Kaléïdoplumes 3
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Gros temps

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Message  Nerwen Sam 28 Fév - 18:37

« Mon gars, ce ne sera pas une garde de tout repos, m’avertit le chef en ce matin de septembre 1974, et il ajouta : ça m’ennuie de te laisser seul, mais depuis que l’autre maladroit a glissé sur un rocher, nous sommes en sous-effectif. »
Je tentais de le rassurer tout en me rassurant moi-même : « Pas de souci, chef, j’ai déjà vécu une tempête ici, rappelez vous, il y a deux ans… »
Il me regarda d’un drôle d’air et grommela : « Il y a deux ans, ce n’était pas une tempête, tout au plus une forte houle… De toute façon nous n’avons pas le choix. Ce n’est l’affaire que de deux jours, et nous resterons en liaison par radio. J’ai vérifié, tu as tout ce qu’il te faut. »
De la plate forme, je le regardai partir et regagner, à l’aide du treuil, le bateau qui assurait la relève acrobatique des gardiens depuis quatre-vingt ans. Il me fit un signe de la main…

Une fois seul, je déballai mes livres et mes affaires et montai à la lanterne pour profiter d’un spectacle dont je ne me lasserai jamais : celui de l’immensité de l’Océan autour de moi si petit, perdu sur cette étendue liquide d’où émergent, ça et là, des rochers semblables à de grands animaux marins au dos luisant.
Pour l’heure quelques vagues moutonnaient gentiment autour du phare mais compte tenu de l’annonce de la dépression venue d’Irlande, je savais que les conditions ne tarderaient pas à changer.
Et pour changer, elles changèrent !

D’abord, subrepticement, le vent se renforça. Dans le courant de l’après-midi, la mer grossit, les lames de plus en plus hautes, couronnées de longues crêtes en panaches déferlaient en rouleaux. Dans la soirée, l’océan était entièrement blanc, recouvert d’écume. Le vent avait atteint les forces 9 ou 10 et conjugué avec des lames exceptionnellement hautes, il m’obligea à regagner l’abri du phare. A l’intérieur, le tumulte du vent et le fracas des rouleaux qui s’écrasaient contre le fût était à peine atténué par l’épaisseur des murs… En ces circonstances, impossible de ne pas s’interroger sur la solidité du bâtiment. Me revenaient en mémoire le récit des difficultés ayant accompagné sa construction et de récentes allusions à des fissures dans le soubassement de béton. Je me rassurai en me disant que le phare en avait surement vu d’autres depuis 1911 !
A bien y réfléchir, pas sûr !

Quand j’essayais de joindre Créac’h pas radio, je n’obtins que des gargouillis inaudibles et je laissai tomber. Préoccupé par la lanterne, je constatai que la régularité des éclats lumineux, normalement de 15 secondes en 15 secondes, avait quelques ratées… Il me fallait régler rapidement cette anomalie, et je remontais pour vérifier les commandes. Là-haut le vacarme était encore plus assourdissant, des lames qui atteignaient le lanternon de verre, s’y écrasaient avec violence…
Une violence telle, qu’à un moment, une des vitres se brisa. La déferlante s’engouffra dans la brèche et me balaya sur son passage, je fus projeté contre la paroi de la salle de service. Le souffle coupé par le paquet de mer, trempé de la tête aux pieds, j’eus beaucoup de mal pour et ouvrir la porte de la petite pièce afin de permettre à l’eau de s’écouler dans les escaliers. Je l’entendis dévaler les marches et j’allais devoir redescendre ouvrir la porte du bas pour qu’elle puisse s’évacuer. Je jetai un coup d’œil pour évaluer les dégâts qui me parurent moins importants que ce que je craignais.

Dans l’eau à mes pieds, gisait une espèce de petit tas de plumes trempé. C’était le cadavre d’une mouette que la vague avait apporté avec elle. Je me penchai et avec surprise constatai que l’oiseau était vivant. Je le pris doucement pour l’examiner. Son petit œil luisant, rond et noir me fixait. En écartant les plumes collées par l’eau de mer, je ne décelai aucune fracture, ni blessure apparente. Mais l’épuisement avait dû avoir raison d’elle et maintenant le choc et le froid, risquaient de l’achever. Alors, chose incroyable, je cessai de m’inquiéter pour moi-même. Je me mis à parler à l’oiseau, lui assurant en claquant des dents que nous allions nous en sortir. Je me réfugiai dans la cuisine, changeai rapidement de vêtements et entrepris de sécher le plus possible la mouette qui se laissait faire sans réagir, tant son épuisement était grand. Je la déposai ensuite sur une serviette dans un carton…
Dehors, la tempête ne s’était pas calmée et j’entendais par intermittence, à travers la porte de la cuisine, l’eau qui dévalait les escaliers… Malgré tout, je finis par m’endormir sur une chaise.

Au petit matin, je fus réveillé par le calme relatif. Le gros de la tempête était passé ! Dans son carton, la mouette aussi était réveillée, sèche maintenant, elle « épluchait » soigneusement ses plumes tentant d’y remettre un peu d’ordre. Elle me regarda et émit un drôle de petit cri, court et rauque, comme pour me dire « Tu vois, c’est fini ! »
La radio interrompit ce face à face et la voix du chef, pleine d’inquiétude, me tira un sourire.
« Alors ? Tu vas bien ? Des dégâts ?... »
Je préférai lui laisser la surprise pour ne pas l’inquiéter à l’avance.
« Pas trop, vous verrez vous-même. » Et comme je sentais qu’il allait vouloir de plus amples explications, je coupai court en disant : « Maintenant, excusez-moi, chef, mais il faut que je m’occupe de mon naufragé…
Un cri dans le micro : « Un naufragé ? »
« Je vous raconterai car vous savez, pour que l'événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à le raconter… »
Un silence…

Je laissai mon interlocuteur à sa surprise et à ses interrogations et allai retrouver la mouette. Quand je la pris entre mes mains, l’ingrate essaya de me donner un coup de son bec puissant. J’y vis le signe qu’elle avait retrouvé ses forces et je l’emportai sur la plate forme. Le vent était encore fort et l’océan agité, mais rien qui ne doive inquiéter un oiseau de mer habitué à ce gros temps. Là-bas quelques dizaines de ses congénères étaient déjà repartis en chasse. Je me plaçai dos au vent et guettai le bon moment pour la lancer en l’air histoire de faciliter le décollage. Une bourrasque soudaine la prit et, retrouvant son élément, elle déploya ses larges ailes et se laissa emporter…
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Message  Admin Dim 1 Mar - 12:32

Je me suis laissée embarquer des les premiers mots sans savoir ou tu m'amenais mais ça m'était égal, je te faisais entièrement confiance . Et j'ai bien eu raison.
Nerwen, je ne sais si c'est le phare, la photo de la tempête, ton petit gardien de phare, les vitres brisées ou la mouette, mais qu'est-ce que j'aime!!!
Je suis prête à lire un livre entier de toi, du moment qu'il est de la même veine que ce texte Prosterne Prosterne Prosterne
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Message  Sherkane Dim 1 Mar - 21:13

Un texte où moi aussi je me suis laissée embarquée du début à la fin!

Un texte plein d'humanité sunny
Sherkane
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Message  Invité Lun 2 Mar - 15:54

On vit avec ton gardien de phare sa folle nuit de tempête et le sauvetage de sa naufragée. Bien écrit. Les trois petits points de la fin laissent penser que tu aurais pu facilement donner une suite à ton texte ou bien ils ouvrent sur la destinée de la mouette qui s'envole, ailes déployées, après sa renaissance.

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Message  Amanda. Lun 2 Mar - 18:02

J'admire ta plume qui décrit aussi bien la déferlante de la tempête, on s'y croit tout de suite.
Tu ajoutes une dimension supplémentaire au texte en y introduisant la mouette.

Je pense Nerwen, mais aussi St Ex et son Petit Prince et bien d'autres encore, je pense Quel talent
Amanda.
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