A - Le chat noir

Quelque part entre les pages d’un livre et une chambre dont tout le bleu de l’atlantique et du pacifique me sépare. Une chambre presqu’aux antipodes ; aux antipodes de ma vie aussi. Le livre est toujours dans ma bibliothèque, précieusement conservé comme tous ceux de mon enfance, à l’exception de ceux qui se sont évaporés dans les aléas de l’existence.

J’avais huit ans lorsqu’on eut la bonne idée de m’offrir quelques volumes de la fabuleuse collection « Contes et légendes » de Nathan. Je les ai tous lus avec passion, émerveillement, terreur parfois. Dès que vous les feuilletiez, vous étiez emporté par les illustrations, pourtant sobres et monochromes ou, si on veut, trois couleurs en comptant le noir et le blanc. En haut de la page s’inscrivait le titre du conte et en bas, une phrase qui en était extraite. Le tout constituait un puissant levain pour l’imagination, avant même d’avoir entamé le texte.

Ce livre-là, les « Contes et légendes du Japon »  était l’un des plus impressionnants de la collection : scènes de hara-kiri, héros voués au sacrifice, horrible sorcière volante, spectre de bonze chuchotant dans les ténèbres, et puis ce chat-vampire, qui donnait son titre à l’histoire, et dont l’illustration était légendée : « C’est le chat noir qui s’est glissé dans la chambre ».

Tout dans l’attitude de la jeune femme, main droite plaquée contre la poitrine, visage à la bouche bée retenant un cri, corps tendu, main gauche avancée dans une tentative d’écarter l’apparition, exprime la terreur.
Terreur qui fut la mienne aussi, d’autant que dans ma chambre, la disposition du lit et de la fenêtre étaient identiques à celles de l’image.

Des jours durant j’ai regardé sous mon lit, sous les meubles et dans l’armoire avant de consentir à me coucher.

Quelque part, dans ce pays de fougères arborescente, de fleurs flamboyantes, de vert paradis des amours enfantines et de premières terreurs, je retourne parfois, passager de la mémoire, voyageur instantané de deux océans.

Un livre qui fait peur à l'enfant que tu es, mais le fascine jusqu'à le pousser à l'ouvrir quand tu es devenu adulte.
Une découverte pour moi, je ne connaissais pas et ta description (excellente par ailleurs) me tente, si je le trouve je m'en vais me le procurer.

Quelque part entre les pages d’un livre et une chambre dont tout le bleu de l’atlantique et du pacifique me sépare. Une chambre presqu’aux antipodes ; aux antipodes de ma vie aussi. Le livre est toujours dans ma bibliothèque, précieusement conservé comme tous ceux de mon enfance, à l’exception de ceux qui se sont évaporés dans les aléas de l’existence.

Je vais retenir ce passage.
Il m'a happé dans ton texte et dans ton décor.

C'est une entrée en matière très poétique.

Mais, outre, ce passage, j'ai vraiment adoré ton texte. Il est merveilleusement bien écrit.
Merci pour cet instant. Au plaisir de rapidement te relire.

La qualité de ton écriture est vraiment indéniable, comme dans la plupart de tes textes postés ici.
En plus de cette qualité, il y a l'originalité du texte.
Et puis la touche intime que tu mets dans ce texte.
Tous ces ingrédients font que, tu l'auras compris, j'ai beaucoup aimé ce texte

Quelque part dans la bibliothèque se trouve donc le souvenir d'un enfant pris par la terreur d'une histoire et dans laquelle tu nous invites un peu à travers la tienne.

Tu as ravivé en moi le souvenir de cette collection qui m'a fait entrer dans le monde des histoires. Le Japon possède en effet une tradition de contes horrifiques et de personnages terrifiants qui fascinent les enfants autant qu'ils les repoussent.  (La Russie n'est pas mal non plus dans ce genre...)

Ton magnifique talent d'exprimer les détails comme ici

tobermory a écrit:Tout dans l’attitude de la jeune femme, main droite plaquée contre la poitrine, visage à la bouche bée retenant un cri, corps tendu, main gauche avancée dans une tentative d’écarter l’apparition, exprime la terreur.

Quelle classe

Admin a écrit:La qualité de ton écriture est vraiment indéniable, comme dans la plupart de tes textes postés ici.
En plus de cette qualité, il y a l'originalité du texte.
Et puis la touche intime que tu mets dans ce texte.
Tous ces ingrédients font que, tu l'auras compris, j'ai beaucoup aimé ce texte

Tout est très bien dit. Je m'y associe volontiers.

Je me souviens bien de cette collection de livres qui étaient très beaux, mais je n'ai pas lu ces contes du Japon. Ton texte est très évocateur et me plait beaucoup!