Surprise !

Pour comprendre ce que je fais là, inconfortablement installé à la fourche de cet arbre, il faut remonter à quelques heures en arrière…

« C’est votre dernière chance !  m’a dit le N°1 d’une voix glaciale. Comme je crois vous l’avoir déjà indiqué, en haut lieu on commence à en avoir assez de vos fiascos répétés et, moi-même, malgré ma grande patience et tous les espoirs que j’avais mis en vous, je reconnais en avoir ma claque d’un agent qui foire tout ce qu’il touche ! »
Quand le langage du N°1 commence à devenir vulgaire c’est mauvais signe, signe que le vernis de bienséance qui le caractérise est en train de craquer et, alors, tout devient possible !
Il a poursuivi : « Non content d’échouer lamentablement dans toutes vos tentatives pour démasquer le Cobra, le récit de vos pitoyables « exploits » a transpiré sur la Toile et au sein de l’Agence K.A.L.É. on en rit encore !
Maintenant que vous avez retrouvé votre intégrité physique, (là il mettait douloureusement le doigt sur l’échec de ma dernière mission qui m’avait transformé temporairement et au grand dam de mon épouse, en homme invisible), je vous conseille de réussir, fissa !
Allez, rompez ! Et ne vous représentez devant moi qu’en ayant récupéré le document »

Comme toujours, mon indicateur avait fait du bon travail et m’avait averti d’une possible tractation entre le Cobra et un traître de nos services, une remise de documents classés « sécurité nationale » que ce virtuose du coup fourré s’apprêtait à récupérer des mains de notre agent, un félon que nous avons depuis longtemps dans le collimateur et que nous arrêterons dès que j’aurai mis la main sur le document et accessoirement sur le Cobra.

De mon perchoir, je surveillais les environs et au terme d’une attente qui me parut interminable, j’ai vu arriver deux enfants… Munis, chacun, d’une énorme pochette surprise non encore ouverte, ils revenaient sans doute de la fête foraine voisine. Pour l’instant ils étaient occupés à savourer  leur cornet de glace. Et quand le garçonnet s’est penché pour goûter la glace de la petite fille, ça a fait tilt !

Des enfants me direz-vous ? Qu’est-ce que des enfants viennent faire dans une histoire d’espionnage ? C’est bien mal connaître l’esprit retors du Cobra. Qui irait soupçonner des enfants ? Et quoi de plus imprévisible pour transporter des documents qu’une pochette surprise ? Je reconnaissais bien là toute l’imagination perverse et malfaisante de mon adversaire.
Mais je commençais à bien le connaître et il avait compté sans ma grande perspicacité.
Un des cornets devait contenir le document et, dissimulé non loin de là, le Cobra attendait le moment propice pour le récupérer des mains de son innocent passeur. Une question cependant : du garçon ou de la fille qui était le détenteur du document ?

Je n’avais pas le temps de tergiverser, les deux enfants allaient se séparer. J’ai sauté de mon perchoir et j’ai couru comme un fou vers les deux bambins, leur arrachant au passage les cornets de papier. On verrait plus tard !
Aussitôt, ils se sont mis à hurler de concert : « Papa, papa, le monsieur ! Il a volé nos surprises ! Papa ! Papa !... » Un homme bâti comme une armoire à glace a surgi d’un groupe de promeneurs ébahis, il avait des poings énormes et j’ai dû faire un crochet désespéré pour l’éviter.

J’ai couru, couru, couru, serrant contre moi les précieux cornets, poursuivi par les cris des enfants et les huées des badauds : « Malade ! » « S’attaquer à des enfants ! », « Sadique ! »
Heureusement, je cours vite et un brouillard opportun s’étant levé, j’ai échappé au lynchage.

Dans un endroit calme, quand j’ai eu retrouvé mon souffle, j’ai hésité avant d’ouvrir les cornets : le N°1 n’apprécierait peut-être pas. Mais après tout, j’avais payé de ma personne et je méritais de contempler le précieux document.
Je déchirais fébrilement la pochette marqué « FILLE », celle-ci ne contenait qu’un cotillon appelé « langue de belle-mère », quant à la pochette étiquetée « GARÇON » elle ne révéla qu’un…nez de clown !