Lettre à la petite fille qui est toujours en moi..

Je t’écris cette nouvelle lettre, car j’ai oublié de te dire le plus important : quoi qu’il arrive, sois toi.
Il est des fois où il faut savoir se situer dans la vie. Mais je sais que tu es parfaitement capable le faire.
Très tôt, tu as su où tu étais, qui tu étais et tu en as été fière.

Tu as su très vite que la vie nous réserve à tous, un lot de bonheur, un lot de malheur. Les deux ne sont pas toujours équitablement répartis.
La première fois, c’est quand tu t’es sentie trahie. Abandonnée. Une petite sœur allait venir. Tu avais presque trois ans. On t’emmena chez une tante, les jours qui précédèrent sa naissance, pour revenir te rechercher quelques mois plus tard. Cela devait être une visite normale à la tata. On prit prétexte de te conduire voir les vaches à l’étable. On savait que tu n’attendais que ça. A ton retour tu te retrouvas seule. Trahie. On t’avait trahie ! On : c’était ton père et la voisine, qui t’avaient accompagnée. Ils étaient repartis sans un mot, sans une explication, en se cachant.

On se cache quand on trahit.

Profite de tes instants de répit à galoper dans les champs. Profite de cette belle liberté et de ton insouciance, petite fille sans histoire, sous l’aile bienveillante de ceux qui t’aiment. Ils ne seront pas toujours là pour panser tes blessures.
Demain quand tu franchiras la limite du champ de ta Bugette, pour la première fois, il faudra bien que tu te débrouilles. Personne, ni maman, ni le pépé ne veilleront sur toi ni ne te couvriront de gentillesses. Tu vas à l’école pour la première foi. Là-bas, tes camarades de classe riront de tes larmes et se moqueront de tes habits, bien moins jolis que les leurs. Tes petites sœurs ne seront pas là non plus pour t’emboîter le pas. Il faudra que tu te forges ta carapace pour résister, pour exister. Mais je n’ai aucun doute, je sais que je peux te faire confiance. Il reste toujours quelque chose de l'enfance, toujours

Quand tu penseras à ta Charmante et à ta Blonde entrain de labourer le grand champ des Enclos, prends le temps de la nostalgie. N’ai pas honte de tes larmes. Celui qui n’a pas connu la joie de vivre une telle aventure à leur côté, ne comprendra pas. Et alors ? Est-il un être meilleur ou plus heureux que toi ?

Quand des pleurs couleront le long de tes joues en pensant à ton grand père, ne les essuies pas. Il ne sera pas toujours là. Tu le sauras bientôt, quand les grands chuchoteront derrière ton dos. Celui qui a été privé d’autant d’amour que t’a donné cet homme, ne comprendra pas. Et alors ? Est-il devenu meilleur ou plus heureux que toi ?

Lorsque tu reviendras le soir, après ta journée de classe, prends le temps de rêver dans la fraîcheur du soir qui tombe. Tu as sept ans, pense à celui qui te berçait naguère, sanglote tout ton saoul. Il n’est plus là. La douleur pour un être cher, mérite bien quelques instants. Celui qui est pressé ne comprendra pas. Et alors ? Aura-t-il fait plus de chemin que toi ?

Et quand tu partiras de la grande maison, pour faire ta vie, prends le temps de respirer très fort l’odeur du fumier devant la porte. Savoir l’odeur de son enfance, il n’est pas de bonheur plus grand que celui-là. Celui qui n’a jamais quitté son toit ne comprendra pas. Et alors ? A-t-il des racines plus profondes et plus solides que toi ?

Je voudrais tant, petite fille, que tu te souviennes de ces moments. Ils sont notre ossature. S’il te plais ne les oublie pas.

Magnifique et tellement émouvant que j'en ai les larmes aux yeux.

Comme tu as bien fait d'écrire cette nouvelle lettre, comme Nerwen, cette lettre m'a émue. J'espère qu'en l'écrivant tu t'es allégée  quelque peu de ces douleurs que tu dévoiles dans ce texte .

Merci de t'y être "recollée", c'est vraiment une très belle lettre que tu as écrit là

Les trahisons sont toujours douloureuses, mais celles vécues durant l'enfance ont quelque chose de fondateur et il est parfois bien difficile de faire son chemin malgré elles. Alors, "on se cache", comme tu l'écris si justement.

Comme quoi ce vieux Bossuet avait toujours raison "Cent fois sur le métier..."
Et ça valait vraiment la peine que tu t'y colles une seconde fois!

Que de souvenirs tristes tu évoques là Escandélia ! Mais ils ont fait de toi ce que tu es parce qu'ils sont l'essence même de notre devenir. Comment s'adresser à l'enfant que l'on a été sans évoquer les souvenirs ? C'est à travers eux que ressortent les sentiments qu'ils soient de haine, d'amour, de gloire ...Je constate que tout le monde est plus ou moins passé par là dans son texte et je trouve que c'est bien.

Merci à tous pour vos coms.
Je ne suis pas triste en les évoquant. Je crois que je n'en ai jamais voulu à mes parents ni de leur cachotteries, ni de leurs mensonges, pas plus que de leurs "trahisons". Je pense surtout, que c'était comme ça, avant. On ne parlait pas aux enfants, ils n'auraient pas compris. Alors on les tenait loin. Loin de la mort. Loin de la vie. Ils découvraient seuls les mystères de l'existence, plus tard, quand ils étaient en âge de comprendre.
Dans bien des cas, les parents n'avaient d'autres motivations que de protéger leurs enfants, de préserver le plus longtemps possible leur innocence et leurs illusions.

"Dans bien des cas, les parents n'avaient d'autres motivations que de protéger leurs enfants, de préserver le plus longtemps possible leur innocence et leurs illusions."

C'est tout à fait vrai Escandélia. C'est exactement comme cela que j'ai vécu mon enfance. Nos aînés avaient aussi le désir très vif de nous inculquer des valeurs. Et n'en déplaise, ils ont eu grandement raison.

Très beau texte très émouvaant . J'ai envie de dire "garde le meilleur " mais nos souffrances nous façonnent autant que nos joies.

Un texte largement différent du premier,  mais avec une tonalité assez triste lui aussi. Et que peut-on souhaiter de lieux à un enfant, comme tu le fais ici, que de ne jamais oublier les moments merveilleux qu’il a connus ? Dans les deux textes on retrouve ton  amour des vaches. Je les connais beaucoup moins bien que toi, mais suffisamment, j'ai quelques racines campagnardes, pour trouver que ce sont des animaux  très attachants.

Merci Charlotte, tu as raison de dire que nos souffrances nous façonnent autant que nos joies. Il faut un équilibre je crois pour être capable d'affronter la vie future.

Merci pour les vaches Tober. En effet elles sont des êtres doux et sensibles qui méritent toute notre considération. Je suis contente que ce texte vous ai plus, moi qui avais peur de vous ennuyer.

Merci Yvanne, nos ainés nous ont inculqué des valeurs que nous avons à notre tour transmis à nos enfants. Nous leur avons ainsi permis d'être des adultes responsables et respectueux, comme nous avons pu l'être envers nos vieux.