A. Four roses for Lucienne
3 participants
Page 1 sur 1
A. Four roses for Lucienne
Au numéro 42 de la rue de la Butte aux Cailles, dans les salons feutrés de Madame Loizelle, chacun se souvenait de Lulu-la-Nantaise. De ses décolletés extravagants, de ses déshabillés fluides qui accompagnaient chacun de ses mouvements de glissements satinés…
De sa douceur aussi. Clients et pensionnaires n’avaient jamais essuyé de rebuffades, ni de sautes d’humeur, Lulu aimait les roses et leur ressemblait, « sans les épines », précisaient galamment ceux qui la connaissaient.
Nombreux étaient ceux qui réclamaient ses faveurs, mais Madame veillait. Il y avait les habitués, les favoris pourrions-nous dire.
Parmi ceux-ci, une sorte d’entente s’était établie : jamais ils ne venaient en même temps, le même soir. Au nombre de ces privilégiés, on comptait un homme entre deux âges, bon chic bon genre, qui ne réclamait jamais aucune fantaisie et savait se montrer généreux comme il convient à un notaire.
Il y avait aussi Ferdinand, le maréchal ferrant, qui malgré sa stature imposante pouvait être tendre comme un homme habitué à caresser l’encolure des chevaux…
Solange de X. avait aussi son jour. Seul endroit dans la ville austère où elle pouvait satisfaire une sexualité condamnée, elle avait tissé avec Lulu une amitié affectueuse, faite de confidences et de regrets.
Le préféré était sans conteste, un étudiant désargenté qui partageait avec Lulu sa jeunesse et sa gaîté. Il la faisait rire et elle aimait ça. Il était le seul à qui Madame consentait des « arrangements » quand les poches désespérément vides, il venait toquer à la porte. Elle-même était sans doute séduite par la faconde du jeune homme.
Cette belle organisation vola en éclats quand apparut, ou plutôt réapparut, Gérard l’Elégant qui entendait rapatrier, bon gré, mal gré, la belle Lulu dans les faubourgs de Nantes. Il faut préciser qu’elle avait été sa plus belle « affaire » avant qu’elle ne s’enfuie un beau jour pour rejoindre les salons protégés de Madame Loizelle. Gérard avait retrouvé sa trace grâce à certaines indiscrétions plus ou moins provoquées.
L’histoire ne dit pas quel chantage ou quelle pression Gérard exerça sur Madame Loizelle, mais celle-ci annonça à Lulu qu’elle ne pouvait pas la garder, nonobstant le manque à gagner manifeste que son départ allait provoquer.
Lulu demanda une semaine pour prendre congé de ses clients devenus des amis. Solange de X. pleura beaucoup. Le notaire lui fit cadeau d’une chevalière armoriée, souvenir de famille, que Lulu admirait quelquefois. Ferdinand, toujours taiseux, se contenta d’un dernier rendez-vous particulièrement ardent. Quant à l’étudiant, il jura ses grands dieux de venir arracher Lulu aux griffes de son souteneur. Elle connaissait la loi du milieu, mais fit semblant de le croire et c’est le cœur brisé qu’elle partit un soir dans la Juva 4 de Gérard. Il la remit illico sur les trottoirs de la Butte Saint Anne.
La vie reprit son cours et si Lucienne (c’était là son vrai prénom) regrettait la période protégée de son séjour chez Madame Loizelle, elle n’en faisait jamais état auprès de ses congénères, conservant au fond d’elle-même cette parenthèse comme un trésor. Elle pensait parfois à l’étudiant fougueux, mais il n’avait jamais donné signe de vie. De bars louches en chambres sordides, Lucienne chercha dans l’alcool une consolation à sa triste existence. En peu de mois, elle devint une pâle copie de l’éclatante jeune femme connue sous le nom de Lulu la Nantaise.
Un matin, on retrouva son corps flottant sur un des nombreux canaux qui sillonnaient alors la ville. Accident ? Suicide ? Nul ne chercha à savoir…
Elle fut inhumée au cimetière de la Miséricorde, grâce à la charité publique, dans le carré des nécessiteux. Personne ne suivit son enterrement, elle n’avait pas de famille connue. Mais quelques jours plus tard dans le petit matin brumeux, on put apercevoir près de la tombe, la silhouette agenouillée d’un jeune homme, les épaules secouées de sanglots. Il déposa sur la pierre, quatre roses blanches. Les roses du souvenir…
De sa douceur aussi. Clients et pensionnaires n’avaient jamais essuyé de rebuffades, ni de sautes d’humeur, Lulu aimait les roses et leur ressemblait, « sans les épines », précisaient galamment ceux qui la connaissaient.
Nombreux étaient ceux qui réclamaient ses faveurs, mais Madame veillait. Il y avait les habitués, les favoris pourrions-nous dire.
Parmi ceux-ci, une sorte d’entente s’était établie : jamais ils ne venaient en même temps, le même soir. Au nombre de ces privilégiés, on comptait un homme entre deux âges, bon chic bon genre, qui ne réclamait jamais aucune fantaisie et savait se montrer généreux comme il convient à un notaire.
Il y avait aussi Ferdinand, le maréchal ferrant, qui malgré sa stature imposante pouvait être tendre comme un homme habitué à caresser l’encolure des chevaux…
Solange de X. avait aussi son jour. Seul endroit dans la ville austère où elle pouvait satisfaire une sexualité condamnée, elle avait tissé avec Lulu une amitié affectueuse, faite de confidences et de regrets.
Le préféré était sans conteste, un étudiant désargenté qui partageait avec Lulu sa jeunesse et sa gaîté. Il la faisait rire et elle aimait ça. Il était le seul à qui Madame consentait des « arrangements » quand les poches désespérément vides, il venait toquer à la porte. Elle-même était sans doute séduite par la faconde du jeune homme.
Cette belle organisation vola en éclats quand apparut, ou plutôt réapparut, Gérard l’Elégant qui entendait rapatrier, bon gré, mal gré, la belle Lulu dans les faubourgs de Nantes. Il faut préciser qu’elle avait été sa plus belle « affaire » avant qu’elle ne s’enfuie un beau jour pour rejoindre les salons protégés de Madame Loizelle. Gérard avait retrouvé sa trace grâce à certaines indiscrétions plus ou moins provoquées.
L’histoire ne dit pas quel chantage ou quelle pression Gérard exerça sur Madame Loizelle, mais celle-ci annonça à Lulu qu’elle ne pouvait pas la garder, nonobstant le manque à gagner manifeste que son départ allait provoquer.
Lulu demanda une semaine pour prendre congé de ses clients devenus des amis. Solange de X. pleura beaucoup. Le notaire lui fit cadeau d’une chevalière armoriée, souvenir de famille, que Lulu admirait quelquefois. Ferdinand, toujours taiseux, se contenta d’un dernier rendez-vous particulièrement ardent. Quant à l’étudiant, il jura ses grands dieux de venir arracher Lulu aux griffes de son souteneur. Elle connaissait la loi du milieu, mais fit semblant de le croire et c’est le cœur brisé qu’elle partit un soir dans la Juva 4 de Gérard. Il la remit illico sur les trottoirs de la Butte Saint Anne.
La vie reprit son cours et si Lucienne (c’était là son vrai prénom) regrettait la période protégée de son séjour chez Madame Loizelle, elle n’en faisait jamais état auprès de ses congénères, conservant au fond d’elle-même cette parenthèse comme un trésor. Elle pensait parfois à l’étudiant fougueux, mais il n’avait jamais donné signe de vie. De bars louches en chambres sordides, Lucienne chercha dans l’alcool une consolation à sa triste existence. En peu de mois, elle devint une pâle copie de l’éclatante jeune femme connue sous le nom de Lulu la Nantaise.
Un matin, on retrouva son corps flottant sur un des nombreux canaux qui sillonnaient alors la ville. Accident ? Suicide ? Nul ne chercha à savoir…
Elle fut inhumée au cimetière de la Miséricorde, grâce à la charité publique, dans le carré des nécessiteux. Personne ne suivit son enterrement, elle n’avait pas de famille connue. Mais quelques jours plus tard dans le petit matin brumeux, on put apercevoir près de la tombe, la silhouette agenouillée d’un jeune homme, les épaules secouées de sanglots. Il déposa sur la pierre, quatre roses blanches. Les roses du souvenir…
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: A. Four roses for Lucienne
Ça valait le coup d'attendre ton texte. Extrêmement bien ecrit et qui nous embarque de bout en bout
Cassy- Admin
- Humeur : Déterminée
Re: A. Four roses for Lucienne
Tu as très bien réussi à marier tendresse, pittoresque et émotion. Une belle galerie de personnage et le portrait attachant et émouvant de Lulu et de son triste destin. Le tout dans ton style habituel, élégant et plein de verve.
Tu donnes une image attendrissante de cet établissement. Il est vrai que tous les clients de Lulu sont des «gentils », ce qui ne devait pas toujours êtrele cas dans la réalité.
Tu donnes une image attendrissante de cet établissement. Il est vrai que tous les clients de Lulu sont des «gentils », ce qui ne devait pas toujours êtrele cas dans la réalité.
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum