La petite-fille de ton grand-père
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Sel.
Admin
Escandélia
madeleinedeproust
8 participants
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La petite-fille de ton grand-père
Il reste toujours quelque chose de l'enfance, toujours.
Tu le sais, toi qui es moi en miniature.
Toi qui es moi en plus jeune, toi qui es cette petite fille en salopette de velours aux cheveux coupés au carré et au sourire espiègle.
Sur la photo, là, tu as les yeux qui pétillent, tu souris au photographe, tu fais ta première photo officielle, pour ta première carte d'identité.
Tu es une enfant vive et qui a confiance en l'adulte.
Tu es la petite-fille de ton grand-père. Tu sais que tu ne risques rien parce qu'il est là pour te protéger.
Tu crois que les adultes sont forts, enfin, pas tous, tu as sans doute déjà senti les failles et les errances de l'un d'entre eux, mais pour l'instant ce n'est qu'un léger voile passager... Après tout, ce n'est qu'un petit affrontement autour d'un steak pas assez cuit à ton goût et cuit correctement d'après l'adulte. L'adulte est censé savoir, n'est-ce pas ?
Est-ce là que tu as commencé à te poser des questions ?
Est-ce là, quand tu es entrée à la grande école, quand tu as plongé dans la lecture et que tu as pu développer ta capacité à réfléchir, est-ce là que tout a commencé ?
Il n'a pas fallu longtemps pour que la petite fille confiante commence à voir se lézarder le mur de la confiance...
Les adultes ne sont pas si fiables que ça, les adultes peuvent être injustes, les adultes peuvent se montrer violents...
Mais tu es la petite-fille de ton grand-père, celle qu'il emmène avec lui quand il va faire son tiercé, celle qu'il emmène en promenade, celle à qui il raconte ses belles histoires...
Bien des années plus tard tu réaliseras que ses belles histoires auraient pu le conduire à la mort dans un wagon plombé, qu'être résistant à seize ans à peine c'était purement et simplement de la folie et que là encore des adultes ont joué avec des plus jeunes, les envoyant prendre les risques à leur place, sans vergogne aucune.
Tu es la petite-fille de ton grand-père, celle qui, à l'école maternelle, se perchait sur un banc pour mieux le voir arriver à la fin des cours, celle qui se penchait avec lui sur les vieilles pierres d'un cours d'eau glacé pour attraper à la main une truite au corps irisé par le soleil...
Tu vas vite perdre ta belle confiance dans le monde des grands, mais pas celle en ton grand-père.
Lui, il est là, il est ton roc, celui sur qui tu peux toujours, envers et contre tout, compter, pour les petites comme pour les grandes choses.
Tu grandis chaque jour un peu plus, tu vois les adultes se déchirer, tu apprends à te faire oublier parce qu'il y a toujours quelqu'un à qui il faut faire plus attention que toi...
Tu peux encore trouver refuge dans les bras de ton grand-père, sur le vieux fauteuil en cuir devant un match de foot ou une série télévisée.
Tu ne veux pas écouter la petite voix qui te dit d'en profiter un maximum parce que ça ne va peut-être pas durer.
L'hôpital, c'était juste une alerte...
Tu es la petite-fille de ton grand-père, et c'est pour ça, c'est parce qu'il t'a insufflé au fil des années cette force, que tu ne dis rien, que tu serres les dents et que tu fais obstinément tes devoirs dans des chambres d'hôpital de plus en plus présentes, de plus en plus régulières.
Tu es la petite-fille de ton grand-père, plus pour très longtemps, alors tu t'accroches désespérément aux quelques miettes qui te restent à grignoter.
Il continue à te donner, de l'amour, de la force, du courage, cette sensation de ne pas être seule et d'avoir toujours quelqu'un vers qui te tourner... mais un midi, en rentrant du lycée, tu répondras au téléphone et tu ne seras plus la petite-fille de ton grand-père parce qu'il n'y aura plus de grand-père...
Les années vont passer, tu gardes tes yeux espiègles, mais il reste toujours comme un léger voile, tout au fond. Ton sourire est désormais légèrement moqueur. Tu te protèges comme tu peux. Tu es seule, tu n'es plus la petite-fille de ton grand-père, et tu te bats comme tu peux dans un monde dont tu comprends de moins en moins les règles et le fonctionnement.
Ta confiance en autrui s'est émoussée, tu en viens même à douter de ton grand-père...
La petite fille est devenue une adulte...
Et puis un jour cette adulte montrera à une autre adulte sur le long ruban noir d'une autoroute après de non moins longues heures de route sous une pluie battante une petite étoile qui aura obstinément brillé pendant tout le trajet : tu vois cette étoile, c'est mon grand-père, il a veillé sur nous cette nuit...
Si tu voyais l'adulte que tu es devenue, je ne suis pas certaine que tu te reconnaîtrais. Tu te demanderais sans doute où ta fraîcheur et ta spontanéité enfantines sont passées, mais je crois que tu n'aurais pas non plus beaucoup à chercher pour retrouver un peu de la petite-fille de ton grand-père, de celle qui courait partout, avide de tout voir et de tout connaître, de celle qui adorait qu'on lui raconte de belles histoires, de celle qui pouvait pleurer de rage devant les injustices de l'Histoire... parce que tu vois, petite-fille de ton grand-père, il reste toujours quelque chose de l'enfance, toujours...
Il faut parfois aller le chercher bien loin, ce quelque chose, mais il est là, bien enfoui, à l'abri au plus profond de ton cœur, et c'est ce petit trésor qui m'a fait, me fait et fera porter, au moins mentalement, un toast à mon grand-père à chaque événement important de ma vie.
Tu peux retourner jouer maintenant, excuse-moi de t'avoir dérangée le temps d'un texte, mais si tu es la petite petite-fille de ton grand-père, moi, je suis maintenant, envers et contre tout, la grande petite-fille de mon grand-père et la grande petite-fille avait besoin de discuter un peu avec la petite petite-fille.
Tu le sais, toi qui es moi en miniature.
Toi qui es moi en plus jeune, toi qui es cette petite fille en salopette de velours aux cheveux coupés au carré et au sourire espiègle.
Sur la photo, là, tu as les yeux qui pétillent, tu souris au photographe, tu fais ta première photo officielle, pour ta première carte d'identité.
Tu es une enfant vive et qui a confiance en l'adulte.
Tu es la petite-fille de ton grand-père. Tu sais que tu ne risques rien parce qu'il est là pour te protéger.
Tu crois que les adultes sont forts, enfin, pas tous, tu as sans doute déjà senti les failles et les errances de l'un d'entre eux, mais pour l'instant ce n'est qu'un léger voile passager... Après tout, ce n'est qu'un petit affrontement autour d'un steak pas assez cuit à ton goût et cuit correctement d'après l'adulte. L'adulte est censé savoir, n'est-ce pas ?
Est-ce là que tu as commencé à te poser des questions ?
Est-ce là, quand tu es entrée à la grande école, quand tu as plongé dans la lecture et que tu as pu développer ta capacité à réfléchir, est-ce là que tout a commencé ?
Il n'a pas fallu longtemps pour que la petite fille confiante commence à voir se lézarder le mur de la confiance...
Les adultes ne sont pas si fiables que ça, les adultes peuvent être injustes, les adultes peuvent se montrer violents...
Mais tu es la petite-fille de ton grand-père, celle qu'il emmène avec lui quand il va faire son tiercé, celle qu'il emmène en promenade, celle à qui il raconte ses belles histoires...
Bien des années plus tard tu réaliseras que ses belles histoires auraient pu le conduire à la mort dans un wagon plombé, qu'être résistant à seize ans à peine c'était purement et simplement de la folie et que là encore des adultes ont joué avec des plus jeunes, les envoyant prendre les risques à leur place, sans vergogne aucune.
Tu es la petite-fille de ton grand-père, celle qui, à l'école maternelle, se perchait sur un banc pour mieux le voir arriver à la fin des cours, celle qui se penchait avec lui sur les vieilles pierres d'un cours d'eau glacé pour attraper à la main une truite au corps irisé par le soleil...
Tu vas vite perdre ta belle confiance dans le monde des grands, mais pas celle en ton grand-père.
Lui, il est là, il est ton roc, celui sur qui tu peux toujours, envers et contre tout, compter, pour les petites comme pour les grandes choses.
Tu grandis chaque jour un peu plus, tu vois les adultes se déchirer, tu apprends à te faire oublier parce qu'il y a toujours quelqu'un à qui il faut faire plus attention que toi...
Tu peux encore trouver refuge dans les bras de ton grand-père, sur le vieux fauteuil en cuir devant un match de foot ou une série télévisée.
Tu ne veux pas écouter la petite voix qui te dit d'en profiter un maximum parce que ça ne va peut-être pas durer.
L'hôpital, c'était juste une alerte...
Tu es la petite-fille de ton grand-père, et c'est pour ça, c'est parce qu'il t'a insufflé au fil des années cette force, que tu ne dis rien, que tu serres les dents et que tu fais obstinément tes devoirs dans des chambres d'hôpital de plus en plus présentes, de plus en plus régulières.
Tu es la petite-fille de ton grand-père, plus pour très longtemps, alors tu t'accroches désespérément aux quelques miettes qui te restent à grignoter.
Il continue à te donner, de l'amour, de la force, du courage, cette sensation de ne pas être seule et d'avoir toujours quelqu'un vers qui te tourner... mais un midi, en rentrant du lycée, tu répondras au téléphone et tu ne seras plus la petite-fille de ton grand-père parce qu'il n'y aura plus de grand-père...
Les années vont passer, tu gardes tes yeux espiègles, mais il reste toujours comme un léger voile, tout au fond. Ton sourire est désormais légèrement moqueur. Tu te protèges comme tu peux. Tu es seule, tu n'es plus la petite-fille de ton grand-père, et tu te bats comme tu peux dans un monde dont tu comprends de moins en moins les règles et le fonctionnement.
Ta confiance en autrui s'est émoussée, tu en viens même à douter de ton grand-père...
La petite fille est devenue une adulte...
Et puis un jour cette adulte montrera à une autre adulte sur le long ruban noir d'une autoroute après de non moins longues heures de route sous une pluie battante une petite étoile qui aura obstinément brillé pendant tout le trajet : tu vois cette étoile, c'est mon grand-père, il a veillé sur nous cette nuit...
Si tu voyais l'adulte que tu es devenue, je ne suis pas certaine que tu te reconnaîtrais. Tu te demanderais sans doute où ta fraîcheur et ta spontanéité enfantines sont passées, mais je crois que tu n'aurais pas non plus beaucoup à chercher pour retrouver un peu de la petite-fille de ton grand-père, de celle qui courait partout, avide de tout voir et de tout connaître, de celle qui adorait qu'on lui raconte de belles histoires, de celle qui pouvait pleurer de rage devant les injustices de l'Histoire... parce que tu vois, petite-fille de ton grand-père, il reste toujours quelque chose de l'enfance, toujours...
Il faut parfois aller le chercher bien loin, ce quelque chose, mais il est là, bien enfoui, à l'abri au plus profond de ton cœur, et c'est ce petit trésor qui m'a fait, me fait et fera porter, au moins mentalement, un toast à mon grand-père à chaque événement important de ma vie.
Tu peux retourner jouer maintenant, excuse-moi de t'avoir dérangée le temps d'un texte, mais si tu es la petite petite-fille de ton grand-père, moi, je suis maintenant, envers et contre tout, la grande petite-fille de mon grand-père et la grande petite-fille avait besoin de discuter un peu avec la petite petite-fille.
madeleinedeproust- Kaléïd'habitué
- Humeur : littéraire
Re: La petite-fille de ton grand-père
Le temps pour moi d'essuyer une larme, en lisant ton texte et je le commente.
Ce texte plein d'humanité, plein de bonté qui fait de toi la digne petite fille de ce grand père qui t'a modelée, façonnée à son image, et qui te va si bien. Telle que tu es restée : petite fille pleine d'amour pour les autres, pleine de confiance, malgré tes doutes. En tout cas telle que tu me semble au fil de tes écrits. Reste encore longtemps Mad, cette petite fille de ton grand père.
Ce texte plein d'humanité, plein de bonté qui fait de toi la digne petite fille de ce grand père qui t'a modelée, façonnée à son image, et qui te va si bien. Telle que tu es restée : petite fille pleine d'amour pour les autres, pleine de confiance, malgré tes doutes. En tout cas telle que tu me semble au fil de tes écrits. Reste encore longtemps Mad, cette petite fille de ton grand père.
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Petite fille de mon grand-père
Relation très fusionnelle qui me met mal à l'aise, grandir c'est ne plus être la fille ou la petite fille de. Beau texte un peu mystique.
Invité- Invité
Re: La petite-fille de ton grand-père
Il y a les souvenirs de cette petite fille et puis, le dernier paragraphe, où tu t'adresses à cette même petite fille pour, finalement, lui dire merci d'avoir été celle qu'elle a été et qui t'a permis de devenir celle que tu es.
C'est aussi un immense message d'amour à ce grand-père qui t'a portée toute ton enfance.
Très beau texte, très touchant. Merci
C'est aussi un immense message d'amour à ce grand-père qui t'a portée toute ton enfance.
Très beau texte, très touchant. Merci
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: La petite-fille de ton grand-père
Oui, c'est un très beau texte que tu nous proposes là, Mad...
Je m'aperçois à te lire que je n'ai été proche d'aucun de mes grands-parents, c'est étrange...Question d'affinités, peut-être.
J'aime beaucoup comme peu à peu, la petite fille de ton texte devient adulte, que son regard sur ceux-ci change...Sauf celui qu'elle porte sur son grand-père, toujours aussi plein de tendresse !
Je m'aperçois à te lire que je n'ai été proche d'aucun de mes grands-parents, c'est étrange...Question d'affinités, peut-être.
J'aime beaucoup comme peu à peu, la petite fille de ton texte devient adulte, que son regard sur ceux-ci change...Sauf celui qu'elle porte sur son grand-père, toujours aussi plein de tendresse !
Sel.- Kaléïd'habitué
- Humeur : Entre bleu clair et bleu foncé
Re: La petite-fille de ton grand-père
J'aime beaucoup ta lettre pour une raison essentielle : je n'ai connu aucun de mes grands-parents et l'âge venu d'être un papy, je dois me faire une raison, je ne partagerai pas l'enfance d'un petit-fils ou petite - fille et je le regrette profondément.
Ceci étant, tu as gardé intact le souvenir de cet aïeul , des moments partagés et il revit sous ta plume. C'est cela la magie de l'écriture... surtout quand la plume est maniée par mad...
Merci de ce partage .
Ceci étant, tu as gardé intact le souvenir de cet aïeul , des moments partagés et il revit sous ta plume. C'est cela la magie de l'écriture... surtout quand la plume est maniée par mad...
Merci de ce partage .
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Re: La petite-fille de ton grand-père
Heureux sont les enfants qui ont pu s'appuyer sur l'amour d'un grand-parent ! Tu fais renaître en moi des émotions très personnelles et je t'en remercie.
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: La petite-fille de ton grand-père
Quel bel hommage à ce grand père tant aimé. Ton texte m'a beaucoup émue.
Charlotte- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: La petite-fille de ton grand-père
Merci de vos retours.
Désolée pour celle(s) à qui j'ai procuré des émotions...
@KO69150: je ne suis pas vraiment d'accord avec toi: grandir, c'est certes devenir soi, mais, quoi qu'on fasse, quoi qu'on veuille, on reste le fils / le petit-fils / le neveu... de quelqu'un d'autre parce que les gens qui nous entourent, les gens avec qui on a grandi ont contribué à nous façonner, que ce soit en miroir ou en repoussoir. Ces gens-là nous ont étayé ou balayé mais ils ont contribué à faire de nous ce que l'on est devenu. Et crois-moi, en ce qui me concerne, et les quelques personnes qui me connaissent un peu sur ce forum pourront en témoigner, je suis bel et bien moi et j'ai bel et bien mon propre caractère!
Désolée pour celle(s) à qui j'ai procuré des émotions...
@KO69150: je ne suis pas vraiment d'accord avec toi: grandir, c'est certes devenir soi, mais, quoi qu'on fasse, quoi qu'on veuille, on reste le fils / le petit-fils / le neveu... de quelqu'un d'autre parce que les gens qui nous entourent, les gens avec qui on a grandi ont contribué à nous façonner, que ce soit en miroir ou en repoussoir. Ces gens-là nous ont étayé ou balayé mais ils ont contribué à faire de nous ce que l'on est devenu. Et crois-moi, en ce qui me concerne, et les quelques personnes qui me connaissent un peu sur ce forum pourront en témoigner, je suis bel et bien moi et j'ai bel et bien mon propre caractère!
madeleinedeproust- Kaléïd'habitué
- Humeur : littéraire
Re: La petite-fille de ton grand-père
Beau texte sur l'apprentissage de la vie, dans lequel seul un grand-père aimant apporte la tendresse indispensable pour grandir dans un monde d'adultes surtout porteurs de désillusion.
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: La petite-fille de ton grand-père
Merci Tober!
madeleinedeproust- Kaléïd'habitué
- Humeur : littéraire
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