A, Papé Louis
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Amanda.
Kz
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A, Papé Louis
"Quand il est mort le poète"... elle était là, assise sur la scène, concentrée, attendant la reprise de la répétition. Pourtant, cette chanson revenait en boucle dans sa tête. Depuis la mort de Papé Louis très exactement. C'était le week-end dernier, il y a quatre jours. Elle se rappelait très bien quand, petite fille, il l'avait emmené à l'Olympia pour assister aux répétitions de l'oncle Gilbert - c'est comme çà qu'on avait fini par l'appeler à force de le voir. Elle revoyait aussi le spectacle proprement dit et cette façon unique qu'avait son oncle de faire chanter le public sur les reprises du texte.
Les paroles, la mélodie, les reprises du public, c'était pour elle, la poésie absolue. Ce miracle très surprenant de phrases si simples qu'elles en frisaient l'ordinaire, cette audace d'une répétition lancinante qui la prenait aux tripes, la communion avec le public, tout cela, elle ne se l'expliquait tout simplement pas. Elle restait étonnée, simplement étonnée.
Elle adorait son grand-père qui pourtant était impressionnant. Surtout dans son uniforme de préfet ! Un jour qu'ils marchaient tous les deux le long de la Seine, elle s'ouvrit à lui de ce questionnement :
- Papé, comment elle t'es venue cette chanson ?
- Je ne peux pas vraiment te dire, ma petite chérie. C'est une coïncidence, une rencontre. J'étais passé voir Gilbert pour des histoires de droit d'auteurs. Fanny nous avait ouvert la porte et alors que j'enlevais mon manteau, Gilbert jouait cette ritournelle au piano. Cette mélodie m'a tout de suite touché. Sur le moment je n'ai rien dit.
Et puis nous avons parlé d'autres choses.
- Et alors ?
- Hé, bien, alors rien...
Mon grand-père garda le silence. Je restais moi aussi sans parler, je sentais bien qu'il était dans ses pensées.
Sur la Seine un bateau mouche chargé de touristes glissait sur le fleuve. Nous avons dépassé le pont Alexandre III et nous sommes assis pour goûter cette lumière de l'après-midi qui illumine si mystérieusement les ors du pont, le dôme des invalides et les bords de Seine.
Nous restions silencieux. Je profitai de sa présence et du moment toujours magique de la lumière de la fin d'après-midi sur le quartier des Invalides.
Et puis, tout à coup, il se remit à parler :
- En fait, un matin où j'étais de bonne humeur, je me suis surpris à fredonner les premières mesures de la mélodie entendue chez Gilbert. A cette époque, j'étais encore marqué par la disparition d'Aragon, mort deux ans plus tôt et c'est là que les mots se sont mis en place : "Quand il est mort le poète....". J'ai eu l'évidence que je tenais le début de quelque chose. A ce moment là, je ne suis pas allé plus loin. J'ai juste noté la phrase dans mon carnet et puis je suis rentré.
C'est le dimanche suivant que j'ai commencé à travailler. Comme je n'avais pas mémorisé la suite de la mélodie, j'ai mis des phrases courtes. Je n'étais pas particulièrement fier de mon texte mais je sentais le début tellement porteur que je me décidai d'en parler à Gilbert. Ce que je fis.
Ensuite, nous avons simplement travaillé et la chanson est née.
Dès le départ Gilbert avait senti qu'il pouvait y avoir une possibilité de reprise par le public. Nous avons fait des essais et cela s'est confirmé. Pour le reste c'est toujours un peu une question de chance, est-ce que le public va suivre ? Personne ne le sait. Mais c'est vrai que, là, cela a marché.
Tu vois, ma chérie, pour la poésie, il ne faut pas se précipiter, il faut savoir attendre. J'ai de la chance par rapport à toi. Pour la danse, il faut s'entraîner, travailler et puis travailler encore. Et c'est au moment où on ne s'y attend pas que la magie opère. Le danseur a travaillé, il a maîtrisé son geste et du coup, il peut lâcher prise et recevoir la grâce de la poésie de son mouvement. Pour nous autres, les poètes, je pense que c'est l'inverse. Il faut savoir être en creux, recevoir et ensuite, seulement travailler.
Elle était encore dans ses pensées, quand elle entendit le régisseur taper dans ses mains et crier :
- Allez, mesdemoiselles, on reprend.
La scène résonna alors de la course du corps de ballet qui se mettait en place. Le silence se fit et les premières mesures du deuxième acte se firent entendre qui, comme par magie libérèrent son esprit. C'était maintenant le tour de Tchaïkovski.
Les paroles, la mélodie, les reprises du public, c'était pour elle, la poésie absolue. Ce miracle très surprenant de phrases si simples qu'elles en frisaient l'ordinaire, cette audace d'une répétition lancinante qui la prenait aux tripes, la communion avec le public, tout cela, elle ne se l'expliquait tout simplement pas. Elle restait étonnée, simplement étonnée.
Elle adorait son grand-père qui pourtant était impressionnant. Surtout dans son uniforme de préfet ! Un jour qu'ils marchaient tous les deux le long de la Seine, elle s'ouvrit à lui de ce questionnement :
- Papé, comment elle t'es venue cette chanson ?
- Je ne peux pas vraiment te dire, ma petite chérie. C'est une coïncidence, une rencontre. J'étais passé voir Gilbert pour des histoires de droit d'auteurs. Fanny nous avait ouvert la porte et alors que j'enlevais mon manteau, Gilbert jouait cette ritournelle au piano. Cette mélodie m'a tout de suite touché. Sur le moment je n'ai rien dit.
Et puis nous avons parlé d'autres choses.
- Et alors ?
- Hé, bien, alors rien...
Mon grand-père garda le silence. Je restais moi aussi sans parler, je sentais bien qu'il était dans ses pensées.
Sur la Seine un bateau mouche chargé de touristes glissait sur le fleuve. Nous avons dépassé le pont Alexandre III et nous sommes assis pour goûter cette lumière de l'après-midi qui illumine si mystérieusement les ors du pont, le dôme des invalides et les bords de Seine.
Nous restions silencieux. Je profitai de sa présence et du moment toujours magique de la lumière de la fin d'après-midi sur le quartier des Invalides.
Et puis, tout à coup, il se remit à parler :
- En fait, un matin où j'étais de bonne humeur, je me suis surpris à fredonner les premières mesures de la mélodie entendue chez Gilbert. A cette époque, j'étais encore marqué par la disparition d'Aragon, mort deux ans plus tôt et c'est là que les mots se sont mis en place : "Quand il est mort le poète....". J'ai eu l'évidence que je tenais le début de quelque chose. A ce moment là, je ne suis pas allé plus loin. J'ai juste noté la phrase dans mon carnet et puis je suis rentré.
C'est le dimanche suivant que j'ai commencé à travailler. Comme je n'avais pas mémorisé la suite de la mélodie, j'ai mis des phrases courtes. Je n'étais pas particulièrement fier de mon texte mais je sentais le début tellement porteur que je me décidai d'en parler à Gilbert. Ce que je fis.
Ensuite, nous avons simplement travaillé et la chanson est née.
Dès le départ Gilbert avait senti qu'il pouvait y avoir une possibilité de reprise par le public. Nous avons fait des essais et cela s'est confirmé. Pour le reste c'est toujours un peu une question de chance, est-ce que le public va suivre ? Personne ne le sait. Mais c'est vrai que, là, cela a marché.
Tu vois, ma chérie, pour la poésie, il ne faut pas se précipiter, il faut savoir attendre. J'ai de la chance par rapport à toi. Pour la danse, il faut s'entraîner, travailler et puis travailler encore. Et c'est au moment où on ne s'y attend pas que la magie opère. Le danseur a travaillé, il a maîtrisé son geste et du coup, il peut lâcher prise et recevoir la grâce de la poésie de son mouvement. Pour nous autres, les poètes, je pense que c'est l'inverse. Il faut savoir être en creux, recevoir et ensuite, seulement travailler.
Elle était encore dans ses pensées, quand elle entendit le régisseur taper dans ses mains et crier :
- Allez, mesdemoiselles, on reprend.
La scène résonna alors de la course du corps de ballet qui se mettait en place. Le silence se fit et les premières mesures du deuxième acte se firent entendre qui, comme par magie libérèrent son esprit. C'était maintenant le tour de Tchaïkovski.
Dernière édition par Kz le Jeu 3 Mai - 18:19, édité 2 fois
Kz- Kaléïd'habitué
- Humeur : bonne
Re: A, Papé Louis
Je retrouve avec délectation ton écriture !
Tu décris magistralement le parcours du poète et le parcours de la danseuse.
Tu racontes avec précision le spectacle et les émotions ressenties.
Ce miracle très surprenant de phrases si simples qu'elles en frisaient l'ordinaire, cette audace d'une répétition lancinante qui la prenait aux tripes, la communion avec le public,
pour la poésie, il ne faut pas se précipiter, il faut savoir attendre.
Tu décris magistralement le parcours du poète et le parcours de la danseuse.
Tu racontes avec précision le spectacle et les émotions ressenties.
Ce miracle très surprenant de phrases si simples qu'elles en frisaient l'ordinaire, cette audace d'une répétition lancinante qui la prenait aux tripes, la communion avec le public,
pour la poésie, il ne faut pas se précipiter, il faut savoir attendre.
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: A, Papé Louis
C'est un plaisir de te retrouver avec le style qui te caractérise.
Comme Amanda j'ai aimé le parallélisme en contraste entre l'art de la danse et l'art de la poésie…
Comme Amanda j'ai aimé le parallélisme en contraste entre l'art de la danse et l'art de la poésie…
AlainX- Kaléïd'habitué
- Humeur : stable
Re: A, Papé Louis
J'ai descendu la Seine avec toi, embarquant mes souvenirs de " La vie parisienne " Merci pour ce bon moment
Ataraxie- Kaléïd'habitué
- Humeur : changeante
Re: A, Papé Louis
J'ai beaucoup aimé : c'est chantant c'est dansant...
Charlotte- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: A, Papé Louis
Bravo KZ, tu as su concilier tous les aspects de la consigne (même si ce n'était pas une obligation)
Nous avons la danseuse qui attend la reprise de la répétition, Gilbert Bécaud et son piano, les références à la chanson "Quand il est mort le poète" (je vois que tu la connais bien) et nous avons aussi le poète en la personne d'Aragon!
Que demander de plus? Un lien entre tous ça avec le papé qui a écrit la chanson!
Bravo, si j'étais toi, j'éditerai mon texte pour le "justifier" afin qu'il prenne toute sa place dans l'éditeur et qu'il soit aussi beau à voir qu'à lire
Nous avons la danseuse qui attend la reprise de la répétition, Gilbert Bécaud et son piano, les références à la chanson "Quand il est mort le poète" (je vois que tu la connais bien) et nous avons aussi le poète en la personne d'Aragon!
Que demander de plus? Un lien entre tous ça avec le papé qui a écrit la chanson!
Bravo, si j'étais toi, j'éditerai mon texte pour le "justifier" afin qu'il prenne toute sa place dans l'éditeur et qu'il soit aussi beau à voir qu'à lire
Cassy- Admin
- Humeur : Déterminée
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