Point trop n'en faut !

C’est le roman d’Italo Calvino, que j’ai lu il y a longtemps, qui m’a donné l’idée d’imiter son héros, le jeune Côme Laverse du Rondeau, lequel décida un beau jour de grimper dans un arbre et de n’en plus redescendre, en signe de protestation contre la médiocrité de l’existence de ses contemporains et pour leur montrer le vrai sens du mot liberté…
Côme Laverse du Rondeau ! Voilà un nom qui a de la branche, si j’ose dire.
N’ayant pas trouvé de yeuse autour de chez moi, j’ai grimpé sur un banal frêne, pas facile à escalader d’ailleurs, mais pourvu d’une fourche bien commode pour se poser à l’abri des regards.

A vrai dire, mon propos est beaucoup moins philosophique que celui de mon modèle. Non que je ne considère pas la vie de mes contemporains comme médiocre — il n’y a qu’à jeter un coup d’œil sur les rencontres entre ces deux parieurs du dimanche pour s’en rendre compte — mais je poursuis un but beaucoup plus ordinaire.
Je dois absolument disparaître de la circulation jusqu’à la nuit tombée. Ne me demandez pas pourquoi, vous seriez sûrement déçus. N’allez surtout pas imaginer une histoire louche émaillée de mots tels que « trafic », « armes », vengeance », « stupéfiant »…
Quoique… « stupéfiant » pourrait convenir, mais pas dans le sens où vous l’entendez.
Stupéfiant comme surprenant, étonnant, ahurissant, prodigieux… J’en ai trop dit ? Vous voulez savoir ?
Bon ! Et bien, voilà !

Tel que vous me voyez-là, j’essaie d’échapper à une … femme ! Oh, pas à une femme ordinaire, à une espèce de mante-religieuse qui a jeté son dévolu sur moi, ce qui est déjà étonnant car je n’ai rien fait pour attirer son attention, mais avec une telle frénésie et une telle persévérance à toute épreuve, que j’ai pris peur !
Au début, j’étais plutôt flatté, car c’est une assez jolie fille, bien que n’étant pas du genre qui m’attire en général, mais bon, on n’est pas de bois et ce n’était pas désagréable. Mais elle s’est vite montrée sous son véritable jour : insatiable, prodigieusement insatiable ! ! ! Il y a un mot pour ça je crois…nymph… nympho… je ne sais plus… En tous cas, je n’ai vu mon salut que dans la fuite ! Et ce matin, quand, enfin, elle s’était endormie, j’ai quitté subrepticement mon appart pour me réfugier ici en attendant une obscurité complice …
Si j’ai de la chance, il y aura du brouillard et, ni vu, ni connu, je disparaîtrai dans la nuit…