Demain, j'irai voter

**Cassy** Sam 2 Mai - 14:45

Marie Thurmaux
24 ans
Colleuse en chaussure
Milieu ouvrier
St Junien

Demain est un grand jour puisque je vais enfin prouver à mon père, à mes frères que je peux être une femme responsable et réfléchie.
Demain, j’irai voter. Je mettrai mes habits du dimanche, mes chaussures vernies, je coifferai mes cheveux en chignon, j’ajusterai mon chapeau feutre à voilette, et j’irai voter.
Je descendrai à la ville à vélo, accompagnée de ma meilleure amie Armande. Nous chanterons à tue-tête sur la route, pour marquer d’une même voix ce jour si particulier.

Mon père a beau me répéter que ma place est à l’usine ou derrière les fourneaux, que je ne suis bonne à rien qu’à le rendre fou avec mes fréquentations douteuses, je n’en fait qu’à ma tête.

- Quand on est ouvrier, on ne fréquente pas les gens de la « haute », Armande n’a que faire de toi, c’est par pitié qu’elle t’amène partout avec elle, elle te laissera tomber comme une vieille chaussette le jour où elle épousera le fils du notaire.

- Armande est mon amie, elle ne s’intéresse pas à notre différence sociale et son père est contremaître, pas premier ministre

- N’empêche, c’est pas notre monde, et tu ferais mieux de ne pas écouter ses discours de féministe. Si ta pauvre mère te voyait, elle s’en retournerait dans sa tombe. Laisse les histoires de politique aux hommes et contente-toi de tenir la maison propre quand tu rentres du travail !

Mon père est un brave homme et je sais qu’il se fait du souci pour moi. Entre la mort de ma mère il y a cinq ans, la guerre, les privations et le retour difficile de l’aîné, malade et rachitique, après trois ans de stalag, il y a de quoi. Mais il ne voit pas que le monde est en train de changer. Il faut reconstruire, et ça ne se fera pas sans les femmes.

Nous avons prouvé que nous pouvions faire le travail d’un homme, que ce soit aux champs ou à l’usine. Si nous n’avions pas été là, qui aurait assuré la pitance pendant qu’ils se battaient tous au front en 1914 ?

Armande a raison, nous sommes toutes capables d’avoir des opinions politiques, de participer aux prises de décisions locales ou nationales. Ce que les femmes ont obtenu depuis longtemps en Angleterre, aux Etats-Unis, et dans une grande partie de l’Europe et du monde, nous venons enfin de l’obtenir en France. Dorénavant, il faudra compter avec nous.

Demain sera un grand jour, j’irai voter, je sais déjà quel bulletin je mettrai dans l’urne. Ce n’est que le début d’une longue marche pour nous les femmes. Il y a tant d’autres droits à acquérir : le même salaire que les hommes, les mêmes postes à responsabilité, le droit d’avoir ou non des enfants. Je serai de tous les combats pour la liberté et l’égalité des femmes.
Et peut-être qu’un jour une femme sera présidente de la République.

**Escandélia** Sam 2 Mai - 16:46

Cassy a écrit:Mon père est un brave homme et je sais qu’il se fait du souci pour moi. Entre la mort de ma mère il y a cinq ans, la guerre, les privations et le retour difficile de l’aîné, malade et rachitique, après trois ans de stalag, il y a de quoi. Mais il ne voit pas que le monde est en train de changer. Il faut reconstruire, et ça ne se fera pas sans les femmes.
Nous avons prouvé que nous pouvions faire le travail d’un homme, que ce soit aux champs ou à l’usine. Si nous n’avions pas été là, qui aurait assuré la pitance pendant qu’ils se battaient tous au front en 1914 ?

Voilà de quoi légitimer toutes les revendications de droit à l'égalité.
Quant aux : "autres droits à acquérir : le même salaire que les hommes, les mêmes postes à responsabilité, le droit d’avoir ou non des enfants. Je serai de tous les combats pour la liberté et l’égalité des femmes. "ils sont toujours d'actualité.

**Nerwen** Sam 2 Mai - 19:02

Toutes ces électrices du premier jour ont eu à faire face à la désapprobation des hommes, que ce soit père, frère ou mari, le plupart avaient la même attitude que celle que décris: "Mon père a beau me répéter que ma place est à l’usine ou derrière les fourneaux..." Heureusement qu'il y avait des jeunes femmes comme ton héroïne, capables de passer outre le politiquement correct de l'époque pour faire entendre et triompher leurs idées de progrès.
On sent à travers les réflexions de ta petite ouvrière, toute sa fougue, sa détermination et sa prise de conscience du rôle de citoyenne qu'elle entend bien assumer. clap

**catsoniou** Sam 2 Mai - 20:22

Transposée à Saint-Junien Super content

, avec une ouvrière fréquentant les gens "de la haute", ce récit n'en est pas moins très crédible. Pour y avoir vécu de longues années, je confirme qu'il y avait des transgressions confirmant la règle du chacun chez soi, ou plus exactement chacun(e) dans sa classe sociale.
Toutefois, personne ne m'a jamais parlé de cette question du premier vote des femmes. Peut-être parce que les femmes jouaient tout naturellement un rôle important dans la vie locale, notamment dans les syndicats et les organisations qui tournaient autour de la Municipalité ... et du Parti Communiste qui occupait une place prépondérante dans cette ville ouvrière ...

clap

**Mesange** Sam 2 Mai - 22:06

Dans ton texte, je me retrouve catapultée dans une autre époque: tout y est, les habits, l'ambiance, le langage.... j'y retrouve des expressions racontées par mes parents, des problématiques déjà controversées et toujours d'actualité aujourd'hui. Le combat continue, d'une manière peut-être un peu différente, peut-être aussi un peu moins nette, ce qui le rend plus difficile. J'aime beaucoup la façon dont tu nous emmènes dans cette période de l'histoire. Bravo 10/10

!

**Admin** Sam 2 Mai - 23:55

pour Cats: aurais-tu oublié que mes racines paternelles sont de par la-bas?

Le nom est celui de ma grand mère paternelle et elle était colleuse en chaussure à côté de St Junien Wink

La comparaison s'arrête la, l'âge et le reste sont fictifs. flower:

**tobermory** Dim 3 Mai - 12:21

On ressent bien l’anticipation euphorique de la jeune fille à l’idée d’aller voter, et il y a de quoi. On imagine bien : ivresses du vélo, de l’amitié, de s’être faite belle (coiffure plus réussie que celle d’Antoinette, espérons-le) et cette chose si nouvelle, le vote.
ST Junien, à Trente km de ma ville natale, je connais : ses ostensions catholiques et sa municipalité (longtemps du moins) communiste....

**Escandélia** Dim 3 Mai - 16:14

Tober a écrit:ST Junien, à Trente km de ma ville natale, je connais : ses ostensions catholiques et sa municipalité (longtemps du moins) communiste....

Toujours !

**Charlotte** Dim 3 Mai - 21:36

Mais oui un jour, une femme sera présidente de la république en France... Mais pourvu que ce ne soit pas celle à qui je pense... D'où l'importance d'aller voter

**Amanda.** Lun 4 Mai - 15:28

D'accord avec Charlotte !
D'ailleurs aux Etats-Unis, il y en a une qui s'y prépare.
Et déjà d'autres pays ont des femmes présidentes de la république en Amérique du sud notamment...
Pour ne pas parler de Madame Merkel, chancelière d'Allemagne et qui sait y faire pour mener l'Europe à sa baguette.

J'adore l'atmosphère de ton texte, Cassy, ce retour vers le passé, son langage et ses coutumes que je ne connais pas. clap

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