Cher J.+…

Cher J.+…

Cette lettre c’est un peu comme quand on écrit au Père Noël qu’on n’a jamais vu. Mais lui on ne sait même pas s’il existe alors que toi, je sais que tu existeras. Je vais grandir un tout petit peu chaque jour et un jour je serai toi. Est-ce que je vais m’en apercevoir du moment où je deviendrai toi, est-ce que ça sera comme quand on déménage et qu’on entre dans une autre maison ou bien comme Alice qui traverse le miroir ? Tu comprends, ça m’inquiète un peu tout ça parce que je me demande ce que je deviendrai. Je ne suis qu’un enfant, on me le répète tout le temps, on me dit que je ne connais pas la vie, que je n’ai rien vu et que je raconte n’importe quoi. Moi je trouve qu’il y a déjà beaucoup de chose dans ma tête, des trucs mauvais que je voudrai bien oublier et d’autres qui sont des trésors à garder toujours.

Les trucs mauvais je ne vais pas t’en parler, peut-être que tu les as déjà oubliés, alors c’est tant mieux, surtout qu’il y en a qui sont de ma faute, des paroles ou des choses que j’ai faites et que les parents m’ont dit « t’as pas honte ! » ou bien j’ai eu honte tout seul sans rien dire à personne, et chaque fois que j’y pense, je fais «Grrrrrr ! »

Je préfère parler de mes trésors, j’en ai déjà beaucoup et à chaque anniversaire, je me dis que j’en aurai sûrement d’autres avant le prochain. Mes trésors, c’est les souvenirs qui font battre mon cœur plus vite et qui mettent des lumières dans ma tête, des secrets, des choses que personne d’autre n’a vues. Un jour dans un trou du mur, j’ai vu un tout petit œuf blanc, plus petit que les tout petits œufs de Pâques en sucre. Et tout de suite il s’est ouvert et un bébé lézard en est sorti ; il a levé la tête, il avait l’air étonné et curieux et il est vite parti en courant. J’étais content pour lui qu’il ait tout le jardin à découvrir. Et j’étais content pour moi aussi d’avoir vu ça. J’en ai plein d’autre comme ça des trésors. Un autre trésor, c’est la figure de maman quand elle se penche vers moi pour me dire bonne nuit et que je trouve son sourire si joli et ses yeux et ses cheveux aussi et que je me dis que je n’ai jamais rien vu de plus beau.

Je voudrais tant que tous mes petits trésors, tu les gardes avec toi, même si ce ne sont pas des choses sérieuses comme celles dont parlent les grandes personnes, comme maman quand elle me dit, « tais-toi donc, tu vois bien que je parle de choses sérieuses avec ton père » et là, elle n’a plus du tout son joli sourire.
Les grandes personnes peuvent faire tout ce qu’elles veulent, alors je voudrais que tu ailles voir tous les films que les parents n’ont pas voulu que je voie, comme ceux avec les cow-boys et les indiens, avec les pirates ou avec les voleurs et chaque fois papa me dit « c’est pas un film pour toi » ou bien « c’est un film idiot ». Et moi, je regarde l’affiche et je me dis que ça a l’air drôlement bien les films idiots. Achète aussi plein de BD de Tarzan parce que ça aussi papa dit que c’est idiot, donc ça doit être super.
Ce que je voulais te dire aussi, je sais que tu seras plus grand que moi, mais quand même ne grandis pas trop. Moi, je suis petit pour mon âge et je trouve ça très chouette. On peut se cacher plus facilement et se mettre derrière les autres quand on est intimidé. Et puis on croit toujours que je suis plus jeune et on croit que je suis plus intelligent que les autres et même si c’est pas vrai, ça me fait plaisir. Et puis les jolies dames, pas autant que maman mais presque disent « comme il est mignon ! » J’espère que toi aussi tu aimes bien le sourire des jolies dames.

Comme tu auras beaucoup d’argent comme toutes les grandes personnes, j’aimerais bien que tu payes un détective privé, comme dans les Bd pour retrouver Josette. Josette, tu sais, ma copine du bout de la rue. J’échangeais des livres avec elle et on jouait aux pirates ou bien on visitait des maisons en construction et on se sauvait en courant quand les ouvriers nous grondaient. Une fois on a même fait l’école buissonnière ensemble. On parlait beaucoup et je lui racontais des choses que je ne disais même pas à mes sœurs. Pour le détective, je te dis comment elle est : blonde avec des taches de rousseur, des cheveux courts et une robe à carreaux. Un jour, je suis allé la voir et il n’y avait plus personne dans la maison. J’étais très triste. Alors retrouve la et marie-toi avec elle, Elle sera sûrement d’accord, on en avait parlé tous deux et c’était décidé.
Voilà, J.+ ( je ne sais pas combien pour le plus) j’aurais eu beaucoup d’autres chose à te dire, mais ma lettre est déjà longue. Surtout n’oublie pas le petit garçon de rien du tout que je suis et garde moi toujours une petite place dans ta tête et dans ton cœur.
J.

C'est adorable, c'est touchant, du pur et brillantissime Tober !

Tout l'esprit de l'enfance est contenu dans cette écriture ! J'ai adoré l'image de la maman et de ... Josette !

J'aime tout dans ta lettre c'est touchant c'est frais c'est enfant. En te lisant j'ai pensé au film " les quatre cent coups" qui est passé récemment sur Arte et que j'ai adoré.Je te vois bien dans le rôle principal.

Bravo Tober pour cette capacité à te mettre dans la peau d'un gamin. Tu as admirablement réussi. Ce garçonnet que tu évoques - toi sûrement - me fait penser au petit Gibus avec ses grands yeux innocents et aussi au petit Fawad, héros du livre dont j'ai parlé sur le topic lecture. C'est un bon moment lecture-tendresse que tu nous livres là. Merci.

Un teste délicieux comme un gâteau d'anniversaire d'enfance.
Il m'a beaucoup ému.
Un ton juste, du "beau petit garçon" qu'on se prend à aimer pleinement !
alors merci !

Une question que je me pose : est ce que le détective a retrouvé Josette avec sa robe à carreaux ?


Ceci dit cette lettre est très fraiche comme l'enfance et je suis très contente de découvrir un petit Tober plein de tendresse, d'abord pour sa maman et puis pour ce petit lézard tout juste éclos.

Que rajouter aux aux autres coms? C'est un très beau texte, touchant oui, mais aussi très poétique je trouve

Merci pour vos commentaires.

Charlotte : j’aime beaucoup ce film, mais il ne me serait pas venu à l’idée de me comparer à Antoine Doinel. Malgré une journée d’école buissonnière, mon enfance a été beaucoup moins turbulente que la sienne.

Yvanne : je n’ai eu à faire aucun effort d’imagination, tout est exact et je n’ai changé que quelques détails circonstanciels. Et j’ai suivi les conseils du petit J. : je ne l'ai jamais oublié, je n’ai pas trop grandi, j'ai vu beaucoup des films "idiots" devant les affiches desquels il rêvait et j'ai lu les aventure de Tarzan.

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