A - Saint Jean d'été.
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A - Saint Jean d'été.
24 juin 1914 : Catherine a mis son beau tablier à carreaux gris et bleu. Cette tenue lui va bien, elle enveloppe ses formes seyantes et discrètes à la fois. C'est sa mère qui a choisi l’étoffe à la foire de la quasimodo. La couturière du village a eu tôt fait de la transformer en une élégante tenue à porter les jours de fête. Catherine s'affaire à couper le chanteau* pour la soupe. Les hommes ne vont pas tarder à rentrer des champs, portant faux sur l'épaule, fourche ou râteau. Les fenaisons s'avancent, mais il reste encore un bout de près, celui des Narses* et qu'on fane en dernier parce que c'est du mauvais foin. Les moissons s'annoncent déjà et le raisin murit lentement sous la treille. Que dure le beau temps ! Catherine est pressée. Elle a rendez vous avec Jean, son promis. Aujourd'hui c'est saint Jean. Tout à l'heure, ils sauteront ensemble le feu de l'été et à l'automne, nous les marierons.
Jean, sa casquette de travers s'active à la fenière*. Encore une charrette à décharger, puis une autre à mettre à l'abri, on ne sait jamais, si l'orage arrivait ! Il faudra encore donner aux bêtes. Le père et la mère s'occuperont de la traite du soir. Vite une toilette complète au bac dans la cour, pour se dépoussièrer. Tout à l'heure, c'est Saint Jean, on fêtera l'arrivée de l'été. Il a rendez vous avec Catherine, sa bien aimée. A minuit, ensemble, ils enjamberont le feu et nous les marieront à la fin de l'été. La mère a préparé la soupe aux choux et cuit un gros morceau de lard. Ce ne sera pas de trop après cette rude journée. Il revêtira son bel habit, son chapeau de feutre et ses sabots vernis. A Catherine, il offrira une couronne d'aubépine, c'est la tradition pour les jeunes à marier dans l'année.
Depuis déjà quelques jours, avec les autres gars du pays, ils ont ramassé quantité de bois mort pour enflammer les bûches que les filles sont allé quérir auprès des métairies. Un grand feu bien nourri et c'est la prospérité assurée pour l'année si on recueille les cendres pour les éparpiller autour des champs de blé et des maisons qu'elles protègeront de la foudre et des mauvais sorts.
A minuit,ils entameront l'ultime danse et dans un cri joyeux, sauteront ensemble plusieurs fois, jusqu'à ce que le feu s'éteigne. Puis un dernier baiser clôturera cette fête que chacun poursuivra à sa manière au bras d'une cavalière en rentrant chez soi. Ce jour nouveau se lèvera sur la campagne embrumée de rosée. Il sera temps de reprendre la faucille car la besogne n'attend pas. Par l’entrebâillement de la porte, une mère attentive attendra le retour de celui ou de celle qui bientôt lui échappera.
24 juin 1915 : La Saint Jean est bien triste. Les jeunes sont partis à la guerre. Seuls autour du feu de bois, les vieillards devisent en pensant à leurs gars. Ils sont venus ici, perpétrer une tradition et recueillir les cendres. Ils les mettront sur le seuil de leur demeure sans vie. Il ne faudrait pas que le destin s'acharne ou que le sort se venge. Catherine n'est pas parmi eux. Seule, elle s'occupe de petit Jean qui est né à carnaval. Il ne connaitra jamais son papa.
L'an dernier des hommes sont venu le chercher. Il était aux champs quand le tocsin s'est mis à sonner. Il n'a pas compris le Jean. Lui qui aimait tant la vie, il chantait en coupant les épis. Ses amis étaient là près de lui, occupés à faucher les blés. Quand il les vit courir, laissant là les faucilles près des javelles que les filles liaient, il n'eut qu'une envie : partir, se cacher n'importe où, fuir ce bruit maudit et cette agitation soudaine dont il ne comprenait pas le pourquoi. Aller se faire trouer la peau pour une cause étrangère à la sienne ? Depuis qu'ils avaient tué Jaurès, il sentait confusément qu'un grand malheur couvait sous les cendres des états.
Catherine portait la vie en triomphe, il allait l'épouser dans un mois. Fallait-il que le sort soit cruel et injuste la vie pour faucher son bonheur tout juste éclos ? Et qu'allait devenir leur enfant si son père ne revenait pas ?
En un an, que de sang et de larmes ont dévasté les campagnes et les villes. Que de filles perdues, que de gars disparus qui ne reviendront pas jj!
24 juin 2017 : Les petits enfants de Petit Jean sont réunis autour d'une guitoune et font la fiesta. La musique électronique a remplacé l’harmonica. La botte de paille est là qui attend près du pont. Pour rire, ils sauteront le pas avant une dernière danse où blottis contre leur partenaire, ils lui susurreront des mots doux à oreille, sans trop savoir pourquoi. Aujourd'hui des feux d'artifice pour des vies d'artifice remplacent les feux de joie. Les amours incertaines se suppléent aux engagements d'autrefois. La guerre menace encore et gronde en sourdine quand elle n'éclate pas. Plaise aux peuples de transmettre les messages d'amour, de combattre la haine pour que cesse les horreurs commises par des brutes serviles aux intérêts des puissances d'argent aux commandes des états.
* chanteau : morceau coupé à un grand pain. (tailler la soupe au chanteau : couper de large tranches de pain pour tremper la soupe)
* narse : marécage, mauvais pré fait de tourbe et de joncs.
* Fenière : endroit où on stockait le foin, généralement au dessus de l'étable, une trappe permettait de descendre le fourrage jusque dans les crèches des animaux sans risque de se briser les reins.
Tous ces mots sont issus d'un vocabulaire patoisant Auvergnat très parlant et qu'il convient de cultiver si on ne veut pas que le temps les efface, ce qui serait fort dommage, ma foi !
Jean, sa casquette de travers s'active à la fenière*. Encore une charrette à décharger, puis une autre à mettre à l'abri, on ne sait jamais, si l'orage arrivait ! Il faudra encore donner aux bêtes. Le père et la mère s'occuperont de la traite du soir. Vite une toilette complète au bac dans la cour, pour se dépoussièrer. Tout à l'heure, c'est Saint Jean, on fêtera l'arrivée de l'été. Il a rendez vous avec Catherine, sa bien aimée. A minuit, ensemble, ils enjamberont le feu et nous les marieront à la fin de l'été. La mère a préparé la soupe aux choux et cuit un gros morceau de lard. Ce ne sera pas de trop après cette rude journée. Il revêtira son bel habit, son chapeau de feutre et ses sabots vernis. A Catherine, il offrira une couronne d'aubépine, c'est la tradition pour les jeunes à marier dans l'année.
Depuis déjà quelques jours, avec les autres gars du pays, ils ont ramassé quantité de bois mort pour enflammer les bûches que les filles sont allé quérir auprès des métairies. Un grand feu bien nourri et c'est la prospérité assurée pour l'année si on recueille les cendres pour les éparpiller autour des champs de blé et des maisons qu'elles protègeront de la foudre et des mauvais sorts.
A minuit,ils entameront l'ultime danse et dans un cri joyeux, sauteront ensemble plusieurs fois, jusqu'à ce que le feu s'éteigne. Puis un dernier baiser clôturera cette fête que chacun poursuivra à sa manière au bras d'une cavalière en rentrant chez soi. Ce jour nouveau se lèvera sur la campagne embrumée de rosée. Il sera temps de reprendre la faucille car la besogne n'attend pas. Par l’entrebâillement de la porte, une mère attentive attendra le retour de celui ou de celle qui bientôt lui échappera.
24 juin 1915 : La Saint Jean est bien triste. Les jeunes sont partis à la guerre. Seuls autour du feu de bois, les vieillards devisent en pensant à leurs gars. Ils sont venus ici, perpétrer une tradition et recueillir les cendres. Ils les mettront sur le seuil de leur demeure sans vie. Il ne faudrait pas que le destin s'acharne ou que le sort se venge. Catherine n'est pas parmi eux. Seule, elle s'occupe de petit Jean qui est né à carnaval. Il ne connaitra jamais son papa.
L'an dernier des hommes sont venu le chercher. Il était aux champs quand le tocsin s'est mis à sonner. Il n'a pas compris le Jean. Lui qui aimait tant la vie, il chantait en coupant les épis. Ses amis étaient là près de lui, occupés à faucher les blés. Quand il les vit courir, laissant là les faucilles près des javelles que les filles liaient, il n'eut qu'une envie : partir, se cacher n'importe où, fuir ce bruit maudit et cette agitation soudaine dont il ne comprenait pas le pourquoi. Aller se faire trouer la peau pour une cause étrangère à la sienne ? Depuis qu'ils avaient tué Jaurès, il sentait confusément qu'un grand malheur couvait sous les cendres des états.
Catherine portait la vie en triomphe, il allait l'épouser dans un mois. Fallait-il que le sort soit cruel et injuste la vie pour faucher son bonheur tout juste éclos ? Et qu'allait devenir leur enfant si son père ne revenait pas ?
En un an, que de sang et de larmes ont dévasté les campagnes et les villes. Que de filles perdues, que de gars disparus qui ne reviendront pas jj!
24 juin 2017 : Les petits enfants de Petit Jean sont réunis autour d'une guitoune et font la fiesta. La musique électronique a remplacé l’harmonica. La botte de paille est là qui attend près du pont. Pour rire, ils sauteront le pas avant une dernière danse où blottis contre leur partenaire, ils lui susurreront des mots doux à oreille, sans trop savoir pourquoi. Aujourd'hui des feux d'artifice pour des vies d'artifice remplacent les feux de joie. Les amours incertaines se suppléent aux engagements d'autrefois. La guerre menace encore et gronde en sourdine quand elle n'éclate pas. Plaise aux peuples de transmettre les messages d'amour, de combattre la haine pour que cesse les horreurs commises par des brutes serviles aux intérêts des puissances d'argent aux commandes des états.
* chanteau : morceau coupé à un grand pain. (tailler la soupe au chanteau : couper de large tranches de pain pour tremper la soupe)
* narse : marécage, mauvais pré fait de tourbe et de joncs.
* Fenière : endroit où on stockait le foin, généralement au dessus de l'étable, une trappe permettait de descendre le fourrage jusque dans les crèches des animaux sans risque de se briser les reins.
Tous ces mots sont issus d'un vocabulaire patoisant Auvergnat très parlant et qu'il convient de cultiver si on ne veut pas que le temps les efface, ce qui serait fort dommage, ma foi !
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: A - Saint Jean d'été.
J'aime beaucoup ton texte. Le temps passe avec ses aléas et ses traditions qui perdurent, mais elles ont perdu leur essence première et il est important d'avoir des personnes comme toi qui nous la rappelle.
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
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