A. Le Destin d’un CRS
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Zéphyrine
Coumarine
Amanda.
AlainX
8 participants
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A. Le Destin d’un CRS
Ce jour là, mon mari m’avait offert du muguet. D'habitude, pour le 1er mai, il n'agissait pas de la sorte. Faut dire que la plupart du temps il était de service. Mais pas cette année-là, exceptionnellement il avait congé. C'est deux jours plus tard que tout a commencé. Quand ils ont envahi la Sorbonne.
— Encore un truc de ces cons d’étudiants, s'était-il exclamé avant de rejoindre ses collègues.
Dès le 6 mai on vit apparaître le slogan CRS = SS. Ça n'a vraiment pas plu au gars de la CRS-5, que commandait mon mari. Cela lui a encore moins plu lorsqu'il apprit que notre fils Jean-Marie, en première année de droit, participait aux manifs. Ils se sont engueulés à la maison, et j'ai même cru, à un moment, que mon mari en viendrait aux mains. Ce soir-là, je crois que je n'avais jamais gueulé aussi fort de ma vie. Ça les a tellement surpris, qu'ils se sont calmés. Mes cris ne se sont pas calmés pour autant. Une véritable crise hystérique. Aujourd'hui j'y repense avec un sourire en forme de rictus, car mes deux hommes se sont réconciliés en me consolant. Ma crise se termina dans des profonds sanglots irrépressibles.
Comment oublier le coup de sonnette de ce 11 mai 1968, accompagné de tambourinement dans la porte, qui me firent accourir affolée, craignant le pire. Comment oublier les propos du commandant des pompiers, quand dans son jargon officiel, il parla de « blessé au front, d'enfoncement de la boîte crânienne, d'hospitalisation, de séquelles qui pourraient être graves » et d'autres termes de ce genre. Mon mari, Commandant de la CRS-5 avait été blessé, recevant en pleine face un pavé lancé par un étudiant manifestant. Ses jours étaient peut-être en danger. Et mon fils qui n'était pas rentré. Et la radio qui venait de parler d'affrontements terribles dans la nuit du 10 au 11 mai entre étudiants et forces de l'ordre.
Cela devait arriver : Quelle allure ils avaient tous ces CRS, avec leurs blousons de cuir qui ne les protégeaient de rien, leurs casques sans visière, de banales lunettes de motos pour protéger les yeux, mais rien pour être à l'abri de jets de gaz ou d'acide. Et cette obligation ridicule de porter cravate ! Et pour se défendre, une simple petite matraque ! Ah si ! : un pistolet Mac 50. Mais ils n'allaient quand même pas tirer sur des étudiants qui pourraient être leurs enfants !
Les étudiants se protégeaient mieux qu’eux ! De plus ils utilisaient des pavés comme projectiles qui venaient de fendre en deux la tête de mon mari !
D'accord, mon époux fut bien soigné, il eut droit à des remerciements chaleureux de sa hiérarchie. Même le Ministre se manifesta. Et puis… plus rien…
C'est au cours de l'été 1969 que mon mari mourut dans un grave accident de voiture, sur une route toute droite, il finit contre un arbre. Ne croyez pas que l'enquête démontrera qu'il roulait trop vite, ou mal, les autres automobilistes témoins de l'accident déclarèrent que la voiture alla directement se planter dans l'arbre. Certains eurent l'outrecuidance de faire l'hypothèse qu'il se serait suicidé. En réalité il eut un malaise au volant. IL s'agissait des suites directes des séquelles irrémédiables qu'il gardera du pavé qu'il avait pris dans la gueule.
J'ai fait des pieds et des mains, je suis intervenue auprès du préfet de police Grimaud pour obtenir la reconnaissance des origines de l'accident. Rien à faire. Il me faudra attendre 15 ans pour enfin obtenir cette légitime reconnaissance de la part de l'État, grâce à Henri Emmanuelli secrétaire d'État. Je n’ai jamais reçu qu’une pension minime.
Voilà comment l'État montre sa reconnaissance à ses serviteurs qui défendent l'ordre public.
En ce 1er mai 1998, 30 ans après tous ces événements tragiques, je suis allé me promener en forêt, repensant à ces années tragiques et celles des galères qui ont suivi. Mon fils, Jean-Marc, ne s'est jamais remis de tout cela. J’irai le voir très bientôt dans son hôpital psychiatrique.
Je me suis dit : la vie doit continuer, quoi qu'il arrive, la vie est plus forte que tout, plus forte que moi-même, et elle me soutient. Je la voyais surgir devant moi. L'Espérance ferait un jour ma joie. En ce mois de mai, une végétation formidable crevait ce sol de cailloux.
—————————
Ce texte est librement inspiré et adapté à partir de l'événement véritable concernant le Commandant Journiac de la CRS-5, qui eut un enfoncement de la boîte crânienne par un pavé lancé par un manifestant. Il décéda un an plus tard dans un accident de voiture. Sa veuve mena pendant 15 ans le combat brièvement évoqué dans ce texte.
Dernière édition par AlainX le Mar 29 Mai - 12:55, édité 2 fois
AlainX- Kaléïd'habitué
- Humeur : stable
Re: A. Le Destin d’un CRS
Merci AlainX pour ce témoignage !
Une histoire poignante qui démolit toute une famille en finale.
Mais avec une chute positive que je salue bien bas
Une histoire poignante qui démolit toute une famille en finale.
Mais avec une chute positive que je salue bien bas
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: A. Le Destin d’un CRS
Ton texte est remarquable: tu démarres d'un fait réel pour partir dans l'esprit et le coeur d'une femme. Pas si facile d'écrire dans "l'autre genre"
C'est un événement dramatique que tu nous racontes là. Oui! tu es un conteur né!
Bravo!!
C'est un événement dramatique que tu nous racontes là. Oui! tu es un conteur né!
Bravo!!
Coumarine- Kaléïd'habitué
- Humeur : concentrée
Re: A. Le Destin d’un CRS
Ce récit est poignant et tellement bien écrit!
Zéphyrine- Modératrice écriture libre
- Humeur : Méditerranéenne
Re: A. Le Destin d’un CRS
Etre femme de policier est bien difficile et doit engendrer beaucoup d'anxiété et de peurs? Etre femme policier ( y en avait-il en mai 68 ? J'en doute. Les féministes ont du le revendiquer sans doute à cette époque. Etre femme policier a coûté la vie à deux femmes aujourd'hui en Belgique. Je reste sans mot devant ce massacre d'un fou à lier d'un homme qui a perdu toute humanité.Je ne trouve aucune circonstances atténuantes....Je me pose plein de questions sans trouver de réponses.On a toujours envie de penser: c'est la faute à.... la Justice par exemple ou à la Société qui...
C'est la Faute à cet homme un point c'est tout . C'est lui qui a tué.
C'est la Faute à cet homme un point c'est tout . C'est lui qui a tué.
Charlotte- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: A. Le Destin d’un CRS
Comme tu as raison Charlotte ! Moi aussi je suis horrifiée !
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: A. Le Destin d’un CRS
D'un fait réel tu as fait un texte dramatique et poignant.
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: A. Le Destin d’un CRS
Que rajouter à ce beau texte poignant?
Même romancée, c’est un bel hommage.
Bravo.
Même romancée, c’est un bel hommage.
Bravo.
trainmusical- Occupe le terrain
- Humeur : à vous de juger :-)
Re: A. Le Destin d’un CRS
quelle tristesse! quelle profonde tristesse... je n'ai jamais pensé qu'il y avait de quoi s'enorgueillir d'avoir "fait mai 68"
Adrienne- Kaléïd'habitué
- Humeur : brouillonne
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