A- Mon homme.

J’ai mis l’eau à chauffer. Pour mon marin, mon capitaine. Depuis le temps que je le vois trimer ainsi, courber l’échine, je ne résiste pas à lui offrir chaque semaine, un bon bain chaud et pour sa peine un chocolat moussant d’écume.

A la terrasse du bistrot où chaque jour je prends le thé, je le regarde passer en face, sur le quai. Son beau visage aux traits si fins marqué par les jusants et les embruns a toujours le gout salé. Celui des larmes et des regrets.
Je le regarde passer le jour. Quand vient la nuit et ses contours, je le retrouve, âme brisée. Il est parti en pleine mer, sur le rafiot tout rapiécé. Mon cœur s’anime et saigne. J’ai tellement peur que la houle ne l’emporte et le dépose au fond des mers lointaines pour ne plus jamais le rendre.  Je veux tellement qu’il m’appartienne.

De sa vie de misère je ne sais pas grand-chose. J’ai seulement pu imaginer : berger jadis sur Naxos, il a dû fuir son sable blanc et ses collines pour venir ici loin de chez lui. Ses os se brisent sous le fardeau de son errance. De Mycènes jusqu’à Athènes, toutes les routes de exil sont les mêmes. Partir, pour rebondir.  Ne pas savoir où va échoir le bateau blanc du désespoir.
Mais je suis là, je le protège. Il est si beau que dans le soir, mon cœur l’attend. Moi je l’espère. Un jour viendra, main dans la main, il me conduira vers Santorin.  
Je mettrais l’eau à chauffer pour le café et sur la plage baignée par la marée, nous chanterons en attendant que nos enfants s’éveillent. Les yeux encore brouillés d’étoiles qu’un grand bonheur allumera.

Ses cheveux fous mêlés aux miens, le regard pur de l’homme mur, dans mes yeux clairs se plongera. Nous boirons ensemble au calice de nos lèvres pourpres avant que le vent fou ne nous emporte au tourbillon d’amours nouvelles. Nos corps ensemble sur le sable ne feront qu’un et nous aurons pour nous l’éternité de doux matins ensoleillés.