis qu’un nabot, plus petit qu’un nain.
- Tu n’es pas un nabot, tu es à ma taille et je suis à la tienne. Le monde nous appartient et il est encore plus grand pour nous que pour les autres.
- Et ils s’en allèrent bras dessus bras dessous.
Dernière édition par tobermory le Ven 13 Fév - 11:00, édité 2 fois
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: L’âge de glace
Quelle imagination !!!!!
Avec des jeux de mots bien intégrés dans le texte.
Bon on reste dans les clichés et les stéréotypes, mais j'ai adoré la façon dont tu as utilisé l'ignorance de cet "homme culturisme" pour lui faire vivre ses angoisses.
La fin ouvre un peu sur la possibilité de changement. Mais je trouve dommage que cette fin soit si facile pour le personnage...
On passe d'un mec angoissé et un peu bête à un mec qui n'a plus aucune angoisse, et qui sort tranquille de cette boulangerie sans deuil à faire de son corps qu'il aimait tant.
Sauf si, derrière cela, le message est de souligner que l'Amour nous change.... :p
Enfin, je tilte que sur ta fin.
En tout cas, j'ai beaucoup aimé ce que tu nous as proposé, belle imagination !!!
Avec des jeux de mots bien intégrés dans le texte.
Bon on reste dans les clichés et les stéréotypes, mais j'ai adoré la façon dont tu as utilisé l'ignorance de cet "homme culturisme" pour lui faire vivre ses angoisses.
La fin ouvre un peu sur la possibilité de changement. Mais je trouve dommage que cette fin soit si facile pour le personnage...
On passe d'un mec angoissé et un peu bête à un mec qui n'a plus aucune angoisse, et qui sort tranquille de cette boulangerie sans deuil à faire de son corps qu'il aimait tant.
Sauf si, derrière cela, le message est de souligner que l'Amour nous change.... :p
Enfin, je tilte que sur ta fin.
En tout cas, j'ai beaucoup aimé ce que tu nous as proposé, belle imagination !!!
July_C- Kaléïd'habitué
- Humeur : qui vagabonde
Re: L’âge de glace
Quelle histoire ! Je me demandais où tu nous emmenais avec ton colosse.
Toujours une imagination débordante et l'art de retourner les situations pour arriver à tes fins.
J'ai bien aimé le néon qui transforme ton bonhomme en glace à la pistache et à la fraise.
Par contre, je n'ai pas compris le titre. Si ton type est fruste il n'a quand même rien d'un homme de l'âge de glace.
Toujours une imagination débordante et l'art de retourner les situations pour arriver à tes fins.
J'ai bien aimé le néon qui transforme ton bonhomme en glace à la pistache et à la fraise.
Par contre, je n'ai pas compris le titre. Si ton type est fruste il n'a quand même rien d'un homme de l'âge de glace.
Invité- Invité
Re: L’âge de glace
Happy end contre toute attente !
Je trouve les angoisses de ton héros à son réveil ou après la révélation du prof flippantes à souhait. On s'y laisse prendre aisément. Bravo !
Je trouve les angoisses de ton héros à son réveil ou après la révélation du prof flippantes à souhait. On s'y laisse prendre aisément. Bravo !
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: L’âge de glace
Ce Petar, cette montagne de viande m'intéresse! Il n'a pas grand chose dans sa caboche mais il m'attendrit avec son angoisse... Mais pourquoi tu le réduis à un nabot à la fin de l'histoire ?Faut lui laisser ses muscles .Les femmes préfèrent les grands et forts ....aux petits maigrichons.
Charlotte- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: L’âge de glace
J'ai adoré ! ce type qui vois sa vie partir en eau (de boudin ?) qui se liquéfie, quelle imagination débordante qui toujours m'enchante
Myriel- Kaléïd'habitué
- Humeur : Girouette
Re: L’âge de glace
un joli conte, j'ai trouvé les peurs de monsieur muscles très vraisemblables, et assez effrayantes, meme.
tu as très bien tenu le fil de ton histoire, qui pouvait partir dans tous les sens et cela offre un bon moment de lecture
tu as très bien tenu le fil de ton histoire, qui pouvait partir dans tous les sens et cela offre un bon moment de lecture
Pati- Kaléïd'habitué
- Humeur : mouvante
Re: L’âge de glace
Très beau moment de lecture. Que dire de plus que ce que les autres ont déjà écrits ?
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: L’âge de glace
Rondement mené cette affaire ! Une variante en quelque sorte du nain et la poupée.
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: L’âge de glace
J'arrive en bonne dernière pour commenter. Les autres ont tout dit. J'ajouterai simplement
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: L’âge de glace
Julyc. : ta remarque est pertinente, le personnage accepte trop vite son changement, même s’il y a, comme tu l’a vu, l’idée que l’amour change les gens ( ce qui est à la fois un cliché et une réalité)
Yvanne : explication du titre : pour arriver à sa nouvelle condition, il est passé par un « âge de glace » ( son état de bonhomme de neige).
Charlotte : scientifiquement je ne saurais pas trop t’expliquer comment il rétrécit, mais c’est cette transformation qui lui permet de rencontrer la femme qui l’aime. (et pour elle, il doit être encore grand et fort.)
Escandèlia : c’est quoi l’histoire du nain et de la poupée ?
Yvanne : explication du titre : pour arriver à sa nouvelle condition, il est passé par un « âge de glace » ( son état de bonhomme de neige).
Charlotte : scientifiquement je ne saurais pas trop t’expliquer comment il rétrécit, mais c’est cette transformation qui lui permet de rencontrer la femme qui l’aime. (et pour elle, il doit être encore grand et fort.)
Escandèlia : c’est quoi l’histoire du nain et de la poupée ?
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
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