Une si longue marche
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catsoniou
Charlotte
AlainX
Nerwen
Amanda.
Escandélia
10 participants
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Une si longue marche
Nom : Labrousse.
Prénom : Ginette.
Age : 93 ans.
Profession : agricultrice.
Milieu Social : Paysan.
Ville : Villeméjane (87)
Prénom : Ginette.
Age : 93 ans.
Profession : agricultrice.
Milieu Social : Paysan.
Ville : Villeméjane (87)
Assise dans son fauteuil, bien calé au coin de la cheminée, Ginette écoute la conversation de ses petits-enfants. Nous sommes le 21 avril 2015, Romain et Françoise (respectivement 35 et 32 ans), n’en finissent pas de se quereller au sujet des dernières élections qui ont vu un taux d’abstention record dans leur commune.
Ils évoquent ce 21 avril 2002, où ils avaient participé à leur première marche citoyenne. Le candidat de la haine était arrivé devant le candidat potentiel pour lequel ils auraient voté.
Depuis, si Romain s’est engagé politiquement (il a même été candidat aux dernières municipales), Françoise, elle, a décrété qu’il ne servait à rien d’aller voter. Elle ne se déplace plus, laissant à d’autres le choix de sa destinée.
Ginette, quant à elle, en a gros sur la patate. Tant de luttes pour arriver à ce que les femmes puissent enfin s’exprimer !
Alors n’y tenant plus, elle apporte sa pierre à l’édifice.
C’est assez dit-elle, je vais vous raconter avec quelle fierté, moi, Ginette Labrousse, votre grand-mère, j’ai franchi pour la première fois la porte d’un bureau de vote.
J’avais 23 ans au sortir de la guerre. Avec mon père, j’avais participé pendant près de 5 ans à des actes de résistance contre l’ennemi. Je me cachais la nuit pour venir en aide à ceux du maquis. Ce 29 avril 1945, je recevais enfin mon acte de naissance de citoyenne. Comme toutes les femmes, je votais pour la première fois.
Les semaines qui avaient précédées le jour du vote avaient vu les uns et les autres s’enflammer autour de la condition féminine. Certains, tel le boucher, le bistrotier et même le boulanger faisaient corps autour du châtelain pour empêcher les femmes de s’exprimer, prétendant que nous n’avions pas les qualités logiques et intellectuelles pour participer à la vie publique et même donner notre avis ! Quant à l’Arsène, chef incontesté des radicaux, il prétendait que nous ne saurions pas faire d’autre choix que celui que nous soufflerait le curé ! Cela avait semé une belle pagaille la commune à l’image de beaucoup d’autres !
Avec l’Yvette Magaud et la Clémence Vernet, nous étions tous les jours sur le pont pour inciter les filles des villages à venir exercer ce droit tant décrié par les petits bourgeois du cru.
Nous avions même reçu des menaces et les quolibets qui nous étaient adressés n’étaient pas à piquer des hannetons ! Vous pouvez me croire !
Aussi, quand le grand jour arriva, c’est avec beaucoup d’émotion que nous nous sommes retrouvées toutes trois à la porte du bureau de vote. La Clémence tremblait en saisissant son premier bulletin, l’Yvette bafouillait en se demandant si sa carte de veuve de guerre pouvait remplacer sa carte d’identité, et moi, parbleu, je trépignais d’impatience en attendant mon tour devant l’urne où j’allais déposer mon précieux trophée !
Il faut dire que ce fut un long combat depuis la déclaration des droits des femmes faite par Olympe de Gouges en 1791. Jeanne Deroin et Hubertine Auclert ont émaillé le 19ème siècle de leurs luttes pour la conquête de droits pour les femmes. En 1925, au bénéfice d’une lacune dans la règlementation, les premières femmes sont élues aux élections municipales. Elles seront une dizaine dans toute la France, dont Joséphine Pencalet, une penn sardin (sardinière) de Douarnenez, au premier tour ! Malgré ce succès électoral, leur élection fut invalidée. Après cela, à six reprises, jusqu’en 1936, les députés se sont prononcé pour le vote des femmes, mais le sénat a refusé systématiquement d’examiner les textes de lois, les rendant ainsi caducs. Ce n’est qu’en 1944 pour que ce droit nous a été reconnu.
Durant toute l’occupation, de nombreuses femmes avaient fait preuve d’actes héroïques !
Quand je vois que toi, Françoise Labrousse, ma petite fille, tu ne consens même plus à te déplacer, j’enrage !
J’enrage et je me dis : pourquoi tous ces combats si notre jeunesse ne les continue pas ? Allons- nous être condamnés hommes et femmes à une inéluctable régression ? Est-il possible que vous mes petits- enfants que nous avons eu tant de peine à élever et à instruire, vous vous laissiez déposséder de ce droit universel et indispensable : celui de penser par vous-même et pour vous-même ?
Ils évoquent ce 21 avril 2002, où ils avaient participé à leur première marche citoyenne. Le candidat de la haine était arrivé devant le candidat potentiel pour lequel ils auraient voté.
Depuis, si Romain s’est engagé politiquement (il a même été candidat aux dernières municipales), Françoise, elle, a décrété qu’il ne servait à rien d’aller voter. Elle ne se déplace plus, laissant à d’autres le choix de sa destinée.
Ginette, quant à elle, en a gros sur la patate. Tant de luttes pour arriver à ce que les femmes puissent enfin s’exprimer !
Alors n’y tenant plus, elle apporte sa pierre à l’édifice.
C’est assez dit-elle, je vais vous raconter avec quelle fierté, moi, Ginette Labrousse, votre grand-mère, j’ai franchi pour la première fois la porte d’un bureau de vote.
J’avais 23 ans au sortir de la guerre. Avec mon père, j’avais participé pendant près de 5 ans à des actes de résistance contre l’ennemi. Je me cachais la nuit pour venir en aide à ceux du maquis. Ce 29 avril 1945, je recevais enfin mon acte de naissance de citoyenne. Comme toutes les femmes, je votais pour la première fois.
Les semaines qui avaient précédées le jour du vote avaient vu les uns et les autres s’enflammer autour de la condition féminine. Certains, tel le boucher, le bistrotier et même le boulanger faisaient corps autour du châtelain pour empêcher les femmes de s’exprimer, prétendant que nous n’avions pas les qualités logiques et intellectuelles pour participer à la vie publique et même donner notre avis ! Quant à l’Arsène, chef incontesté des radicaux, il prétendait que nous ne saurions pas faire d’autre choix que celui que nous soufflerait le curé ! Cela avait semé une belle pagaille la commune à l’image de beaucoup d’autres !
Avec l’Yvette Magaud et la Clémence Vernet, nous étions tous les jours sur le pont pour inciter les filles des villages à venir exercer ce droit tant décrié par les petits bourgeois du cru.
Nous avions même reçu des menaces et les quolibets qui nous étaient adressés n’étaient pas à piquer des hannetons ! Vous pouvez me croire !
Aussi, quand le grand jour arriva, c’est avec beaucoup d’émotion que nous nous sommes retrouvées toutes trois à la porte du bureau de vote. La Clémence tremblait en saisissant son premier bulletin, l’Yvette bafouillait en se demandant si sa carte de veuve de guerre pouvait remplacer sa carte d’identité, et moi, parbleu, je trépignais d’impatience en attendant mon tour devant l’urne où j’allais déposer mon précieux trophée !
Il faut dire que ce fut un long combat depuis la déclaration des droits des femmes faite par Olympe de Gouges en 1791. Jeanne Deroin et Hubertine Auclert ont émaillé le 19ème siècle de leurs luttes pour la conquête de droits pour les femmes. En 1925, au bénéfice d’une lacune dans la règlementation, les premières femmes sont élues aux élections municipales. Elles seront une dizaine dans toute la France, dont Joséphine Pencalet, une penn sardin (sardinière) de Douarnenez, au premier tour ! Malgré ce succès électoral, leur élection fut invalidée. Après cela, à six reprises, jusqu’en 1936, les députés se sont prononcé pour le vote des femmes, mais le sénat a refusé systématiquement d’examiner les textes de lois, les rendant ainsi caducs. Ce n’est qu’en 1944 pour que ce droit nous a été reconnu.
Durant toute l’occupation, de nombreuses femmes avaient fait preuve d’actes héroïques !
Quand je vois que toi, Françoise Labrousse, ma petite fille, tu ne consens même plus à te déplacer, j’enrage !
J’enrage et je me dis : pourquoi tous ces combats si notre jeunesse ne les continue pas ? Allons- nous être condamnés hommes et femmes à une inéluctable régression ? Est-il possible que vous mes petits- enfants que nous avons eu tant de peine à élever et à instruire, vous vous laissiez déposséder de ce droit universel et indispensable : celui de penser par vous-même et pour vous-même ?
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: Une si longue marche
Tu as raison d'enrager, je partage totalement ce sentiment de frustration. Après tant de luttes, maintenant, on baisse les bras ? Et on se plaindra ensuite de ceux qui nous gouvernent ?
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: Une si longue marche
Ton texte retrace fort bien le combat des femmes pour accéder à ce droit de vote que les générations actuelles boudent sans doute par laxisme et par indifférence , mais aussi peut-être à cause du sentiment que les politiques, quelque soit leur bord, ne prennent pas assez en compte ce qu'expriment les citoyens.
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: Une si longue marche
Excellent !
Une véritable leçon d'histoire et de civisme…
Buvons à la santé des femmes et de la république française.
Une véritable leçon d'histoire et de civisme…
Buvons à la santé des femmes et de la république française.
AlainX- Kaléïd'habitué
- Humeur : stable
Re: Une si longue marche
L'abstention est une désertion...Après cela il faut pas s'étonner ......... En Belgique le vote est obligatoire: c'est un droit mais aussi un devoir légal .
Charlotte- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: Une si longue marche
Pour ma part, je trouve à ce texte un aspect intéressant parce qu'il reflète ce qui était certainement l'état d'esprit de bien des femmes à la Libération. Car il y a un élément qui est à prendre en considération : depuis au moins le début du 20ème siècle, grâce à l'école obligatoire et laïque, les filles apprenaient à lire et écrire et devenues femmes, elles pouvaient avoir des lectures susceptibles de les émanciper et leur données des idées de s'extirper des jougs du père, du curé et plus tard du mari, sans oublier le patron, et sans oublier les bourgeoises qui avaient encore leur bonne à tout faire. Le 29 avril 1945, bulletin de vote, enveloppe, isoloir, urne et hop ! un joli pied de nez aux hommes dominateurs !
Et la conclusion de Ginette, face au désintérêt de sa petite-fille, est aussi l'exact reflet de bien des femmes de sa génération ...
A Ginette et les femmes de sa trempe
Et la conclusion de Ginette, face au désintérêt de sa petite-fille, est aussi l'exact reflet de bien des femmes de sa génération ...
A Ginette et les femmes de sa trempe
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Re: Une si longue marche
Un beau récit de la lutte des femmes et des oppositions qu’elle a rencontré. C’est bien raconté et on ressent la passion de cette femme pour la conquête de la liberté et on comprend son amertume de voir sa descendance si peu motivée par le vote. Par contre j’ai eu davantage l’impression d’un texte écrit (témoignage, lettre etc) que d’entendre la narratrice raconter de vive voix à sa famille
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: Une si longue marche
Le meilleur texte que j'ai lu jusqu'à présent!
Pas que les autres étaient mauvais, bien au contraire, ils sont tous très bons, mais voilà, le tien, mélange de faits historiques et de fictif, est, non seulement très bien écrit, mais en plus passionnant à lire .
Merci beaucoup
Pas que les autres étaient mauvais, bien au contraire, ils sont tous très bons, mais voilà, le tien, mélange de faits historiques et de fictif, est, non seulement très bien écrit, mais en plus passionnant à lire .
Merci beaucoup
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: Une si longue marche
Escandélia a écrit:
prétendant que nous n’avions pas les qualités logiques et intellectuelles pour participer à la vie publique et même donner notre avis !
(...) En 1925, au bénéfice d’une lacune dans la règlementation, les premières femmes sont élues aux élections municipales.
Qu'est-ce que les femmes d'alors n'auront pas eu à entendre à leur sujet. Et puis, il aura fallu "une lacune dans la réglementation" pour permettre aux femmes d'être élues. A travers ton texte, j'en apprends un peu plus sur une période de l'histoire que je connais peu. J'aime beaucoup ton texte, il est très bien écrit - plus écrit que oral d'ailleurs, comme le faisait remarquer Tober. Mais il est passionnant à lire. Je me demande bien si les mots de Ginette auront redonné un peu d'espoir à Françoise! Je comprends bien sa lassitude face à la scène politique, est-on vraiment "acteur" ou seulement "marionnette". Elle répond peut-être au dicton: "Dans le doute, abstiens-toi!"
Mesange- Kaléïd'habitué
- Humeur : en phase de reconcentration
Re: Une si longue marche
Merci à tous pour vos commentaires.
Il est vrai que j'ai tenu à cette touche historique qui a émaillé le parcours de toutes ces femmes militantes de la condition féminine.
Je ne pouvais pas passer à côté de cette consigne sans y apporter le grain de sel qui fut dans bien des situation à l'origine de mon combat militant.
Merci encore.
Il est vrai que j'ai tenu à cette touche historique qui a émaillé le parcours de toutes ces femmes militantes de la condition féminine.
Je ne pouvais pas passer à côté de cette consigne sans y apporter le grain de sel qui fut dans bien des situation à l'origine de mon combat militant.
Merci encore.
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: Une si longue marche
Très beau texte plein de révolte comme j'aime à en lire !
Pour ma part, je n'arrive pas à écrire sur ce pan de l'histoire, tant je n'ai rien qui m'en approche (de part ma culture). Si ce n'est que j'ai le droit de voter.
Alors, je prends un réel plaisir à te lire, à tous vous lire, car cela m'aide à mieux m'imprégner de l'Histoire.
Merci.
Pour ma part, je n'arrive pas à écrire sur ce pan de l'histoire, tant je n'ai rien qui m'en approche (de part ma culture). Si ce n'est que j'ai le droit de voter.
Alors, je prends un réel plaisir à te lire, à tous vous lire, car cela m'aide à mieux m'imprégner de l'Histoire.
Merci.
July_C- Kaléïd'habitué
- Humeur : qui vagabonde
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