Vers la vie
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Vers la vie
[Comme Yvanne, texte écrit pour un autre forum ]
Allongé dans les draps blancs de la chambre blanche, il sait que sa vie s’en va. Le peu qui en reste vient de ces tuyaux, comme les fils d’une marionnette. Un fil pour la nourriture, un fil pour le sang, un autre pour les remèdes. Et le cathéter, ce gros scarabée plaqué contre sa poitrine, qui dévore sa douleur. Elle l’a taraudé longtemps, la douleur, si longtemps. Il voulait mourir alors, pour lui échapper. A présent, il en vient à la regretter. Elle était la vie, elle lui donnait la conscience de son corps, jusque dans le moindre repli. Où est-il maintenant, son corps ? Ses mains et ses pieds sont des pays lointains, bien au-delà de lui. Le cratère de sa gorge crachote encore un peu, le cœur tambourine en sourdine les échos d’une fête agonisante.
La chambre est une bulle d’absence, de plus en plus légère, prête à se fondre dans un vide atone. Jadis, il imaginait le néant comme un trou noir, une nuit sans étoiles. Maintenant, il sait que c’est cette blancheur qui finira par l’absorber, aquarelle décolorée. Sur la commode, la plante en pot, qui il y a peu explosait d’une luxuriance rouge et verte, se dessèche et pâlit.
La fenêtre lui offre des bribes du monde, mais elles lui semblent virtuelles, comme celles d’un écran de télévision. Des images furtivement happées, zappées. Le pointillé du vol d’un oiseau, un duvet dans le vent, des lambeaux de nuages, signes épars et illisibles, publicité mensongère pour une existence qui n’existe plus.
Tout son être se ratatine, se rétrécit, reflue vers la tête, dernière citadelle. Mais là aussi, des gouffres s’ouvrent. Les blancs s’étendent, l’absence gagne du terrain. Il s’égare dans les dédales de son cerveau, labyrinthe d’oubli. Les sentiers sinueux des synapses bifurquant à l’infini se bloquent en impasses. Des continents entiers de son passé lui sont inaccessibles. Il se cramponne aux vestiges qui surnagent. Il hésite entre lutte désespérée et résignation.
Pourtant, ce jour finissant lui apporte une surprise. Dans le pot, une pousse verte a jailli au pied de la plante moribonde affaissée comme la peau d’une mue. Un embryon brillant, gonflé de sève. Fasciné, il regarde cette vie qui repart. Il se sent à l’unisson de cette renaissance. Le sang se fait plus vif dans ses veines, des étincelles crépitent dans sa tête. Il ne cherche plus le soutien de ses souvenirs ni celui de son corps fourbu, dérisoires trésors accumulés au long des années. Il est prêt à abandonner tout ce qui faisait son univers, il ne veut plus être qu’une petite créature, un enfant. Il sait qu’il le sera bientôt. Il contemple la chambre d’un œil neuf.
L’infirmière se penche sur lui avec la douceur d’une mère. Le docteur arbore le sourire protecteur d’un père bienveillant et toujours pressé.
La nuit l’accueille, brûlante comme l’antre d’un ventre. Dans le creuset de l’obscurité, s’élabore l’alchimie de la matière et de l’esprit, le mystère de l’être.
Il aspire à sortir de la bulle. Derrière la porte, il y a le couloir de l’hôpital et au bout du couloir, le monde. Pas besoin de couper les cordons, il est déjà libre.
Le docteur au bon sourire paternel et l’infirmière au doux visage maternel se penchent sur le corps du vieillard qui vient de mourir, marionnette que les fils n’animent plus.
Dans le couloir, l’enfant court vers la vie.
Allongé dans les draps blancs de la chambre blanche, il sait que sa vie s’en va. Le peu qui en reste vient de ces tuyaux, comme les fils d’une marionnette. Un fil pour la nourriture, un fil pour le sang, un autre pour les remèdes. Et le cathéter, ce gros scarabée plaqué contre sa poitrine, qui dévore sa douleur. Elle l’a taraudé longtemps, la douleur, si longtemps. Il voulait mourir alors, pour lui échapper. A présent, il en vient à la regretter. Elle était la vie, elle lui donnait la conscience de son corps, jusque dans le moindre repli. Où est-il maintenant, son corps ? Ses mains et ses pieds sont des pays lointains, bien au-delà de lui. Le cratère de sa gorge crachote encore un peu, le cœur tambourine en sourdine les échos d’une fête agonisante.
La chambre est une bulle d’absence, de plus en plus légère, prête à se fondre dans un vide atone. Jadis, il imaginait le néant comme un trou noir, une nuit sans étoiles. Maintenant, il sait que c’est cette blancheur qui finira par l’absorber, aquarelle décolorée. Sur la commode, la plante en pot, qui il y a peu explosait d’une luxuriance rouge et verte, se dessèche et pâlit.
La fenêtre lui offre des bribes du monde, mais elles lui semblent virtuelles, comme celles d’un écran de télévision. Des images furtivement happées, zappées. Le pointillé du vol d’un oiseau, un duvet dans le vent, des lambeaux de nuages, signes épars et illisibles, publicité mensongère pour une existence qui n’existe plus.
Tout son être se ratatine, se rétrécit, reflue vers la tête, dernière citadelle. Mais là aussi, des gouffres s’ouvrent. Les blancs s’étendent, l’absence gagne du terrain. Il s’égare dans les dédales de son cerveau, labyrinthe d’oubli. Les sentiers sinueux des synapses bifurquant à l’infini se bloquent en impasses. Des continents entiers de son passé lui sont inaccessibles. Il se cramponne aux vestiges qui surnagent. Il hésite entre lutte désespérée et résignation.
Pourtant, ce jour finissant lui apporte une surprise. Dans le pot, une pousse verte a jailli au pied de la plante moribonde affaissée comme la peau d’une mue. Un embryon brillant, gonflé de sève. Fasciné, il regarde cette vie qui repart. Il se sent à l’unisson de cette renaissance. Le sang se fait plus vif dans ses veines, des étincelles crépitent dans sa tête. Il ne cherche plus le soutien de ses souvenirs ni celui de son corps fourbu, dérisoires trésors accumulés au long des années. Il est prêt à abandonner tout ce qui faisait son univers, il ne veut plus être qu’une petite créature, un enfant. Il sait qu’il le sera bientôt. Il contemple la chambre d’un œil neuf.
L’infirmière se penche sur lui avec la douceur d’une mère. Le docteur arbore le sourire protecteur d’un père bienveillant et toujours pressé.
La nuit l’accueille, brûlante comme l’antre d’un ventre. Dans le creuset de l’obscurité, s’élabore l’alchimie de la matière et de l’esprit, le mystère de l’être.
Il aspire à sortir de la bulle. Derrière la porte, il y a le couloir de l’hôpital et au bout du couloir, le monde. Pas besoin de couper les cordons, il est déjà libre.
Le docteur au bon sourire paternel et l’infirmière au doux visage maternel se penchent sur le corps du vieillard qui vient de mourir, marionnette que les fils n’animent plus.
Dans le couloir, l’enfant court vers la vie.
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: Vers la vie
C'est si bien observé, si bien raconté. Pour avoir été confrontée il y a peu à une situation similaire, j'ai lu ton texte dans un grand recueillement respectueux : de la vie , de l'être, de ton texte, de tout ce qui nous anime en pareilles circonstances.
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: Vers la vie
Rien ne meurt jamais tout à fait : de la pourriture du végétal naissent d'autres plantes. En cela, il y a une similitude avec mon texte pour cette consigne.
Pour ce qui est de l'humain, voir la mort comme une renaissance est pour moi une belle leçon de vie.
Pour ce qui est de l'humain, voir la mort comme une renaissance est pour moi une belle leçon de vie.
Invité- Invité
Re: Vers la vie
C'est merveilleusement bien raconté...
très émouvant aussi
Bravo!
très émouvant aussi
Bravo!
Coumarine- Kaléïd'habitué
- Humeur : concentrée
Re: Vers la vie
Ton texte m'a beaucoup émue, j'ai revécu le départ de ma maman.
Je reste admirative devant ton positivisme etton titre " Vers la vie" alors que tu racontes une mort
Je reste admirative devant ton positivisme etton titre " Vers la vie" alors que tu racontes une mort
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: Vers la vie
Un beau texte d'une écriture travaillée. Beaucoup de fluidité et une observation fine des sentiments du personnage. Beaucoup aimé.
Kz- Kaléïd'habitué
- Humeur : bonne
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