A. Cher André
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A. Cher André
100 ans que tu es mort le 12 avril 1918 à quelques mois de l’armistice.
100 ans. Une peccadille à l’échelle terrestre mais 100 ans qui ont vu le monde bouger d’une manière que tu n’aurais même pas pu imaginer.
100 ans et les générations qui passent. La guerre de 14-18 semble si lointaine.
100 ans et cependant une volonté nationale et internationale de se souvenir. Des commémorations un peu partout, des élèves de troisième qui se plongent dans l’histoire locale. Je découvre grâce à eux que l’usine chimique près de chez moi a fabriqué le fameux gaz moutarde !
Une guerre absurde, interminable qui a impacté ta famille et toutes les familles de façon indélébile. Qui n’a pas eu un aïeul qui a fait la grande guerre !
Toi André, tu es mon grand-oncle. Je ne t’ai pas connu mais j’ai toujours senti ton ombre planer un peu partout dans la grande maison familiale.
Une selle de cheval dans l’écurie. « La selle d’André. Il aimait les chevaux »
Une photo de toi en uniforme dans la grande salle à manger
Une plaque commémorative sur le tombeau familial
Je ne sais comment mais j’ai toujours su que Mé, ta mère, avait gardé toutes tes lettres du front dans un secrétaire. Quand ta petite sœur Totote est morte, il a fallu vider la grande maison familiale. J’ai trouvé tes lettres. Je les ai prises sans rien dire.
Revenue à la maison, je me suis immergée trois soirs durant dans tes lettres piochant au hasard, lisant avidement dans le silence de la maison. Une écriture facile à lire. Des mots inconnus : « servants, pièces, échelon, conducteurs, observatoire… ». Les dates et les lieux se mélangent. Peu importe, ne pas chercher à tout comprendre, faire seulement ta connaissance. Tes lettres ne contiennent aucun élément de guerre précis, elles ne racontent que des banalités et je me sens un peu frustrée.
Je les ai triées année par année, mois par mois. J’ai entrepris de les taper sur ordinateur à raison de 2-3 lettres par jour. 2 ans de travail de retranscription ! 4 ans de lettres. Tes lettres entrecroisées avec celles d’autres personnes, elles aussi sur le front. Jean Vergnes, cousin de ta mère, infirmier militaire ; Jean-Marie Magne, domestique de la maison ou alors métayer, simple soldat pris dans la tourmente de la Somme et de l’Oise ; Emile Duthoit, réfugié belge, ayant vécu un temps aux Auzerals en 1915. Leurs lettres crues relatent sans concession la guerre et rehaussent encore plus la banalité des tiennes.
Ce travail de mémoire achevé, j’ai donné un exemplaire à chaque membre de la famille : frère, oncle, tante…Un exemplaire aussi pour les archives communales.
Puis j’ai relu toutes tes lettres à la file. Je me suis immergée avec toi dans la guerre, dans la cavalerie. Je suis devenue toi. J’ai appris à te connaitre, à lire entre les lignes, à sentir ta colère. J’ai pris la liberté de synthétiser ces quatre années de guerre dans un texte romancé intégrant un certain nombre de tes lettres. Texte paru dans l’Echo Rabastinois le journal local de la commune.
Je suis partie avec toi à la guerre, la fleur au fusil.
Les Auzerals le 02 août 1914
Chère Tante,
Je vous écris avant mon départ car je crains de ne pas vous revoir demain. Soyez tranquille ma conscience est en règle j’ai fait le nécessaire ce matin. J’emporte avec moi scapulaire et médailles. J’ai pris ces premières armes avant de prendre les autres. J’espère que Dieu me viendra en aide dans ces tristes jours. L’horizon est très sombre mais j’espère malgré tout. Ce qui me tourmente le plus c’est la douleur et la désolation de ce que je laisse. Aussi je vous prie ma chère Tante de vous consoler vous-même et de faire ce que vous pourrez pour apporter quelques consolations à la maison.
Je pars sans arrières pensées. Je crois avoir fait à peu près mon devoir jusqu’ici et je compte le faire jusqu’à la fin.
Au revoir ma chère Tante. J’espère que nous nous retrouverons tous dans des jours meilleurs.
Votre neveu
André
Je chemine à cheval avec toi dans les bois des Vosges et de la Haute Alsace
4 septembre 1914
Ma chère Marie-Antoinette
Depuis deux jours je reçois de vos nouvelles. Je pense que l’on aura trouvé le moyen de nous les faire parvenir. Hier j’ai reçu une carte de toi et une de Jane. Avant j’avais reçu une de tes lettres datée du 16 août. Je n’ai pas encore reçu celle de maman ni le mandat. Je ferais en sorte de dater mes lettres. Jusqu’ici je l’avais toujours oublié. Ces jours ci je suis très bien. Je mange confortablement et je couche dans un lit et je n’ai pas trop d’occupations. Je demande que cela dure longtemps. Mais je ne sais pas si mes désirs seront satisfaits. Nous avons eu mauvais temps au début mais maintenant la température nous est favorable. Le soleil se montre et fait disparaître le brouillard épais du matin. Les nuits sont fraîches. En somme il fait moins chaud que chez nous. L’eau est très abondante. En ce moment on fauche les prairies pour la seconde fois. Elles sont bien vertes. On attelle les bœufs avec des colliers et à des chars à quatre roues qui me paraissent très incommodes. Le pays le plus riche c’est l’Alsace. Le jardinage et les fruits y étaient très abondants : il y avait de grands champs de choux, pommes de terre, salades etc. Tout cela était remarquablement beau. En les voyant je pensais à Jean-Marie. Nous prenions tout cela pour faire la cuisine. A la fin on a été obligé de nous le défendre. Le gaspillage prenait de trop grandes proportions. Dans une marche j’ai entrevu Marcel Bréthou. Nous marchions, je n’ai pas pu lui parler. Chez les dragons il y a comme lieutenant Edouard de la Passe. Maman doit le connaître. Je n’ai pas vu Trégan. Il ne doit pas y être. Ici nous ne savons pour ainsi dire rien au sujet des opérations du nord. Quoiqu’il arrive il ne faut pas se tourmenter avant la fin. Les généraux seuls savent leur plan. On nous vend du tabac et à bon marché. Les fumeurs peuvent se satisfaire. On nous a changé notre commandant. Celui que nous avions est revenu à l’aviation. Le nouveau est aussi aimable que le premier. Il arrive du Maroc, aussi il est au courant. Je suis chargé de transmettre ses ordres au capitaine aussi je suis toujours à côté de lui. Pour transmettre ses ordres je passe où je veux, pas aux endroits dangereux, cela se comprend. Que fait Marius ? Je ne l’ai pas vu et je ne sais rien à son sujet. Je me demande s’il n’est pas aux sections de munitions.
Je te quitte Ma chère Marie-Antoinette en vous embrassant tous.
Ton frère André
Bonjour à Jean-Marie et Françoise
Le 26 novembre 1914
Chère Maman.
… Hier soir je suis descendu de la montagne. Il y a un peu de neige, une légère couche, aussi le paysage est réellement beau. Ces sapins couverts de neige et de givre sont magnifiques. Je regrette que vous ne puissez pas les voir, quoiqu’il vaut bien mieux que vous ne les voyez pas en ce moment…
André
Le 19 avril 1915
Ma chère Marie-Antoinette
Je suis très content que les broches vous aient fait plaisir. Ce sera un souvenir de la guerre. Je craignais toujours qu’elles ne vous arrivent pas. Plusieurs ont fait comme moi. Ils en ont envoyé à leur femme ou leurs soeurs. Tu me demandes si je ne m’ennuie pas dans les bois. Quelquefois on trouve le temps un peu long surtout s’il pleut ou s’il neige. Mais on trouve toujours un moyen de se distraire. Une des principales consiste dans l’aménagement des baraques. On les rend quand on peut très confortables. La dernière par exemple était faite dans de très bonnes conditions. Elle était construite avec des sapins placés les uns sur les autres et à l’intérieur on l’avait doublée avec des planches. Entre les deux cloisons nous avions mis de la paille. Aussi le froid ne pouvait pas traverser. Il y avait même le chauffage central au moyen d’un poêle placé à l’intérieur. Tu le vois, il y avait tout le confort moderne. On aménage aussi l’intérieur. On fait un plancher pour se coucher, on place des portemanteaux pour suspendre tout ce qui nous embarrasse. A l’extérieur on plante des sapins tout autour. On recouvre tout de verdure et de branches de façon à ce que les aéroplanes ne puissent pas les voir. Toutes sont baptisées. Celle des aéroplanes s’appelle Villa des oiseaux, d’autres fois nous avons habité la villa du clair de lune. En Alsace à une époque nous étions dans une baraque faite par le génie que nous avions appelée « La tempérance ». Ce nom n’était pas très bien choisi parce que on y faisait de bons dîners et surtout on a vidé beaucoup de bouteilles de liqueurs. Il est vrai que l’on avait choisi ce nom un peu par dérision après un bon dîner. Hier j’ai reçu la lettre de Jane. Je suis content que la photographie de la section soit arrivée. Ce n’est pas le lieutenant dont tu parles qui l’a faite. C’est celui qui est assis qui nous les a données. Evidemment un autre a pressé le bouton. J’ai grande envie de monter en aéroplane. Mais tu peux rassurer maman, je ne pourrai pas. On avait fait courir le bruit qu’à la rigueur on nous le permettrait mais c’est un faux bruit. Ils volent avec une telle aisance que l’on ne pense pas aux accidents qui pourraient arriver. Ils s’envolent et atterrissent sans secousses comme un oiseau. C’est intéressant de les voir malheureusement nous ne tarderons pas à partir d’ici.
Je vous embrasse tous.
André
Le 29 décembre 1915
Chère Maman
… Le fantassin qui vous avait dit que l’Hartmannswillerkopf était près du linge vous avait bien mal renseigné. C’est loin du secteur où je suis je crois qu’il y a encore toute une division entre celle de l’Hartmannswillerkopf et la mienne, aussi les deux secteurs sont loin d’être voisins. Ici tout est à peu près calme. De temps en temps on entend quelques coups de canon mais c’est tout…
André
Le 18 mars 1916
Chère Maman
J’ai reçu ces jours derniers le paquet avec les deux paires de bas et la boite de pâté. Je garderai ces bas pour moi et je donnerai les vieux dès que je descendrai à l’échelon. N’en achetez pas. Plus tard vous m’en enverrez en coton. L’hiver s’avance le printemps arrive à grand pas. Depuis quelques jours nous avons une température très douce. J’entends par moment chanter quelques petits oiseaux. Il y en a encore quelques uns ; ils sont maintenant tout à fait familiarisés avec le bruit du canon, à tel point que l’autre jour pendant le tir un est venu se poser sur l’abri de ma pièce.
Je vous quitte chère maman. Je vous embrasse tous
André
Le pâté était excellent
Je reste à tes côtés dans l’enfer de la Somme. A côté de nous les britanniques sont en grand nombre, de même que les troupes coloniales. Une véritable guerre de tranchée. L’eau est rare et croupie. On nous a donné l’ordre de ne pas y toucher et d’attendre le ravitaillement de l’arrière qui se fait 3 fois par jour à partir de l’échelon. Ce n’est pas assez. Certains d’entre nous finissent par boire de l’eau sale, les cas de dysenterie se multiplient. L’horreur est partout, nous regrettons la paix relative des Vosges. En permanence nous devons avoir avec nous un masque à gaz.
Le 11 juillet 1916
Chère Maman
J’ai appris avec grand plaisir que mes lettres arrivaient. Vous n’avez pas deviné l’endroit où je suis. Je me trouve sous à coté ou pour mieux dire avec Henry et Jacques Larquet. Pour se rencontrer ce n’est pas chose facile, loin de là. Je suis ici avec tout le groupe et toujours avec la même compagnie. Ici il y a des gens de toute catégorie mais je regrette de ne pas avoir appris l’anglais parce que cela m’aurait peut-être servi. Le temps est beau il ne pleut pas et c’est pour nous un grand avantage. L’Artillerie est en nombre aussi on fait beaucoup de tapage.
Je vous embrasse tous.
André
Au bruit nous reconnaissons les différents types d’obus tirés par les allemands. Les « marmites » de gros calibre, les Minenwerfer dévastateurs, les 77 moins dangereux, les obus à shrapnells dispersant 300 balles de plomb, et les obus à gaz qui libèrent leur contenu en chuintant. 7 août 1916, voilà deux jours que nous pilonnons sans discontinuer les lignes ennemies…lorsque nous ne tirons pas sur nos propres hommes du fait de tirs trop courts... L’armée a décidé de lancer une grande offensive. On prépare le terrain pour notre infanterie. Fusée rouge ! Nous tirons. Fusée verte ! Nous allongeons le tir. Les Allemands répondent, ils sont de plus en plus précis. Les obus tombent tout autour de nous. On se protège derrière les épais boucliers métalliques des canons puis ripostons à nouveau. Un obus éclate près de moi. Des éclats volent partout. Je te vois te plier en deux de douleur. Tu es touché mais tu te relèves et continues de donner les ordres de tir à tes servants.
Tu seras décoré de la croix de guerre. Guéri, tu retournes à la guerre, dans l’Oise. La guerre fait rage et tu ne peux assister au mariage de ta sœur Marie-Antoinette.
Le 10 Avril 1918
Chère Maman
C’est aujourd’hui le grand jour, aussi ma pensée est constamment à la maison. J’ai bien pensé à Marie-Antoinette ce matin vers onze heures. Vous comprenez combien je regrette de ne pas être au milieu de vous en ce moment. C’est pour moi un grand sacrifice. Dès que les permissions seront rétablies je partirai mais quand arrivera ce jour, je n’en sais trop rien. J’espère tout de même que c’est le dernier effort et qu’après cet été nous verrons des jours meilleurs. Ici nous sommes occupés. Je me trouve toujours au même endroit. Je pourrais être mieux mais aussi plus mal. Certaines journées sont calmes. Nous aurons encore des fatigues à supporter mais je crois malgré tout que les moments les plus durs sont passés. Ce n’est pas gai ni agréable de reculer. Je vous raconterai tout cela plus tard. J’ai reçu le paquet. Je voudrais maintenant que vous mettiez dans vos lettres des cartes pour que je puisse vous écrire. Toutes celles que j’avais sont collées aussi je suis ennuyé parce que je m’en procurerai difficilement. Je reçois toujours le journal. Je le lis mais il ne m’intéresse pas beaucoup aussi je ne tiens pas à renouveler l’abonnement. Ici nous avons facilement les journaux de la veille.
Je vous quitte chère Maman. Je vous écrirai tous les deux ou trois jours si je puis me procurer du papier à lettre sinon j’enverrai une simple carte.
Je vous embrasse tous.
André
C’est ta dernière lettre. Tu n’écriras plus. Le 12 avril 1918, tu es touché à la tempe par un éclat d’obus. Tu meurs, sans avoir repris connaissance, à l’hôpital militaire de Longueil-Annel dans l’Oise.
Seul homme de la famille ta mort, André, a bouleversé et profondément modifié la vie de tes parents et de tes trois sœurs.
Que le souvenir de vous tous reste dans la mémoire collective et puisse l’avenir nous épargner une nouvelle guerre mondiale !
Ta petite nièce Sherkane
100 ans. Une peccadille à l’échelle terrestre mais 100 ans qui ont vu le monde bouger d’une manière que tu n’aurais même pas pu imaginer.
100 ans et les générations qui passent. La guerre de 14-18 semble si lointaine.
100 ans et cependant une volonté nationale et internationale de se souvenir. Des commémorations un peu partout, des élèves de troisième qui se plongent dans l’histoire locale. Je découvre grâce à eux que l’usine chimique près de chez moi a fabriqué le fameux gaz moutarde !
Une guerre absurde, interminable qui a impacté ta famille et toutes les familles de façon indélébile. Qui n’a pas eu un aïeul qui a fait la grande guerre !
Toi André, tu es mon grand-oncle. Je ne t’ai pas connu mais j’ai toujours senti ton ombre planer un peu partout dans la grande maison familiale.
Une selle de cheval dans l’écurie. « La selle d’André. Il aimait les chevaux »
Une photo de toi en uniforme dans la grande salle à manger
Une plaque commémorative sur le tombeau familial
André LAUZERAL
5 mai 1888 – 12 avril 1918
Mort pour la patrie
5 mai 1888 – 12 avril 1918
Mort pour la patrie
Je ne sais comment mais j’ai toujours su que Mé, ta mère, avait gardé toutes tes lettres du front dans un secrétaire. Quand ta petite sœur Totote est morte, il a fallu vider la grande maison familiale. J’ai trouvé tes lettres. Je les ai prises sans rien dire.
Revenue à la maison, je me suis immergée trois soirs durant dans tes lettres piochant au hasard, lisant avidement dans le silence de la maison. Une écriture facile à lire. Des mots inconnus : « servants, pièces, échelon, conducteurs, observatoire… ». Les dates et les lieux se mélangent. Peu importe, ne pas chercher à tout comprendre, faire seulement ta connaissance. Tes lettres ne contiennent aucun élément de guerre précis, elles ne racontent que des banalités et je me sens un peu frustrée.
Je les ai triées année par année, mois par mois. J’ai entrepris de les taper sur ordinateur à raison de 2-3 lettres par jour. 2 ans de travail de retranscription ! 4 ans de lettres. Tes lettres entrecroisées avec celles d’autres personnes, elles aussi sur le front. Jean Vergnes, cousin de ta mère, infirmier militaire ; Jean-Marie Magne, domestique de la maison ou alors métayer, simple soldat pris dans la tourmente de la Somme et de l’Oise ; Emile Duthoit, réfugié belge, ayant vécu un temps aux Auzerals en 1915. Leurs lettres crues relatent sans concession la guerre et rehaussent encore plus la banalité des tiennes.
Ce travail de mémoire achevé, j’ai donné un exemplaire à chaque membre de la famille : frère, oncle, tante…Un exemplaire aussi pour les archives communales.
Puis j’ai relu toutes tes lettres à la file. Je me suis immergée avec toi dans la guerre, dans la cavalerie. Je suis devenue toi. J’ai appris à te connaitre, à lire entre les lignes, à sentir ta colère. J’ai pris la liberté de synthétiser ces quatre années de guerre dans un texte romancé intégrant un certain nombre de tes lettres. Texte paru dans l’Echo Rabastinois le journal local de la commune.
Je suis partie avec toi à la guerre, la fleur au fusil.
Les Auzerals le 02 août 1914
Chère Tante,
Je vous écris avant mon départ car je crains de ne pas vous revoir demain. Soyez tranquille ma conscience est en règle j’ai fait le nécessaire ce matin. J’emporte avec moi scapulaire et médailles. J’ai pris ces premières armes avant de prendre les autres. J’espère que Dieu me viendra en aide dans ces tristes jours. L’horizon est très sombre mais j’espère malgré tout. Ce qui me tourmente le plus c’est la douleur et la désolation de ce que je laisse. Aussi je vous prie ma chère Tante de vous consoler vous-même et de faire ce que vous pourrez pour apporter quelques consolations à la maison.
Je pars sans arrières pensées. Je crois avoir fait à peu près mon devoir jusqu’ici et je compte le faire jusqu’à la fin.
Au revoir ma chère Tante. J’espère que nous nous retrouverons tous dans des jours meilleurs.
Votre neveu
André
Je chemine à cheval avec toi dans les bois des Vosges et de la Haute Alsace
4 septembre 1914
Ma chère Marie-Antoinette
Depuis deux jours je reçois de vos nouvelles. Je pense que l’on aura trouvé le moyen de nous les faire parvenir. Hier j’ai reçu une carte de toi et une de Jane. Avant j’avais reçu une de tes lettres datée du 16 août. Je n’ai pas encore reçu celle de maman ni le mandat. Je ferais en sorte de dater mes lettres. Jusqu’ici je l’avais toujours oublié. Ces jours ci je suis très bien. Je mange confortablement et je couche dans un lit et je n’ai pas trop d’occupations. Je demande que cela dure longtemps. Mais je ne sais pas si mes désirs seront satisfaits. Nous avons eu mauvais temps au début mais maintenant la température nous est favorable. Le soleil se montre et fait disparaître le brouillard épais du matin. Les nuits sont fraîches. En somme il fait moins chaud que chez nous. L’eau est très abondante. En ce moment on fauche les prairies pour la seconde fois. Elles sont bien vertes. On attelle les bœufs avec des colliers et à des chars à quatre roues qui me paraissent très incommodes. Le pays le plus riche c’est l’Alsace. Le jardinage et les fruits y étaient très abondants : il y avait de grands champs de choux, pommes de terre, salades etc. Tout cela était remarquablement beau. En les voyant je pensais à Jean-Marie. Nous prenions tout cela pour faire la cuisine. A la fin on a été obligé de nous le défendre. Le gaspillage prenait de trop grandes proportions. Dans une marche j’ai entrevu Marcel Bréthou. Nous marchions, je n’ai pas pu lui parler. Chez les dragons il y a comme lieutenant Edouard de la Passe. Maman doit le connaître. Je n’ai pas vu Trégan. Il ne doit pas y être. Ici nous ne savons pour ainsi dire rien au sujet des opérations du nord. Quoiqu’il arrive il ne faut pas se tourmenter avant la fin. Les généraux seuls savent leur plan. On nous vend du tabac et à bon marché. Les fumeurs peuvent se satisfaire. On nous a changé notre commandant. Celui que nous avions est revenu à l’aviation. Le nouveau est aussi aimable que le premier. Il arrive du Maroc, aussi il est au courant. Je suis chargé de transmettre ses ordres au capitaine aussi je suis toujours à côté de lui. Pour transmettre ses ordres je passe où je veux, pas aux endroits dangereux, cela se comprend. Que fait Marius ? Je ne l’ai pas vu et je ne sais rien à son sujet. Je me demande s’il n’est pas aux sections de munitions.
Je te quitte Ma chère Marie-Antoinette en vous embrassant tous.
Ton frère André
Bonjour à Jean-Marie et Françoise
Le 26 novembre 1914
Chère Maman.
… Hier soir je suis descendu de la montagne. Il y a un peu de neige, une légère couche, aussi le paysage est réellement beau. Ces sapins couverts de neige et de givre sont magnifiques. Je regrette que vous ne puissez pas les voir, quoiqu’il vaut bien mieux que vous ne les voyez pas en ce moment…
André
Le 19 avril 1915
Ma chère Marie-Antoinette
Je suis très content que les broches vous aient fait plaisir. Ce sera un souvenir de la guerre. Je craignais toujours qu’elles ne vous arrivent pas. Plusieurs ont fait comme moi. Ils en ont envoyé à leur femme ou leurs soeurs. Tu me demandes si je ne m’ennuie pas dans les bois. Quelquefois on trouve le temps un peu long surtout s’il pleut ou s’il neige. Mais on trouve toujours un moyen de se distraire. Une des principales consiste dans l’aménagement des baraques. On les rend quand on peut très confortables. La dernière par exemple était faite dans de très bonnes conditions. Elle était construite avec des sapins placés les uns sur les autres et à l’intérieur on l’avait doublée avec des planches. Entre les deux cloisons nous avions mis de la paille. Aussi le froid ne pouvait pas traverser. Il y avait même le chauffage central au moyen d’un poêle placé à l’intérieur. Tu le vois, il y avait tout le confort moderne. On aménage aussi l’intérieur. On fait un plancher pour se coucher, on place des portemanteaux pour suspendre tout ce qui nous embarrasse. A l’extérieur on plante des sapins tout autour. On recouvre tout de verdure et de branches de façon à ce que les aéroplanes ne puissent pas les voir. Toutes sont baptisées. Celle des aéroplanes s’appelle Villa des oiseaux, d’autres fois nous avons habité la villa du clair de lune. En Alsace à une époque nous étions dans une baraque faite par le génie que nous avions appelée « La tempérance ». Ce nom n’était pas très bien choisi parce que on y faisait de bons dîners et surtout on a vidé beaucoup de bouteilles de liqueurs. Il est vrai que l’on avait choisi ce nom un peu par dérision après un bon dîner. Hier j’ai reçu la lettre de Jane. Je suis content que la photographie de la section soit arrivée. Ce n’est pas le lieutenant dont tu parles qui l’a faite. C’est celui qui est assis qui nous les a données. Evidemment un autre a pressé le bouton. J’ai grande envie de monter en aéroplane. Mais tu peux rassurer maman, je ne pourrai pas. On avait fait courir le bruit qu’à la rigueur on nous le permettrait mais c’est un faux bruit. Ils volent avec une telle aisance que l’on ne pense pas aux accidents qui pourraient arriver. Ils s’envolent et atterrissent sans secousses comme un oiseau. C’est intéressant de les voir malheureusement nous ne tarderons pas à partir d’ici.
Je vous embrasse tous.
André
Le 29 décembre 1915
Chère Maman
… Le fantassin qui vous avait dit que l’Hartmannswillerkopf était près du linge vous avait bien mal renseigné. C’est loin du secteur où je suis je crois qu’il y a encore toute une division entre celle de l’Hartmannswillerkopf et la mienne, aussi les deux secteurs sont loin d’être voisins. Ici tout est à peu près calme. De temps en temps on entend quelques coups de canon mais c’est tout…
André
Le 18 mars 1916
Chère Maman
J’ai reçu ces jours derniers le paquet avec les deux paires de bas et la boite de pâté. Je garderai ces bas pour moi et je donnerai les vieux dès que je descendrai à l’échelon. N’en achetez pas. Plus tard vous m’en enverrez en coton. L’hiver s’avance le printemps arrive à grand pas. Depuis quelques jours nous avons une température très douce. J’entends par moment chanter quelques petits oiseaux. Il y en a encore quelques uns ; ils sont maintenant tout à fait familiarisés avec le bruit du canon, à tel point que l’autre jour pendant le tir un est venu se poser sur l’abri de ma pièce.
Je vous quitte chère maman. Je vous embrasse tous
André
Le pâté était excellent
Je reste à tes côtés dans l’enfer de la Somme. A côté de nous les britanniques sont en grand nombre, de même que les troupes coloniales. Une véritable guerre de tranchée. L’eau est rare et croupie. On nous a donné l’ordre de ne pas y toucher et d’attendre le ravitaillement de l’arrière qui se fait 3 fois par jour à partir de l’échelon. Ce n’est pas assez. Certains d’entre nous finissent par boire de l’eau sale, les cas de dysenterie se multiplient. L’horreur est partout, nous regrettons la paix relative des Vosges. En permanence nous devons avoir avec nous un masque à gaz.
Le 11 juillet 1916
Chère Maman
J’ai appris avec grand plaisir que mes lettres arrivaient. Vous n’avez pas deviné l’endroit où je suis. Je me trouve sous à coté ou pour mieux dire avec Henry et Jacques Larquet. Pour se rencontrer ce n’est pas chose facile, loin de là. Je suis ici avec tout le groupe et toujours avec la même compagnie. Ici il y a des gens de toute catégorie mais je regrette de ne pas avoir appris l’anglais parce que cela m’aurait peut-être servi. Le temps est beau il ne pleut pas et c’est pour nous un grand avantage. L’Artillerie est en nombre aussi on fait beaucoup de tapage.
Je vous embrasse tous.
André
Au bruit nous reconnaissons les différents types d’obus tirés par les allemands. Les « marmites » de gros calibre, les Minenwerfer dévastateurs, les 77 moins dangereux, les obus à shrapnells dispersant 300 balles de plomb, et les obus à gaz qui libèrent leur contenu en chuintant. 7 août 1916, voilà deux jours que nous pilonnons sans discontinuer les lignes ennemies…lorsque nous ne tirons pas sur nos propres hommes du fait de tirs trop courts... L’armée a décidé de lancer une grande offensive. On prépare le terrain pour notre infanterie. Fusée rouge ! Nous tirons. Fusée verte ! Nous allongeons le tir. Les Allemands répondent, ils sont de plus en plus précis. Les obus tombent tout autour de nous. On se protège derrière les épais boucliers métalliques des canons puis ripostons à nouveau. Un obus éclate près de moi. Des éclats volent partout. Je te vois te plier en deux de douleur. Tu es touché mais tu te relèves et continues de donner les ordres de tir à tes servants.
Tu seras décoré de la croix de guerre. Guéri, tu retournes à la guerre, dans l’Oise. La guerre fait rage et tu ne peux assister au mariage de ta sœur Marie-Antoinette.
Le 10 Avril 1918
Chère Maman
C’est aujourd’hui le grand jour, aussi ma pensée est constamment à la maison. J’ai bien pensé à Marie-Antoinette ce matin vers onze heures. Vous comprenez combien je regrette de ne pas être au milieu de vous en ce moment. C’est pour moi un grand sacrifice. Dès que les permissions seront rétablies je partirai mais quand arrivera ce jour, je n’en sais trop rien. J’espère tout de même que c’est le dernier effort et qu’après cet été nous verrons des jours meilleurs. Ici nous sommes occupés. Je me trouve toujours au même endroit. Je pourrais être mieux mais aussi plus mal. Certaines journées sont calmes. Nous aurons encore des fatigues à supporter mais je crois malgré tout que les moments les plus durs sont passés. Ce n’est pas gai ni agréable de reculer. Je vous raconterai tout cela plus tard. J’ai reçu le paquet. Je voudrais maintenant que vous mettiez dans vos lettres des cartes pour que je puisse vous écrire. Toutes celles que j’avais sont collées aussi je suis ennuyé parce que je m’en procurerai difficilement. Je reçois toujours le journal. Je le lis mais il ne m’intéresse pas beaucoup aussi je ne tiens pas à renouveler l’abonnement. Ici nous avons facilement les journaux de la veille.
Je vous quitte chère Maman. Je vous écrirai tous les deux ou trois jours si je puis me procurer du papier à lettre sinon j’enverrai une simple carte.
Je vous embrasse tous.
André
C’est ta dernière lettre. Tu n’écriras plus. Le 12 avril 1918, tu es touché à la tempe par un éclat d’obus. Tu meurs, sans avoir repris connaissance, à l’hôpital militaire de Longueil-Annel dans l’Oise.
Seul homme de la famille ta mort, André, a bouleversé et profondément modifié la vie de tes parents et de tes trois sœurs.
Que le souvenir de vous tous reste dans la mémoire collective et puisse l’avenir nous épargner une nouvelle guerre mondiale !
Ta petite nièce Sherkane
Sherkane- Kaléïd'habitué
- Humeur : ....
Re: A. Cher André
Émouvantes ces lettres. Quelle chance tu bas de les posséder. Ton mot final au "seul homme de la famille" est magnifique.
Zéphyrine- Modératrice écriture libre
- Humeur : Méditerranéenne
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