A. Notre livre

J'ai toujours pensé qu'un livre est écrit pour tous mais qu'il peut n'être destiné qu'à une personne en particulier. J’en ai été persuadée dès mon premier livre et depuis, je l’ai fortement ressenti à travers certaines lectures qui ont marqué mon existence.

Il n’y avait pas de livre chez moi, mis à part le livre de cuisine de ma mère. Mes parents ne lisaient pas si ce n’est le journal qu’elle achetait chaque jour.
Le goût de la lecture, je l’ai eu grâce à ma sœur aînée qui était pour moi un exemple à suivre. Il n’y avait pas de bibliothèque municipale dans notre petite ville de campagne mais ma grand-mère maternelle, veuve de cheminot nous a permis de nous inscrire à la bibliothèque de la gare.
Ce fut une chance pour nous et l’occasion de plonger dans un milieu qui m’était totalement inconnu jusqu’alors. Je me souviens encore de l’odeur de tous ces livres et de la magie que j’éprouvais en entrant dans ce lieu. . C’est ainsi que nous avons commencé à lire, beaucoup de BD pour moi pendant que ma sœur s’attaquait à plus ardu.

Je ne sais plus quand le premier livre est arrivé chez nous mais je suppose que ma mère a compris l’importance qu’avait pour nous la lecture en nous voyant chaque semaine partir à la bibliothèque de la gare. Elle a commencé à nous acheter de temps en temps un livre de la bibliothèque rose.

Celui-là fut le premier, du moins il a eu tant d’importance à mes yeux que j’imagine qu’il fut le premier. Il ne m’était pas destiné, il NOUS était destiné. Il racontait une autre époque, d’autres enfants, un autre milieu social que le nôtre. Pourtant, à chaque page, c’était elle et moi que je voyais entre les lignes.
C’était comme si j’ouvrais la fenêtre de notre appartement côté jardin, côté rêve. Comme si nous glissions dans un monde parallèle, nous traversions un miroir pour découvrir un parc immense au pied d’un château au nom fleuri. Alors notre monde basculait naturellement dans un autre décor, avec une évidence si flagrante que je ne pouvais que me persuader que ce livre était le nôtre.

Je me souviens des premiers mots du livre, ceux qui m’avaient accrochée. Ces petites filles existaient réellement, avec leurs qualités et leurs défauts. Je le savais, ces deux enfants c’étaient ma sœur et moi.

Des années plus tard, lorsque nous sommes parties faire notre vie, chacune de notre côté, nous nous sommes partagées les livres achetés par maman. Les miens ont été maintes fois manipulés, y compris par mes enfants qui n’ont sans doute pas réalisé  ce qu’ils représentaient  à mes yeux.
Parmi eux un trésor,  notre livre que je garde aussi précieusement qu’une relique. Une édition de 1965 avec images qui cache entre ces pages nos rêves d’enfant.