A. Une autre vie.

Une autre vie.

Cela faisait longtemps qu'il vivait seul, retiré de tout. Combien d'années déjà ? Difficile de le dire, le temps passé devant l'écran donne parfois ce sentiment qu'une journée n'a duré qu'une heure. Tout avait commencé dans son ancienne vie « en live », du jour où il avait fait ce constat qu'il ne cessait de télésnober son entourage, à la maison, au bistrot, au restaurant et bien sûr dans la rue et les transports en commun. De nomade qu'il aimait être, toujours en quête de nouveauté, toujours prêt à quelque canular, il était devenu solitaire, isolé, retiré du monde, et cependant tellement en contact avec lui, derrière l'écran.

Il avait cessé toute rencontre humaine. De toute façon, les gens le trouvaient tellement étrange et différent de tous les autres, que mieux valait se retirer. Il passait commande sur Internet de tout ce dont il avait besoin. Un mot, imprimé au-dessus d'une  caisse à côté de la porte d'entrée,  indiquait au livreur : « prière de déposer le colis ici ».
Quatre choses fondamentales lui étaient indispensables : un ordinateur, une connexion Internet pour l’ héberger, le numéro de sa carte bancaire, son avatar. tout le reste était du superflu.

Il avait raconté tout cela sur un blog qu'il tenait régulièrement. Ses lecteurs appréciaient sa vision décalée du monde, mais lorsqu'il se lançait à évoquer ses conditions de vie, chacun estimait qu'il s'agissait là d'un canular et que probablement il avait la vie de monsieur tout le monde, avec ses merveilles telles que métro–boulot–dodo.
À tous ces commentateurs, il se contentait de répondre par des émoticônes divers et variés. Histoire de leur faire comprendre qu'il n'en avait rien à battre, et même les plus fidèles de ses lecteurs, qui étaient  le plus souvent d'ailleurs des lectrices, aucune ne faisait parti de ses favoris.

À mesure que les années passaient, bon nombre de ceux qui le fréquentaient via l'Internet se posèrent de plus en plus de questions et les plus malins se comportèrent en fureteur pour tenter de percer le mystère que cet individu que certains appelaient : « le smiley  inconnu ». Des hackers et autre pirates tentèrent de pénétrer son réseau et de le localiser. Certains, semble-t-il, avaient même de mauvaises intentions.

Et puis un jour : plus rien ! Sauf ce terrible message : « le blog a été supprimé ».
Les blogueurs qui s'étaient attachés à cet inconnu tombèrent de leur petit nuage.

Plusieurs semaines passèrent et c'est un livreur qui donna l'alerte. À cause de l'accumulation de colis dans la caisse à l'entrée. La police, les pompiers, forcèrent la porte d'entrée.

Il y avait une table, un ordinateur posé dessus et devant l'écran : un robot humanoïde
dans son dos, une sorte d'écran de Smartphone clignotait en rouge :
« Reset » — « Reset » — « Reset » — « Reset » —  répétait le message…