A. Je reste!
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Admin
Sherkane
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A. Je reste!
J’ai le cœur en vrac. Comme probablement tous ceux autour de moi.
Le vieux MacLain, droit comme un « I », le regard rivé sur le village aux maisons closes, les fenêtres barricadées de planches de bois. Plus de fumée s’échappant des cheminées. Plus de linge séchant au vent.
Pour un peu je jurerais qu’il pleure. Sans doute répondrait-il que c’est le soleil particulièrement aveuglant aujourd’hui qui le fait larmoyer.
Emma MacAyel, celle par qui tout est arrivé. Celle qui a osé dire ce que tout le monde pensait tout bas. Celle qui a crié haut et fort que la vie sur l’Ile n’était plus possible. Pour les enfants qui n’ont aucun avenir ici. Pour les anciens qui meurent l’un après l’autre de maladie.
Elle aussi est immobile comme le vieux MacLain. Seules ses mains tremblent pressant les épaules de sa fille debout contre elle.
John Tadig mon mentor. Celui qui m’a pris sous son aile après la mort de mes parents emportés par une terrible vague lors de la tempête de 1913. Je sens son inquiétude pour moi. Je devine ce que ses yeux veulent me dire : « Il n’y a pas d’autre choix ». J’évite son regard.
Ce même regard qu’il m’a posé ce fameux soir où nous avons tous signé la pétition pour partir. J’avais longuement hésité. Avais-je le choix ? Tous pour un, un pour tous. Un seul qui refuse de signer et le départ n’aurait pas lieu.
Quitter l’Ile mais pour aller où ? Personne ne m’attend nulle part. Que deviendrais-je ? Un exilé, un déraciné.
Aujourd’hui, 29 août 1930, nous sommes tous là. Les 37 à attendre à Village Bay l’arrivée du bateau qui nous emmènera loin d’ici à tout jamais.
Une atmosphère étrange règne sur l’Ile. Comme une attente. Tout le monde est figé même les enfants. Il n’y a qu’Engus, l’idiot du village, qui semble échapper à cette torpeur. Se rend-il seulement compte de ce qui se passe ? Sa face ronde levée vers le ciel il sourit et tente d’attraper avec les mains des akènes de pissenlit virevoltant dans le vent.
Je ne peux que repenser à ce que nous a dit le docteur un jour. A force de se marier entre nous, nos enfants auront des problèmes. Des déformations, une moindre intelligence. Si nous restons cloîtrés sur notre Ile nous aurons de plus en plus d’Engus au village.
Le bateau accoste. Il est temps d’embarquer. Notre petit groupe se met en marche. Un baluchon par personne. Un seul ! Et pas d’animaux ont-ils dit.
L’Ile vibre. J’entends son cœur qui bat. Un souffle profond et lent. Les falaises disparaissent sous les milliers de fous de bassan, de fulmars, de macareux moines venus assister silencieux à notre exode. On me dépasse, on me bouscule un peu. Je ralentis. Bientôt je suis à la traine. L’Ile me retient, m’attire en son sein. Je me mets doucement à reculer.
John Tadig a embarqué le premier. Nos regards se croisent. Il opine de la tête. Il accepte mon choix. Je tourne le dos à la mer et m’enfonce vers les falaises. Du sommet du Conachair j’observe le bateau rallier l’Ecosse avec à son bord 36 des miens.
Je reste ici, sur notre Ile. Mon Ile. Je sais que si j’étais parti jamais je ne m’en serai remis.
Le vieux MacLain, droit comme un « I », le regard rivé sur le village aux maisons closes, les fenêtres barricadées de planches de bois. Plus de fumée s’échappant des cheminées. Plus de linge séchant au vent.
Pour un peu je jurerais qu’il pleure. Sans doute répondrait-il que c’est le soleil particulièrement aveuglant aujourd’hui qui le fait larmoyer.
Emma MacAyel, celle par qui tout est arrivé. Celle qui a osé dire ce que tout le monde pensait tout bas. Celle qui a crié haut et fort que la vie sur l’Ile n’était plus possible. Pour les enfants qui n’ont aucun avenir ici. Pour les anciens qui meurent l’un après l’autre de maladie.
Elle aussi est immobile comme le vieux MacLain. Seules ses mains tremblent pressant les épaules de sa fille debout contre elle.
John Tadig mon mentor. Celui qui m’a pris sous son aile après la mort de mes parents emportés par une terrible vague lors de la tempête de 1913. Je sens son inquiétude pour moi. Je devine ce que ses yeux veulent me dire : « Il n’y a pas d’autre choix ». J’évite son regard.
Ce même regard qu’il m’a posé ce fameux soir où nous avons tous signé la pétition pour partir. J’avais longuement hésité. Avais-je le choix ? Tous pour un, un pour tous. Un seul qui refuse de signer et le départ n’aurait pas lieu.
Quitter l’Ile mais pour aller où ? Personne ne m’attend nulle part. Que deviendrais-je ? Un exilé, un déraciné.
Aujourd’hui, 29 août 1930, nous sommes tous là. Les 37 à attendre à Village Bay l’arrivée du bateau qui nous emmènera loin d’ici à tout jamais.
Une atmosphère étrange règne sur l’Ile. Comme une attente. Tout le monde est figé même les enfants. Il n’y a qu’Engus, l’idiot du village, qui semble échapper à cette torpeur. Se rend-il seulement compte de ce qui se passe ? Sa face ronde levée vers le ciel il sourit et tente d’attraper avec les mains des akènes de pissenlit virevoltant dans le vent.
Je ne peux que repenser à ce que nous a dit le docteur un jour. A force de se marier entre nous, nos enfants auront des problèmes. Des déformations, une moindre intelligence. Si nous restons cloîtrés sur notre Ile nous aurons de plus en plus d’Engus au village.
Le bateau accoste. Il est temps d’embarquer. Notre petit groupe se met en marche. Un baluchon par personne. Un seul ! Et pas d’animaux ont-ils dit.
L’Ile vibre. J’entends son cœur qui bat. Un souffle profond et lent. Les falaises disparaissent sous les milliers de fous de bassan, de fulmars, de macareux moines venus assister silencieux à notre exode. On me dépasse, on me bouscule un peu. Je ralentis. Bientôt je suis à la traine. L’Ile me retient, m’attire en son sein. Je me mets doucement à reculer.
John Tadig a embarqué le premier. Nos regards se croisent. Il opine de la tête. Il accepte mon choix. Je tourne le dos à la mer et m’enfonce vers les falaises. Du sommet du Conachair j’observe le bateau rallier l’Ecosse avec à son bord 36 des miens.
Je reste ici, sur notre Ile. Mon Ile. Je sais que si j’étais parti jamais je ne m’en serai remis.
Sherkane- Kaléïd'habitué
- Humeur : ....
Re: A. Je reste!
Bravo sherkane, ton texte va crescendo, on comprend qu'il va se passer quelque chose sans savoir quoi.
Ta derniere partie est particulièrement efficace . On sait que cela ne peut être crédible mais on se laisse quand même emporter en se disant : et pourquoi pas?
Ta derniere partie est particulièrement efficace . On sait que cela ne peut être crédible mais on se laisse quand même emporter en se disant : et pourquoi pas?
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: A. Je reste!
Oui, pourquoi pas ? Malgré le manque de choix on peut être certain que plus d'un a été tenté par un pas en arrière. Peut-être plus d'un a été victime de coup de pied aux fesse pour ne pas se retourner et avancer quand même.
C'est un très bon texte Sherkane que tu accentues par des phrases brèves, sans édulcorant.
C'est un très bon texte Sherkane que tu accentues par des phrases brèves, sans édulcorant.
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: A. Je reste!
Une ambiance de départ très bien rendue et un aspect - et ce n'est pas le moindre - encore non évoqué : la consanguinité. Bien vu Sherkane ! Une hypothèse aussi non encore "travaillée" : la possibilité de rester même si c'est utopique.
Précision : j'ai lu dans les documents consultés que des animaux avaient aussi quitté l'île en même temps que les personnes. Je dis ça parce que tu me casses la baraque.
Précision : j'ai lu dans les documents consultés que des animaux avaient aussi quitté l'île en même temps que les personnes. Je dis ça parce que tu me casses la baraque.
Invité- Invité
Re: A. Je reste!
Il est très réaliste ton texte, très réussi mais la fin me fait froid dans le dos.
Imaginer quelqu'un rester seul sur une île inhospitalière jusqu'à la fin de ses jours, me laisse penser au pire pour la santé mentale de son occupant.
Cela dit, c'est un point de vue qui se respecte, et tu l'as très bien amené
Imaginer quelqu'un rester seul sur une île inhospitalière jusqu'à la fin de ses jours, me laisse penser au pire pour la santé mentale de son occupant.
Cela dit, c'est un point de vue qui se respecte, et tu l'as très bien amené
silhène- Kaléïd'habitué
- Humeur : la meilleure possible....
Re: A. Je reste!
Ton texte me fait penser à un plan panoramique de cinéma où la caméra zoome sur chacun des personnages pour nous faire comprendre leur état d'esprit au moment du départ. Le choix final sonne comme un coup de théâtre.
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: A. Je reste!
Tout est bien ficelé.
J'ai choisi le même point de vue... avec une autre histoire.
J'ai choisi le même point de vue... avec une autre histoire.
SO-leille- Kaléïd'habitué
- Humeur : Joyeuse
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