A. Un jour si tranquille.

L’automne est arrivé. Les enfants sont repartis. Chacun sa route. Chacun sa vie. Louise est là dans le grand jardin.  Elle n’a pas encore rangé la table de salon et les deux chaises où hier encore tous ensemble ils  prenaient le petit déjeuner. Tournés vers le couchant, ils aimaient venir se reposer. Le grand hêtre les protégeait de ses branches. Ses couleurs mordorées se mêlent aujourd'hui à celles en  contre bas des érables et peupliers tandis que les verts sapins marient leur parure à celles des châtaigniers un peu plus loin. Là-bas sur la colline, les derniers regains  accueillent quelques vaches acajou à la silhouette indolente. Bientôt elles regagneront l’étable quand partiront les hirondelles et les oies sauvages  vers les pays lointains. S’égayant dans le ciel, là-haut, tout près des nuages où elles  se confondent, leur route est tracée et ne dévie pas. Combien reviendront d'un aussi long voyage au printemps prochain ? Louise garde au cœur la nostalgie des derniers rayons de soleil en présence de ses enfants. Ils aimaient admirer ce ballet incessants dans le ciel avant l'hiver, quand ils étaient petits.

Ils reviendront peut être à Noël si le temps le permet. Si loin d’elle, ils courent tous les dangers sans personne qui les protège. A la grande ville, il y a tant de risques !  Elle ne sait pas bien, Louise, quelle est leur vie. D’eux, elle sait seulement qu’elle les a bien élevés, et qu’ils sont gentils avec elle.  Elle veut croire qu’ils sont heureux, comme une mère peut l’espérer pour ses enfants .  Mais aujourd’hui plus que d’habitude, elle pressent un malheur.  L’angoisse lui serre les tripes. On est vendredi 13, il n’y a jamais rien de bon ce jour-là.  
Quand le téléphone sonne, dans la grande salle, son coeur bondi dans sa poitrine. Dans sa précipitation, elle renverse la chaise : celle où s’asseyait Lola.
Hébétée au milieu de la pièce, Louise est sans voix. Tout tourne autour d’elle, soudain elle s’écroule dans un grand fracas. Lola ne reviendra pas. Par un jour si tranquille, le malheur était là.