Nouveaux mondes

Si mes yeux brillent, c’est pour ça. C’est pour cette douceur jumelle à laquelle ma peau se colle et  se mêle. Mon univers, mes planètes, mes étoiles. Pas besoin de télescope pour les voir, elles sont là sous mes yeux, tellement proches que leur forme m’échappe un peu. Sphères, collines, prairies, plaines ? Tout cela à la fois. Je suis comme Adam et Eve chassés d’un Paradis terrestre et qui en auraient trouvé à la place deux encore plus beaux.

Ah, comme j’ai détesté l’apocalypse de la naissance. Quelle violence ! Depuis une éternité, depuis le baby big bang, le court-circuit  des cellules contraires qui se rencontrent, je n’avais cessé ma croissance d’univers en expansion. Mes molécules se multipliaient comme les soleils d’une galaxie. Pas de mur, pas de barrière pour les stopper ; au contraire, des conditions idéales de température, de pression, d’hydratation, de ravitaillement en glucides, protéines, oligo-éléments, comme si une équipe de techniciens hyper compétents surveillaient tous les paramètres sur leurs écrans. Ma confiance était illimitée, aveugle, sans faille. Et sans prévenir voilà qu’on me fait comprendre que je suis indésirable : « tu n’as plus rien à faire ici ! ». J’ai beau protester, j’ai à faire à plus fort que moi. Quel moment abominable : brutalement immergé dans un monde de bruit, de froid, de cris. Des cris et pleurs sortis de mon propre gosier pour agresser mes propres oreilles. Et les couleurs crues qui violentent mes yeux. Je ne suis plus qu’une loque terrorisée. Qu’avais-je besoin, moi le bienheureux aveugle, sourd et muet, de ces organes nouveaux qui ne servent qu’à accroitre ma souffrance !

Ah, on m’a coupé les vivres aussi, sectionné mon cordon d’approvisionnement. Ma chair crie famine, elle va se dessécher, se racornir, s’anéantir jusqu’à devenir poussière emportée par le vent de l’épouvante.

J’allais sombrer dans le désespoir  quand une tiédeur inédite s’est répandue sur mon corps comme un baume. Avais-je donc réintégré mes intérieurs après en avoir été si impitoyablement expulsé ? Mais non, l’obscurité, le silence et l’immobilité si confortables et rassurants, c’est bien fini, remplacés par d’autres bonheurs, plus variés et plus grands, ceux que me donnent les seins de ma mère. Au lieu de l’antre unique du ventre, deux continents de tendresse, moelleux et suaves. Ma tête et ma bouche vont de l’un à l’autre, tous deux sont si gracieux dans leur symétrie, qui m’initie déjà à la beauté. Je suis un Colomb ébloui, qui aborderait en même temps les deux Amériques et ne saurait laquelle choisir. Je découvre bientôt la richesse de ces terres inépuisables, ce lait gorgé de sensations inouïes. A côté, mon alambic ombilical fait figure de pipeline  tristement fonctionnel.

Finalement, ça valait le coup de sortir. Avec les seins de ma mère, c’est un infini de tendresse de douceur et de volupté qui m’attend.
C’est pour ça que mes yeux brillent.

Excellent Tober, je vote pour toi si tu te présente à l'académie française ! Je te note 20/10.
C'est un bel hommage que tu rends à la femme et à la mère. A la vie aussi.

Cela débute par des étoiles, des planètes....Je me dis voilà un passionné d'astronomie !

Mais non ! C'est un magnifique récit de la naissance et de l'amour d'un fils pour sa mère ( et pour ses seins !!!)

Superbe texte !

Je suis un peu plus dubitative Tober et je t'explique pourquoi.
Ton texte est parfait, dans le sens où il est super bien écrit, avec de belles tournures de phrases. Il est élégant et il laisse même planer un doute au début (comme le dit Amanda)

Mais pour moi, je dis bien pour moi, peut-être parce que j'avais une idée bien précise de la consigne, je le trouve  hors sujet.
Le personnage principal de ton histoire n'est pas ta passion (pour ta mère en l’occurrence) mais l'histoire de ta naissance, les sensations négatives, puis positives de ta naissance et enfin le bonheur de découvrir ta mère (en tout cas la mère de ton personnage, qui n'est peut-être pas toi au final).

Voilà pourquoi je suis dubitative. Je n'ai pas eu l'impression d'entrer dans ton univers ni de te découvrir un peu plus à travers ce texte.

Mais j'imagine que de ta part, c'était voulu  

Escandelia et Amanda : quand on y a tâté, on en reste accro pour la vie !

Admin : j’ai bien eu conscience de ne pas traiter le sujet à la lettre, voire d'être HS. Je parle très rarement directement de moi dans mes textes : je préfère le faire par le biais de la fiction. Je n’ai bien sûr aucun souvenir conscient de ma vie de nourrisson et ce texte n’a rien de réaliste ; je me suis mis à la place du bébé, mais avec mon cerveau d’adulte. Pour moi c'était un prétexte, une façon détournée (peut-être sournoise) de célébrer un des plus beaux atouts et emblèmes de la féminité. Évidemment j’aurais pu faire parler un adulte dont les yeux brillent à la vue d’une poitrine féminine, mais je serais vite tombé dans l’érotisme, ce qui ne me parait pas vraiment approprié sur kalé. Et puis j’ai trouvé que c'était beaucoup plus intéressant et amusant à écrire comme cela qu’une célébration frontale.

Un texte érotique ? Oh ! Quel dommage Tober : tu aurais dû.
Je partage l'avis d'Admin : comme dans d'autres textes d'ailleurs de cette consigne, tu n'évoques pas  une passion. Si tu ne voulais pas te dévoiler ici - ce que je comprends, te connaissant - tu étais tout à fait capable ô combien -  de t'en inventer une. Et puis, tout le monde sait que tu as la passion des chats...ou des cigales !
En tout cas, ton texte est comme d'habitude très riche et très bien écrit.

Bien vu, Yvanne, j'avais pensé aux chats et c'est vrai que mes yeux brillent sûrement chaque fois que j'en vois un, et là, je me serais exprimé directement. Mais va savoir pourquoi j'ai opté pour une façon bien plus tordue de traiter le sujet. Quant aux cigales, je n'y ai pas pensé bien que ça m'enthousiasme aussi. Mais j'en avais déjà parlé ici, il y avait risque de redites.

Je partage l'avis de Cassy et d'Yvanne. J'aurais aimé de découvrir un peu plus par cette consigne.