Quand nous étions obligés de prendre notre temps
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catsoniou
madeleinedeproust
Amanda.
Tornade
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Quand nous étions obligés de prendre notre temps
Bien que le soleil illumine cet été dont le temps s’égrène au rythme des cigales, la matinée semble ne pas finir.
Je guette les tournants de la route que la maison domine dans l’espoir d’apercevoir l’estafette jaune les arpenter afin de déposer la missive tant attendue dans ma boite aux lettres.
J’imagine aisément le facteur ayant bien chaud et ne pouvant refuser la goutte que lui proposent les anciens, heureux d’avoir reçu le mandat du jour.
Cela fait dix jours que je lui ai écrit. Ma lettre est-elle seulement bien arrivée ? A-t-elle trouvé son destinataire à domicile ou mon courrier se désespère-t-il encore au fond de la boite métallique, passage obligé de nos échanges littéraires ?
Vais-je recevoir une réponse déposée sur un papier savamment choisi ?
Quand mon impatience se traduit par la satisfaction de tenir la missive entre mes doigts, je déchire doucement l’enveloppe pour ne pas trop l’abimer tout en m’affalant nonchalamment.
Je me délecte alors des mots dans le confort et la douceur du jour. Lire et relire.
Puis à mon tour je prends une belle feuille sur laquelle je vais déposer les mots doucement pensés, choisis et réfléchis.
Cette réponse s’étale parfois sur plusieurs jours, le temps de vivre le plaisir de l’écrire avec ma plus belle plume.
De l’illustrer parfois.
Je la glisse dans une belle enveloppe sur laquelle je trace consciencieusement les coordonnées du destinataire, puis j’appose le timbre que je lèche avec un air de dégout.
Parfois je glisse quelques photos mais c’est rare.
Les photos sont de merveilleux souvenirs mais qui se laissent désirés.
Bien choisir le sujet, bien cadrer la photo, peu de droit à l’erreur, pas d’aperçu préalable possible, seul le viseur nous dit tout. Une fois toutes les photos de la pellicule prises, ce qui prend parfois un temps certain, vient le temps de l’attente du développement avec les surprises que celui-ci révèle. Au mieux seules quelques photos sont ratées, au pire la pellicule a été mal enclenchée et le résultat est alors cause d’une déception à la hauteur de l’espoir exacerbée par l’attente.
Une fois ma lettre postée la vie continue son cours, mais là l’espoir d’une réponse redonnera un léger piment aux prochains passages du facteur.
La vie va de plus en plus vite. Dans trente ans où en serons-nous ?
Saurons-nous encore ce que sont ces plaisirs simples et accessibles :
Plaisir du temps passé à déposer des mots sur du papier que l’on peut toucher, que l’on peut sentir, garder, bruler ou déchirer.
Plaisir du temps passé à attendre et découvrir les mots des autres déposés sur du papier.
Plaisir de laisser le temps au temps.
Plaisir de l’attente qui parfois exacerbe le plaisir.
Prendrons-nous le temps de vivre ?
Je guette les tournants de la route que la maison domine dans l’espoir d’apercevoir l’estafette jaune les arpenter afin de déposer la missive tant attendue dans ma boite aux lettres.
J’imagine aisément le facteur ayant bien chaud et ne pouvant refuser la goutte que lui proposent les anciens, heureux d’avoir reçu le mandat du jour.
Cela fait dix jours que je lui ai écrit. Ma lettre est-elle seulement bien arrivée ? A-t-elle trouvé son destinataire à domicile ou mon courrier se désespère-t-il encore au fond de la boite métallique, passage obligé de nos échanges littéraires ?
Vais-je recevoir une réponse déposée sur un papier savamment choisi ?
Quand mon impatience se traduit par la satisfaction de tenir la missive entre mes doigts, je déchire doucement l’enveloppe pour ne pas trop l’abimer tout en m’affalant nonchalamment.
Je me délecte alors des mots dans le confort et la douceur du jour. Lire et relire.
Puis à mon tour je prends une belle feuille sur laquelle je vais déposer les mots doucement pensés, choisis et réfléchis.
Cette réponse s’étale parfois sur plusieurs jours, le temps de vivre le plaisir de l’écrire avec ma plus belle plume.
De l’illustrer parfois.
Je la glisse dans une belle enveloppe sur laquelle je trace consciencieusement les coordonnées du destinataire, puis j’appose le timbre que je lèche avec un air de dégout.
Parfois je glisse quelques photos mais c’est rare.
Les photos sont de merveilleux souvenirs mais qui se laissent désirés.
Bien choisir le sujet, bien cadrer la photo, peu de droit à l’erreur, pas d’aperçu préalable possible, seul le viseur nous dit tout. Une fois toutes les photos de la pellicule prises, ce qui prend parfois un temps certain, vient le temps de l’attente du développement avec les surprises que celui-ci révèle. Au mieux seules quelques photos sont ratées, au pire la pellicule a été mal enclenchée et le résultat est alors cause d’une déception à la hauteur de l’espoir exacerbée par l’attente.
Une fois ma lettre postée la vie continue son cours, mais là l’espoir d’une réponse redonnera un léger piment aux prochains passages du facteur.
La vie va de plus en plus vite. Dans trente ans où en serons-nous ?
Saurons-nous encore ce que sont ces plaisirs simples et accessibles :
Plaisir du temps passé à déposer des mots sur du papier que l’on peut toucher, que l’on peut sentir, garder, bruler ou déchirer.
Plaisir du temps passé à attendre et découvrir les mots des autres déposés sur du papier.
Plaisir de laisser le temps au temps.
Plaisir de l’attente qui parfois exacerbe le plaisir.
Prendrons-nous le temps de vivre ?
Dernière édition par Tornade le Mer 4 Juin - 19:07, édité 1 fois
Tornade- Kaléïd'habitué
- Humeur : En phase ascendante
Re: Quand nous étions obligés de prendre notre temps
Ah, oui, nous le prendrons, nous le devons !
Comme je reconnais dans tes propos tout le plaisir que j'avais, comme toi à entretenir des correspondances avec des personnes, parfois parties très loin.
Comme tu décris bien le plaisir de l'attente, le plaisir de toucher le papier, de le déchirer lentement, de lire en se détendant....
Maintenant nous ne devons pas nier non plus, le plaisir de notre partage actuel, ici, de te lire plus vite et de te répondre dans l'immédiat.
L'attente était un plaisir certes mais parfois trop longue et trop pénible. Je suis donc aussi reconnaissante à la nouvelle technologie des échanges qu'elle permet, sans vouloir tomber dans l'excès !
Comme je reconnais dans tes propos tout le plaisir que j'avais, comme toi à entretenir des correspondances avec des personnes, parfois parties très loin.
Comme tu décris bien le plaisir de l'attente, le plaisir de toucher le papier, de le déchirer lentement, de lire en se détendant....
Maintenant nous ne devons pas nier non plus, le plaisir de notre partage actuel, ici, de te lire plus vite et de te répondre dans l'immédiat.
L'attente était un plaisir certes mais parfois trop longue et trop pénible. Je suis donc aussi reconnaissante à la nouvelle technologie des échanges qu'elle permet, sans vouloir tomber dans l'excès !
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: Quand nous étions obligés de prendre notre temps
Nous vivons dans une époque qui a oublié ce que c'était que d'attendre et à quel point ça pouvait décupler ensuite le plaisir de recevoir ce qu'on a attendu si longtemps.
C'est un très beau texte Tornade.
C'est un très beau texte Tornade.
madeleinedeproust- Kaléïd'habitué
- Humeur : littéraire
Re: Quand nous étions obligés de prendre notre temps
Près de trente ans porteur de missives, dont la plus grande partie du temps avant l'invention des messageries électroniques*, l'importance de "la lettre" nous était inculquée dès l'arrivée dans les services : deux semaines de formation rue du Louvre à Paris...
Par la suite, on vérifiait cette importance parce qu'une bonne partie des objets triés et distribués était des enveloppes couvertes d'écriture manuscrite, donc émanant d'une personne qui s'adressait à une autre en y retraçant tel ou tel évènement, adressant félicitations ou condoléances, évoquant des vacances photos à l'appui. Bref, dans les liasses de lettres triées et distribuées, il y avait des tranches de vie.. Et en fin et début d'année quand les cartes de voeux inondaient les Bureaux de Poste, c'était la preuve vivante des relations plus ou moins suivies entre les familles.
Anecdote: après le tri du matin, il y avait l'appel : les nom et prénom figurant sur chaque lettre à l'adresse insuffisante était appelé à haute voix et la plupart du temps une voix répondait, précisant le lieu dit, la rue, et très peu de lettres retournait à l'expéditeur ou au centre de Libourne, habilité à ouvrir ces lettres pour y découvrir le nom de l'expéditeur. ( C'est aussi là qu'atterrissent les lettres au Père Noël) Une lettre qui n'était pas distribuable était "tuée" ...
Bref, il y a trente ans, c'était la belle époque.
Et, au nom des "hommes de lettres", je remercie Tornade pour la valorisation du rôle de la lettre, son contenu et son cheminement...
* La messagerie électronique est un moyen d'échange épistolaire pratique, rapide, gratuit - ce forum n'en est-il pas un exemple indéniable ? - Mais il m'apparait que bien peu de "contacts" répondent aux messages envoyés, et c'est dommage ...
Par la suite, on vérifiait cette importance parce qu'une bonne partie des objets triés et distribués était des enveloppes couvertes d'écriture manuscrite, donc émanant d'une personne qui s'adressait à une autre en y retraçant tel ou tel évènement, adressant félicitations ou condoléances, évoquant des vacances photos à l'appui. Bref, dans les liasses de lettres triées et distribuées, il y avait des tranches de vie.. Et en fin et début d'année quand les cartes de voeux inondaient les Bureaux de Poste, c'était la preuve vivante des relations plus ou moins suivies entre les familles.
Anecdote: après le tri du matin, il y avait l'appel : les nom et prénom figurant sur chaque lettre à l'adresse insuffisante était appelé à haute voix et la plupart du temps une voix répondait, précisant le lieu dit, la rue, et très peu de lettres retournait à l'expéditeur ou au centre de Libourne, habilité à ouvrir ces lettres pour y découvrir le nom de l'expéditeur. ( C'est aussi là qu'atterrissent les lettres au Père Noël) Une lettre qui n'était pas distribuable était "tuée" ...
Bref, il y a trente ans, c'était la belle époque.
Et, au nom des "hommes de lettres", je remercie Tornade pour la valorisation du rôle de la lettre, son contenu et son cheminement...
* La messagerie électronique est un moyen d'échange épistolaire pratique, rapide, gratuit - ce forum n'en est-il pas un exemple indéniable ? - Mais il m'apparait que bien peu de "contacts" répondent aux messages envoyés, et c'est dommage ...
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Re: Quand nous étions obligés de prendre notre temps
J'ai beaucoup aimé ton texte. Je m'y suis retrouvée attendant avec impatience les lettres de mon amoureux. En Afrique c'était une de mes plus grandes joies ou déceptions . Il fallait aller chercher le courrier à 20 kilomètres et ce n'était qu'une fois par semaine . Parfois je recevais plusieurs lettres en même temps ( avec au moins 8 jours de décalage par rapport à la date de la postation ( cela se dit?)
parfois pas une seule de l'aimé et alors c'était le cafard garanti et le mal du pays.
parfois pas une seule de l'aimé et alors c'était le cafard garanti et le mal du pays.
Charlotte- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: Quand nous étions obligés de prendre notre temps
J'aime ton texte Tornade, je retrouve en te lisant l'émotion que j'éprouvais lorsque je recevais une lettre, et le plaisir que j'avais à écrire une réponse (sur brouillon d'abord, pour ne pas raturer) . C'était tout un cérémonial, écrire, puis glisser la lettre dans l'enveloppe, s'appliquer à bien écrire l'adresse, aller directement à la poste.
Pffffffffffff! C'était quand même chouette cette époque!
Pffffffffffff! C'était quand même chouette cette époque!
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: Quand nous étions obligés de prendre notre temps
Tu as tout dit dans le titre de ton texte Tornade. Nous prenions par obligation le temps de faire, d'attendre. Le courrier occupait une grande place dans nos vies avant tous les moyens modernes de communication. Mais jamais, le téléphone, internet... ne remplaceront le plaisir de la lettre que l'on attend, que l'on lit et relit, que l'on garde. Que l'on écrit aussi avec des mots choisis, chargés d'amour, d'amitié ou d'affection familiale.
J'ai beaucoup aimé ton texte.
J'ai beaucoup aimé ton texte.
Invité- Invité
Re: Quand nous étions obligés de prendre notre temps
A l’époque de la communication instantanée, tu exprimes bien la nostalgie d’un temps où la lenteur avait sa place, ses angoisses mais aussi ses délices. Je remarque que dans ce jeu, il est souvent question des lettres et de la Poste. Il est vrai qu’aujourd’hui, la boite aux lettres ne sert plus guère qu’à la pub, aux relevés bancaires et aux PV. Une évolution qui comme beaucoup s’est faite sans qu’on s’en aperçoive, jusqu’au jour où elle crève les yeux.
Dans ton texte, j’ai noté aussi un appel du pied (ironique ?) aux appareils photo numériques.
Dans ton texte, j’ai noté aussi un appel du pied (ironique ?) aux appareils photo numériques.
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: Quand nous étions obligés de prendre notre temps
Je vais peut-être vous décevoir, mais je ne garde un souvenir lumineux des courriers à l'époque. Comme je l'ai déjà exprimé ici et j'y fais également indirectement allusion dans mon texte, j'aurais préféré que ma lettre se lise de suite et si nécessaire une réponse rapide. Donc ce passage-là, je m'y retrouve tout à fait:
Idem pour l'appareil de photo.
En tous les cas un superbe texte, Tornade, et je vois que nous sommes plusieurs à avoir pensé au facteur ne pouvant refuser la goutte
Oui je sais je suis un être impatient parfoisTornade a écrit:Ma lettre est-elle seulement bien arrivée ? A-t-elle trouvé son destinataire à domicile ou mon courrier se désespère-t-il encore au fond de la boite métallique... ?
Idem pour l'appareil de photo.
En tous les cas un superbe texte, Tornade, et je vois que nous sommes plusieurs à avoir pensé au facteur ne pouvant refuser la goutte
trainmusical- Occupe le terrain
- Humeur : à vous de juger :-)
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