A. Gagner du temps

« Ils ont fait ce qu'ils pensaient juste, et j'ai fait ce que je pensais juste. Je ne leur en veux pas.

- Très bien, alors descendez. Comme vous ne nous en voulez pas et que nous n’avons aucune raison de vous faire du mal, vous pouvez reprendre cette échelle.

- Non, je ne reposerai pas un seul pied sur l’un de ces barreaux.

- Pourquoi ? Il faut descendre. Il faut vous mettre en sécurité. Pensez à votre femme et à votre fille. Vous n’allez pas laisser derrière vous une veuve et une orpheline ?

- Non, je ne le permettrai pas…

- Alors descendez.

- Non.

- Pourquoi ? Vous ne voulez pas les laisser seules, mais vous voulez mourir ? Je ne comprends pas…

- Vous ne pouvez pas comprendre.

- C’est sûr que si vous ne m’expliquez rien, je ne peux pas vous comprendre. Laissez-moi vous aider…

- Je n’ai pas besoin d’aide.

- Si, vous en avez besoin. Vous croyez pouvoir vous en sortir seul, mais vous avez besoin de quelqu’un… Et je suis là, laissez-moi vous aider.

- Non !

- Si ce n’est pas de l’aide dont vous avez besoin, peut-être avez-vous besoin de cet argent… C’est pour cette raison que vous avez braqué la banque, n’est-ce pas ?

- Non.

- On ne braque pas une banque par plaisir… On peut vous aider, vous savez…

- Non, n’essayez pas de m’amadouer. Je ne descendrai pas avec vos belliqueuses simagrées. Vous m’avez déclaré la guerre, pensez-vous vraiment que le temps des pourparlers soit venu ?

- Bien sûr qu’on peut parler… Mais pour le reste, c’est faux, nous ne vous avons pas déclaré la guerre, nous voulons vous aider.

- Alors pourquoi avoir tiré sur mes amis ? Nous ne sommes que des braqueurs de banque, nous ne sommes pas des assassins, contrairement à vous.

- Nous ne sommes pas non plus des assassins, nous avons tiré lorsque vos amis ont ouvert le feu. Je ne voulais pas que ça se passe comme ça, mais vous ne nous avez pas laissé le choix.

- On a toujours le choix.

- Mes hommes n’allaient tout de même pas se faire tuer !

- Vous n’aviez qu’à pas donner l’assaut. Tout se serait bien passé si vous nous aviez laissé sortir.

- Il y a trois millions dans cette banque. Pensez-vous vraiment que ce soit une bonne idée de vous laisser partir sans être inquiétés ?

- Oui, parce que ce que nous faisions était juste, et vous le savez.

- Non, je ne le sais pas. Pourquoi serait-ce juste ?

- Cet argent, c’est l’argent de quelqu’un qui en a beaucoup trop, vous le savez. Nous voulons le lui prendre pour le redonner à ceux qui en ont besoin.

- Vous ne pourrez pas, on vous en empêchera. Vous croyez que ce que vous faites est juste, mais vous êtes du côté des méchants.

- Non, nous ne sommes pas de ce côté, vous vous êtes trompé de camp. Ou alors, il n’y a ni bon, ni méchant.

- S’il n’y a ni bon ni méchant, l’enfer est pavé de bonnes intentions.

- C’était une bonne intention de tirer sur mes amis ?!

- Nous avons fait ce que nous pensions juste, et vous avez fait ce que vous pensiez juste. Descendez.

- Non.

- Que voulez-vous ?

- Laissez-moi partir avec l’argent, vous ne le regretterez pas.

- Nous ne pouvons pas, vous le savez très bien. Mais nous pouvons vous offrir autre chose, une remise de peine par exemple. Vous n’avez tué personne et l’argent n’a pas encore quitté la banque…

- Je ne vous crois pas ! Je servirai d’exemple, on ne laisse pas un braqueur de banque de grande envergure comme moi s’en tirer aussi facilement.

- Non, on peut vous faire une remise de peine, vous n’êtes pas un braqueur si terrible que ça…

- Ah, vous voulez dire que je suis un petit braqueur de pacotille, un moins que rien, que tout le monde m’aura oublié quand je serai passé une fois dans un vague sujet du journal local…

- Non, non, ce n’est pas ce que je voulais dire, vous êtes un grand braqueur…

- Ah, merci. Vous êtes hypocrite, mais je commence à bien vous aimer… Si j’étais un grand braqueur, je serai déjà loin avec les trois millions, et j’irai en Micronésie, là où personne ne pourrait venir me chercher, même pas Interpol, et je siroterai des cocktails sur une plage de sable fin… Mais je ne suis pas cet homme-là. Je veux rendre au peuple ce qui lui appartient.

- Cet argent n’est pas au peuple, il appartient à l’homme d’affaire que vous avez visé. Pourquoi lui, d’ailleurs ?

- Parce qu’il n’aime pas les noirs. Il ne vous aime pas vous autant que moi, même si vous lui rendiez son argent. Pour lui, vous n’êtes que le premier pion qu’on sacrifie sur un échiquier. Noir, le pion. Vous feriez mieux de vous associer avec moi. Je peux vous emmener si vous voulez, nous irions en Micronésie siroter des cocktails. Sautez dans l’hélicoptère quand mon complice passera juste en bas de cet immeuble. Venez avec moi.

- Vous êtes bien drôle, je vous aime bien, mais il n’y aura pas d’hélicoptère, vous le savez, et tous vos complices sont morts.

- Si vous le dites… Vous avez l’heure ?

- Il est cinq heures tout juste. Mais ? Mais… Non ! Stop ! Ne sautez pas !

- Trop tard ! On se reverra en Micronésie ! »